Cet article fait partie d’une édition spéciale de notre newsletter sur le thème «Comment embarquer tout le monde dans la transition écologique ?», qui a été conçue en collaboration avec des membres du Club de Vert. Lors d’une conférence de rédaction avec ces donatrices et donateurs en décembre, nous avons imaginé une série de trois articles autour de cette question.
Au menu de cette édition spéciale, vous trouverez également un guide pour parler d’écologie de manière constructive et apaisée, ainsi qu’un décryptage qui explore les manières d’éduquer les enfants à ces enjeux à l’école.
Diplômée de Sciences Po, Noémie Calais est partie élever des porcs noirs dans le Gers. Une expérience que cette défenseuse d’un mode de vie paysan alternatif raconte dans le livre Plutôt nourrir, co-écrit avec Clément Osé (éditions Tana). Benoît Biteau est agriculteur et agronome. Ancien député européen, il est l’un des rares écologistes élu·es dans une circonscription rurale lors des législatives de 2024. Tous deux livrent à Vert leur vision de la place de l’écologie dans les campagnes.

Les écologistes sont la cible d’attaques d’une partie de la droite, bien implantée dans les campagnes, et de syndicats agricoles : pourquoi ?
Noémie Calais. Il y a une montée en puissance, en volume et en violence, depuis la crise agricole de l’an dernier. J’ai reçu plein de tracts avec le mot «escrologiste». Les attaques sont aussi devenues plus violentes contre l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), l’Agence de la transition écologique (Ademe)… Ça me sidère, parce que la colère agricole est légitime, et je la partage, mais elle est instrumentalisée contre l’écologie. Depuis les élections agricoles, il y a un front FNSEA-Coordination rurale [ces deux syndicats qui prônent une agriculture productiviste ont réalisé de bons scores lors du dernier scrutin, NDLR] qui fait reculer l’environnement comme jamais. À mon avis, ils se trompent de cible, et ça va faire du mal à tout le monde. L’environnement est notre outil de travail, c’est la terre que nous transmettrons à nos enfants.
Benoît Biteau. Leur aversion pour les écologistes part du fait qu’ils n’ont pas établi de diagnostic objectif de la situation qui conduit les agriculteurs dans les difficultés actuelles. Mais cette aversion est en réalité complètement infondée, puisque jamais les écologistes n’ont été au pouvoir pour imposer ce qui leur est reproché. Ils remettent au goût du jour les recettes qui ont conduit à cette situation dramatique, où 50% des agriculteurs ont disparu en 20 ans.
Regardons ce que proposent les écologistes. Ce qui menace la souveraineté alimentaire, le revenu des agriculteurs ou la capacité à produire, c’est le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, pas la disparition d’une molécule de pesticide.
L’écolo est-il devenu un bouc émissaire dans des zones rurales où les services publics ont disparu, où la pauvreté augmente ?
Noémie Calais. Nous l’avons vu à la fois aux élections législatives et européennes de l’an dernier et cette année avec les élections professionnelles agricoles : l’écologie est l’épouvantail, le bouc émissaire, le repoussoir… à tel point que ça devient compliqué de se revendiquer écologiste. Ma grande bataille, c’est de me définir comme agricultrice, paysanne, et d’être prise au sérieux pour que les autres agriculteurs se reconnaissent dans ce que je fais.
Benoît Biteau. C’est le fonctionnement habituel de ceux qui ne veulent pas se remettre en cause. Il faut trouver les boucs émissaires et, en l’occurrence, ce sont les écologistes, les règles environnementales, l’OFB, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)… Mais pendant ce temps, nous ne faisons pas ce travail introspectif pour avancer sur un projet qui sorte durablement l’agriculture de la crise dans laquelle elle s’enlise depuis 60 ans. C’est comme pour les difficultés sur le pouvoir d’achat : plutôt que de regarder l’évasion fiscale, nous regardons les aides sociales que l’on donne aux plus déshérités.

Comment expliquer que les ruraux, et pas seulement les agriculteurs, soient réceptifs à ces discours opposés à l’écologie ?
Benoît Biteau. Je suis élu dans une circonscription rurale [en Charente-Maritime, NDLR], c’est bien la preuve qu’il y a aussi des électeurs qui attendent autre chose. J’ai fait le diagnostic qu’une ruralité, ce n’est pas que le monde agricole, mais des gens qui partagent ces territoires. Il y a des néoruraux – et ce n’est pas péjoratif –, qui ne sont pas des agriculteurs et qui sont venus faire vivre ces territoires dans l’espoir de trouver des espaces préservés, où la qualité de l’air, de l’eau, de la biodiversité est satisfaisante.
À la campagne, les écologistes sont-ils forcément des néo-ruraux ?
Benoît Biteau. Pas forcément, le profil des électeurs ruraux est difficile à cerner. Dans ma circonscription, je rencontre aussi des gens issus de familles d’agriculteurs, qui sont nés sur ces territoires, et qui ne se reconnaissent pas dans l’agriculture d’aujourd’hui. Ils font certainement partie de ces 50% d’agriculteurs qui ont disparu ces 20 dernières années.
Noémie Calais. Il y a tellement de fermes qui ont disparu, que 50 à 60% des nouveaux porteurs de projets ne sont pas issus du milieu agricole. Il faut éviter le terme de «néonural», qui est une catastrophe sémantique : ça donne l’image d’un jeune urbain qui débarque empli de certitudes et qui va donner des leçons à ses voisins.
Il y a une humilité à avoir, lorsque l’on débarque dans ce métier. La moindre des choses, c’est d’aller parler aux voisins, de demander des conseils. En revanche, on peut affirmer le modèle dans lequel on s’installe : dès le début, j’ai dit que je serai en agriculture biologique et ils l’ont complètement entendu.

Quels sont les discours écolos qui crispent (parfois légitimement) les gens à la campagne ?
Benoît Biteau. Il y en a un qui me touche : c’est l’abolition de toute forme d’élevage. Sur les territoires ruraux, ça ne fonctionne absolument pas. Si nous voulons préserver des espaces campagnards à forts enjeux patrimoniaux, comme les prairies humides ou les estives de montagne, nous aurons besoin de l’élevage. Il faut que nous ayons un débat sur la mise à mort des animaux, mais ce débat est au mieux philosophique, pas écologiste.
Noémie Calais. Tous les débats qui ont trait à l’animal, à sa mort, à la chasse, peuvent être très durs à vivre ici. J’ai été harcelée par des personnes anti-élevage. Pourtant, si elles se retrouvaient à la campagne, à essayer de faire une agriculture 100% végétale, elles se rendraient compte que c’est difficile. La chasse paysanne aide les agriculteurs à ne pas voir leurs cultures ravagées, elle fait partie de notre vie. C’est beaucoup plus complexe que les discours radicalement pro ou anti-chasse. Je n’ose même pas imaginer à quel point cela doit être frustrant pour les personnes qui ont grandi avec.
Quels sont, au contraire, les discours qui fonctionnent, qui suscitent l’adhésion ?
Noémie Calais. Je pense que l’alimentation est un facteur de lien qui peut rassembler tout le monde. Dans le Gers, nous sommes un territoire de bien-manger, avec beaucoup de fêtes de village l’été. Près de chez moi, il y a par exemple une ferme bio qui organise chaque année un banquet avec 500 personnes : les chasseurs, l’équipe de rugby, les jeunes du village, les personnes fraichement débarquées de la ville… Le mélange se fait, on se parle à table, on partage la terre et on se prépare de bonnes choses à manger. Tant que ces lieux festifs existent, il faut les investir.
Benoît Biteau. Le sentiment d’exclusion est l’une des explications du vote RN dans les territoires ruraux. Il faut arriver avec un projet politique inclusif, qui permette la cohabitation de tous sur ces territoires. Dans ma circonscription, il y a par exemple une sur-incidence de cancers pédiatriques, où l’agriculture est pointée du doigt comme potentiellement responsable. J’écoute à la fois le monde non-agricole, mais aussi les agriculteurs qui disent que nous ne pouvons pas continuer comme ça. Je suis aussi capable d’expliquer comment construire une alternative aux mégabassines ou aux pesticides.
Noémie Calais. La valeur de notre terre, la santé, la qualité de l’eau… ce sont de vrais exemples qui parlent à tout le monde dans les villages. Il faut peut-être éviter ce gros mot-valise de l’«écologie», pour parler concrètement de ce qui nous rassemble toutes et tous.
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