Entretien

Marie Pochon : « Dans la ruralité, il y a un abandon total de l’Etat »

Fraîchement élue députée (EELV-Nupes) de la troisième circonscription de la Drôme, Marie Pochon est l’un des nouveaux visages écologistes de l’Assemblée nationale. À Vert, elle raconte les combats qu’elle souhaite mener dans l’hémicycle pour la justice sociale et climatique et son envie de démocratiser la politique en alliant la société civile à ses luttes.
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L’Assem­blée est prise d’as­sos ! Avant de faire son entrée au palais Bour­bon au sein de la Nou­velle union pop­u­laire, sociale et écol­o­giste (Nupes), Marie Pochon est notam­ment passée par Notre affaire à tous, l’une des asso­ci­a­tions qui a fait con­damn­er l’État pour ses insuff­i­sances dans la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique. Cette fig­ure du mou­ve­ment pour le cli­mat a égale­ment par­ticipé à l’organisation des grandes march­es citoyennes pour la planète en 2018 et 2019. A l’Assem­blée nationale, celle qui représente un ter­ri­toire très touché par le change­ment cli­ma­tique et délais­sé des pou­voirs publics promet de con­tin­uer à reli­er écolo­gie et jus­tice sociale.

Comment vivez-vous vos débuts à l’Assemblée nationale ?

Je ressens le poids de la respon­s­abil­ité, notam­ment à cause de la présence du Rassem­ble­ment nation­al (RN), qui est pour moi l’enjeu par­ti­c­uli­er de cette man­da­ture et des années à venir. Je suis arrivée avec pleins de com­bats que j’avais envie de porter, pour le retour des ser­vices publics, pour le pou­voir d’achat, pour l’urgence cli­ma­tique, pour la refon­da­tion démoc­ra­tique, avec l’envie de repoli­tis­er le man­dat de député et de lui redonner un sens. Pour moi, un député doit faire de la poli­tique, mais aus­si aider le plus grand nom­bre de per­son­nes à en faire, sur le ter­ri­toire sur lequel il est élu et ailleurs. 

Donc on arrive avec ces com­bats en tête, et puis on se retrou­ve avec des élus RN dans tous les coins de l’Assemblée. Et tout d’un coup, l’enjeu devient dif­férent : on a bien vu ces derniers jours que chaque vote donne lieu à une sorte d’alliance bizarre de toutes les droites, et con­tre la Nupes pour obtenir des postes. On voit qu’il y a eu une grosse clar­i­fi­ca­tion répub­li­caine, et face à ça, mon sen­ti­ment est celui d’une très grande respon­s­abil­ité. La respon­s­abil­ité de rester soudés pour porter les enjeux de ce siè­cle, qui vont déter­min­er à la fois l’accès aux droits de cette généra­tion, de celle qui arrive et toutes celles qui vien­dront. 

Marie Pochon lors de son pre­mier jour à l’Assem­blée nationale, le 21 juin 2022. © Julien de Rosa / AFP

On ne sait pas encore les out­ils que l’on va pou­voir utilis­er col­lec­tive­ment, mais on sait qu’il va fal­loir aller vite et être très intel­li­gent par rap­port à ce qu’il se passe, car on est peu nom­breux — à peu près 150 députés de la nou­velle union pop­u­laire — et on va avoir besoin de la rue, de tout ce qui se passe à côté. Il va fal­loir nour­rir tout ça pen­dant le man­dat, et il sera néces­saire de démoc­ra­tis­er et décloi­son­ner tout ce qui se passe à l’Assemblée. J’essaye de faire de la péd­a­gogie tous les jours à tra­vers des sto­ries sur les réseaux soci­aux, pour racon­ter ce qui se passe, pour vul­garis­er et associ­er un max­i­mum de gens. Il y a trop de choses en jeu et si elles se règ­lent seule­ment entre les qua­tre murs du palais Bour­bon, on va per­dre (rires). Donc, on aura besoin de la société civile à nos côtés.

Pourquoi avoir décidé d’intégrer la commission « développement durable et aménagement du territoire » de l’Assemblée ? 

C’était cohérent pour moi : je fais par­tie de celles qui ont lancé l’Affaire du siè­cle [une péti­tion ini­tiée par qua­tre organ­i­sa­tions envi­ron­nemen­tales et signée par 2,3 mil­lions de Français·es et, en par­al­lèle, une procé­dure qui a abouti à la con­damna­tion de l’État pour « carence fau­tive » dans la lutte con­tre la crise cli­ma­tique, NDLR], j’ai été très active chez Notre affaire à tous, et avant cela, j’ai mil­ité à Alter­nat­i­ba. J’ai coor­don­né les grandes march­es pour le cli­mat jusqu’en 2019 à peu près. C’est un enjeu qui me tient par­ti­c­ulière­ment à cœur, car je fais par­tie de cette « généra­tion cli­mat ». 

Dans une com­mis­sion comme celle-ci, on peut aller se bat­tre pour relever les objec­tifs de la France, faire en sorte que tous les secteurs soient alignés sur l’Accord de Paris [qui implique de main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique bien en dessous de +2°C à la fin du siè­cle par rap­port à 1990 et, si pos­si­ble, sous 1,5°C, NDLR], car cela fait par­tie des droits humains fon­da­men­taux et il me tient à cœur de les défendre.

Par ailleurs, je viens d’une cir­con­scrip­tion extrême­ment rurale, où les enjeux d’agriculture, d’énergie, de trans­ports ou d’accès à l’eau sont essen­tiels. La Drôme est très touchée par la sécher­esse et les feux de forêts et la plu­part des impacts du réchauf­fe­ment cli­ma­tique y sont déjà vis­i­bles. Ce sont des sujets extrême­ment liés à l’amé­nage­ment du ter­ri­toire.

« À un moment, on ne peut plus ignor­er les échéances élec­torales en espérant faire du plaidoy­er, encore et encore, pour la jus­tice sociale et le cli­mat, face à des élus qui n’entendent pas l’urgence et qui préfèrent écouter les lob­bies privés. »

À titre per­son­nel, j’ai aus­si un prisme autour des luttes locales. Après m’être beau­coup battue à l’échelle nationale pour des lois plus ambitieuses sur les ques­tions écologiques et con­tre les déro­ga­tions au droit envi­ron­nemen­tal [chez Notre affaire à tous, NDLR], j’ai tra­vail­lé à l’émergence de mou­ve­ments soci­aux qui vien­nent d’en bas, au niveau des ter­ri­toires, con­tre des pro­jets imposés et pol­lu­ants un peu partout en France. Je suis per­suadée que la lutte passe par tous les niveaux, à l’échelle française, européenne, mais aus­si locale. Il faut coor­don­ner ces com­bats et don­ner des out­ils aux citoyens et aux citoyennes sur le ter­rain.

Pourquoi avoir décidé de devenir députée et de passer de l’associatif à la politique ? 

J’ai un pied dans la poli­tique depuis plusieurs années. J’ai tra­vail­lé avec Marie Tou­s­saint [eurodéputée verte française, NDLR] au Par­lement européen et j’ai dirigé des cam­pagnes, notam­ment celle des écol­o­gistes pour les régionales de 2021 en Auvergne-Rhône-Alpes face à Lau­rent Wauquiez. 

Le déclic remonte à 2019, au moment où j’ai quit­té Notre affaire à tous en tant que salariée. Je me suis dit : « On a lancé l’Affaire du siè­cle, on a aucune réponse. Il y a bien la Con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat, mais on sent déjà que ça n’aboutira à rien », et j’ai réal­isé qu’il fal­lait aus­si agir par d’autres leviers, et que le poli­tique pou­vait être un levi­er intéres­sant. C’est sim­ple, si on veut plus d’ambitions, il faut plus d’élus. À un moment, on ne peut plus ignor­er, ou en tout cas enjam­ber les échéances élec­torales, en espérant faire du plaidoy­er encore et encore pour la jus­tice sociale et le cli­mat, face à des élus qui n’entendent pas l’urgence et qui préfèrent écouter les lob­bies privés. Et plus glob­ale­ment, je pense aus­si qu’il y a un vrai besoin généra­tionnel de rem­plac­er les élus exis­tants. 

Marie Pochon en 2019 alors qu’elle tra­vail­lait encore auprès de Notre affaire à tous, une des asso­ci­a­tions qui a ini­tié le recours en jus­tice con­tre l’É­tat français pour inac­tion cli­ma­tique. © La Base / Clé­ment Tis­sot

Qu’est-ce que cela représente d’avoir plusieurs figures du mouvement climat qui intègrent l’Assemblée nationale ? 

Je suis assez fière de notre groupe et de la Nupes car on a investi pleins de nou­veaux vis­ages — notam­ment des fig­ures qui vien­nent des luttes, que ce soit Alma Dufour, Aurélie Trou­vé, Rachel Keke, bien sûr — sur d’autres sujets : on est quelques femmes mil­i­tantes, et c’est impor­tant de don­ner à voir ces vis­ages-là, qui ne sont pas des appa­ratchiks des par­tis et qui vien­nent de la rue. Car la rue a per­mis beau­coup d’avancées ces dernières années, que ce soit dans les mou­ve­ments fémin­istes avec Me too, dans le mou­ve­ment cli­mat avec les grandes march­es ou l’Affaire du siè­cle, au niveau des mou­ve­ments soci­aux avec les gilets jaunes. Tous ces gens qu’il nous appar­tient aujourd’hui d’aller représen­ter à l’Assemblée nationale.

Par nos expéri­ences mil­i­tantes et asso­cia­tives, on a des réseaux qu’il ne tient qu’à nous de faire vivre, d’accompagner, de met­tre en lien. C’est une grande mis­sion que je me fixe, à l’échelle nationale et à l’échelle locale, pour pou­voir tra­vailler en coali­tion avec l’ensemble de ces organ­i­sa­tions. Je pars du principe qu’à par­tir du moment où les citoyens déser­tent un espace poli­tique, il faut réus­sir à les « recon­quérir » pour ne pas laiss­er la place à l’extrême droite ou aux lob­bies. La grande rural­ité est un espace qu’on a beau­coup délais­sé, nous à gauche et nous écol­o­gistes. Il nous appar­tient d’y être présent, à l’écoute, pour porter les reven­di­ca­tions et les com­bats qui s’y jouent.

À titre personnel, sur quels sujets comptez-vous particulièrement vous investir en tant que députée ?

Je suis une des seules écol­o­gistes élues dans la grande rural­ité. Ma cir­con­scrip­tion est l’une des plus vastes de France — elle com­porte 240 com­munes. Elle représente des enjeux énormes et surtout beau­coup d’oubliés, des invis­i­bles de la République. Quand on vit dans des ter­ri­toires ruraux, on a tou­jours l’impression d’être relégués au sec­ond plan. Et moi j’en suis issue, j’ai gran­di là-bas et j’ai tou­jours con­nu ce sen­ti­ment-là de relé­ga­tion. Donc, pour moi, c’est une fierté de représen­ter ces gens.

« Ce qui se joue, c’est l’enjeu de l’accès aux droits et la défense des droits fon­da­men­taux. Car la crise cli­ma­tique impacte iné­gale­ment les uns et les autres. »

Je me vois comme une porte-parole, comme une facil­i­ta­trice de réseaux, d’appui aux luttes locales pour le retour des ser­vices publics ou pour un meilleur partage de l’eau, d’appui à celles et ceux qui lut­tent pour l’accueil de réfugiés, qui veu­lent tran­si­tion­ner en terme d’agriculture, qui lut­tent pour les droits des femmes — ce qui est notam­ment un énorme enjeu dans la rural­ité, où il y a un aban­don total de l’État, alors que les vio­lences faites aux femmes sont extrême­ment impor­tantes dans ces ter­ri­toires. Mon enjeu, c’est d’aller porter ces voix-là qui sont totale­ment absentes du débat pub­lic à l’Assemblée nationale. 

J’ai aus­si des com­bats plus vastes aus­si autour de la jus­tice cli­ma­tique, que j’ai portés pen­dant des années au niveau asso­ci­atif et que je veux emmen­er à l’Assemblée. Je pense notam­ment à la recon­nais­sance du crime d’écocide, à la recon­nais­sance des droits du vivant. Il faut qu’on arrive à avancer en posant des jalons sur cha­cun de ces sujets, que ce soit à l’échelle locale ou nationale. Ce qui se joue, c’est l’enjeu de l’accès aux droits et la défense des droits fon­da­men­taux. Car la crise cli­ma­tique, aujourd’hui, impacte iné­gale­ment les uns et les autres.

On a un cer­tains nom­bres de droits fon­da­men­taux des pop­u­la­tions qui sont touchés par l’inaction poli­tique, que ce soit le droit au loge­ment, à la san­té, à la pro­priété, à la vie dans cer­tains cas. Tous ces droits ne sont pas assez pro­tégés par l’État. Mon rôle va être de faire en sorte qu’il tienne ses oblig­a­tions en matière cli­ma­tique, mais aus­si de réguler l’action des multi­na­tionales. Dans la lignée de la loi sur le devoir de vig­i­lance de 2017, il fau­dra se bat­tre pour que les objec­tifs cli­ma­tiques et soci­aux des entre­pris­es respectent stricte­ment les lois, et plus par­ti­c­ulière­ment ceux des boîtes qui reçoivent de l’argent pub­lic. On ne doit pas accepter qu’un seul euro d’argent pub­lic soit rever­sé à des entre­pris­es qui met­tent à mal les objec­tifs envi­ron­nemen­taux et les ques­tions sociales.

Comment votre groupe compte-il faire exister les sujets liés à l’écologie et à la justice sociale dans les premiers chantiers législatifs qui vous attendent cet été, notamment dans le cadre de la future loi sur le pouvoir d’achat ?

La Nupes est en train de tra­vailler sur une propo­si­tion de loi pou­voir d’achat et urgence sociale en par­al­lèle du pro­jet de loi du gou­verne­ment [celle-ci a été présen­tée la semaine dernière, NDLR]. On déposera tous les amende­ments qui repren­nent l’esprit de notre propo­si­tion, et de tout ce qu’on a pu porter pen­dant la cam­pagne élec­torale, que ce soit le SMIC à 1 500 euros, l’allocation min­i­male pour les plus jeunes, le blocage des prix, la réno­va­tion ther­mique des loge­ments. Tous ces enjeux que l’on souhaite porter dans le tra­vail par­lemen­taire pour que la loi « pou­voir d’achat » aille plus loin et agisse à la racine de la crise sociale que l’on tra­verse. Aujourd’hui, on a droit à des mesurettes, à des chèques, à des primes alors qu’on est con­fron­tés à un prob­lème struc­turel. Les revenus les plus impor­tants en France ont triplé ces cinq dernières années et pen­dant ce temps, les plus pau­vres vivent une infla­tion à 5% et des salaires qui ont stag­né. Là, on a un sujet struc­turel majeur qui est : est-ce qu’on aide le cap­i­tal, ou est-ce qu’on veut accom­pa­g­n­er le tra­vail ? Et nous, on table sur la hausse des revenus de manière générale, pour pro­pos­er des solu­tions pérennes qui per­me­t­tent d’accompagner les plus pré­caires au long terme.

La ques­tion, c’est : com­ment on arrive à incar­n­er cette rup­ture-là dans la façon de penser le monde pour pou­voir pré­par­er l’après, dans une logique de plan­i­fi­ca­tion — ce que le gou­verne­ment ne fait pas -, et com­ment on arrive à anticiper pour éviter le pire.