Portrait croisé

Avec Alma Dufour et Lumir Lapray, le mouvement pour le climat part à l’assaut de l’Assemblée nationale

Alma Dufour (32 ans) et Lumir Lapray (29 ans) sont candidates aux élections législatives des 12 et 19 juin prochains. Leur point commun : elles sont issues des rangs du mouvement pour le climat, où elles ont milité pendant plusieurs années avant de bifurquer en politique. Portrait croisé.
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L’une a ini­tiale­ment été investie en Seine-Mar­itime par la France insoumise (LFI), l’autre dans l’Ain par Europe Écolo­gie-les Verts (EELV). La pre­mière a fait ses armes chez les Amis de la Terre, la sec­onde auprès d’Alternatiba. Alma Dufour et Lumir Lapray, deux fig­ures du mou­ve­ment cli­mat, sont désor­mais réu­nies sous la ban­nière de la Nupes, la Nou­velle union pop­u­laire écologique et sociale, née de l’union de la gauche en vue des lég­isla­tives.

Lumir a active­ment mil­ité pen­dant un an et demi chez Alter­nat­i­ba Paris, en par­al­lèle de son activ­ité de con­sul­tante indépen­dante en entre­prise. Elle y a con­tribué à organ­is­er plusieurs march­es pour le cli­mat et a tra­vail­lé sur la cam­pagne de son mou­ve­ment con­tre l’aviation, notam­ment opposé à l’extension du ter­mi­nal 4 de Rois­sy. Elle est depuis repar­tie vivre dans son départe­ment d’origine, l’Ain, où elle brigue un siège de députée.

Lumir Lapray milite pour une écolo­gie pop­u­laire et péri­ur­baine © Face­book Lumir Lapray

Après avoir mon­té des asso­ci­a­tions, par­ticipé à des mou­ve­ments syn­di­caux et été activiste au sein d’une ONG, elle s’est pro­gres­sive­ment ren­due compte des lim­ites de ces formes d’engagement. « En poli­tique, tu peux chang­er la vie des gens en un seul vote », s’exclame-t-elle. Elle tire cet ent­hou­si­asme d’une cam­pagne vic­to­rieuse menée aux États-Unis en 2015, où elle a aidé le mou­ve­ment Fight for 15 à dou­bler le salaire min­i­mum dans la ville de Los Ange­les, ce dernier pas­sant à 15,25 dol­lars de l’heure. « C’était assez fou de voir con­crète­ment ce que les gens allaient faire grâce à ça, démé­nag­er, acheter des choses pour leurs enfants… »

La nécessité de changer d’échelle

Mais le déclic ne s’est pas fait aus­sitôt. Lumir Lapray a longtemps con­sid­éré que les dirigeant·es ne dis­po­saient que d’une fine et lente marge de manœu­vre. Jusqu’au Covid-19. « En quelques jours à peine, on a entière­ment réor­gan­isé la société. Le prob­lème, ce n’était pas un manque de moyens, mais un manque de courage. C’est là que je me suis dit qu’il fal­lait y aller », se remé­more-t-elle.

De son côté, Alma a tra­vail­lé cinq ans pour les Amis de la Terre entre 2017 et 2022, durant lesquels elle a piloté de nom­breuses cam­pagnes — notam­ment con­tre l’implantation d’Amazon. En trois ans, elle se réjouit d’avoir fait tomber cinq pro­jets d’entrepôts un peu partout en France. Elle est désor­mais can­di­date dans une cir­con­scrip­tion où elle a juste­ment empêché l’installation d’un cen­tre logis­tique. C’était à Petit-Couronne (Seine-Mar­itime) il y a quelques mois.

Alma Dufour lors d’une man­i­fes­ta­tion con­tre le licen­ciement de sous-trai­tants d’Amazon à Sot­teville-lès-Rouen (Seine-Mar­itime), le 5 mai 2022. © Face­book Alma Dufour

Deux moment ont fait bas­culer l’engagement poli­tique de la can­di­date Nupes. Le pre­mier fut le choc qu’elle a ressen­ti face à la vio­lence infligée par l’État « répres­sif » con­tre les Gilets jaunes, mou­ve­ment auquel elle a pris part. Sec­ond déclic : le détri­co­tage des quelque 150 mesures pro­posées par la Con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat lors de leur tra­duc­tion dans la loi « cli­mat et résilience », votée en 2021 sur laque­lle elle a beau­coup tra­vail­lé aux Amis de la Terre. « Un énorme crève-cœur », souf­fle la jeune femme. « L’effort que ça nous coûte [aux activistes, NDLR] pour obtenir des petites vic­toires est énorme. Sans pren­dre le con­trôle de cer­tains leviers, notam­ment le levi­er lég­is­latif, nos méth­odes sont lim­itées et le rap­port de force trop défa­vor­able », regrette-t-elle. « C’est bien de s’opposer à des pro­jets un par un, mais il faut remon­ter le courant jusqu’aux vraies caus­es, aux vrais fac­teurs qui nous ont mis dans l’impasse. »

Proposer un nouveau récit sur l’écologie et la justice sociale

Les deux mil­i­tantes sont désor­mais can­di­dates dans des cir­con­scrip­tions loin d’être gag­nées, actuelle­ment aux mains des Répub­li­cains pour Lumir Lapray et de la République en marche pour Alma Dufour.

Un défi qui n’effraie pas cette dernière, en cam­pagne dans un ter­ri­toire forte­ment indus­triel. « Soit on se présente pour représen­ter des gens qui nous ressem­blent et nous sont déjà acquis, soit on le fait pour con­stru­ire quelque chose de nou­veau. C’est juste­ment dans les zones indus­trielles ou agri­coles qu’il existe des points de ten­sion impor­tants entre l’écologie et le social et que l’on doit artic­uler ces enjeux », argu­mente la can­di­date.

La cir­con­scrip­tion visée par Lumir Lapray est majori­taire­ment péri­ur­baine et a pri­ori peu sen­si­ble au dis­cours écol­o­giste. Cette dernière cherche à mon­tr­er qu’« il existe une troisième voie entre bobo et facho, une écolo­gie pop­u­laire et péri­ur­baine éloignée des clichés ».

Pour l’une comme pour l’autre, le pas­sage de l’activisme à la poli­tique ne se fait pas sans ani­croche. Lumir Lapray dit subir un procès en illégitim­ité, avec des piques sou­vent venues de son pro­pre camp. « On nous attaque sur la forme - une cam­pagne trop améri­caine, trop com­mer­ciale — et sur le fond — je serais une araignée qui tisse sa toile, mais sans rien dans la tête, et j’en passe des meilleures », soupire-t-elle. Pas de quoi arrêter cette infati­ga­ble mil­i­tante, qui y perçoit « la respon­s­abil­ité de fix­er un stan­dard pour toutes celles qui suiv­ront, pour mon­tr­er que c’est pos­si­ble ».

Lumir Lapray (à gauche) avec des militant·es d’Alternatiba Paris lors d’une marche pour le cli­mat © DR

Dans sa cir­con­scrip­tion, Alma Dufour ressent une forte défi­ance vis-à-vis des poli­tiques. Une posi­tion qu’elle com­prend pour l’avoir partagée longtemps. « Je n’aurais jamais été mil­i­tante et je n’aurais pas mené des actions coup de poing si je pen­sais que les décideurs en fai­saient assez sur le plan poli­tique », admet-elle. « Mais je suis désor­mais perçue comme étant l’une d’entre eux, et ce n’est pas tou­jours facile de devoir défendre un héritage qu’on a longtemps com­bat­tu ».

Mal­gré les dif­fi­cultés éprou­vées, les deux femmes s’accordent à dire que leur expéri­ence d’activistes dans le mou­ve­ment cli­mat sera un avan­tage cer­tain à l’Assemblée nationale. Pour Alma Dufour, cela comblerait le déficit de con­nais­sances « ter­ri­ble et bluffant » d’une majorité de député·es actuel·les sur les ques­tions d’écologie. « C’est sim­ple : ils n’ont aucune cul­ture sur le change­ment cli­ma­tique, aucune idée des échelles et de ce qui pol­lue vrai­ment et ça donne lieu à des débats lunaires ! » Elle juge « essen­tiel » de compter des député·es convaincu·es, mais surtout, formé·s.

Sur le plan des pra­tiques, « je suis per­suadée qu’on a des méth­odes d’organisation col­lec­tive qui fonc­tion­nent et le pou­voir d’incarner une cause, con­sid­ère de son côté Lumir Lapray. Mais aus­si que l’on pour­ra faire le pont entre les mon­des mil­i­tant et poli­tique ».

D’autres fig­ures du mou­ve­ment cli­mat sont en cam­pagne pour ces lég­isla­tives. Marie Pochon, can­di­date dans la Drôme, a été coor­di­na­trice de l’association Notre affaire à tous, qui a fait con­damn­er l’État pour inac­tion cli­ma­tique avec les autres organ­i­sa­tions de l’Affaire du siè­cle — Green­peace, Oxfam et la Fon­da­tion pour la Nature et l’Homme (Vert). Dans le Cal­va­dos, le mil­i­tant du mou­ve­ment Youth for Cli­mate Noé Gauchard affron­tera la pre­mière min­istre Élis­a­beth Borne. Dans la cir­con­scrip­tion voi­sine, Emma Four­reau, étu­di­ante et cofon­da­trice de l’association de pro­tec­tion des écosys­tèmes marins Sang Océan, est égale­ment can­di­date. Les trois briguent le poste de député·e sous la cas­quette de la Nupes.