Élu en 2017 sous l’étiquette En marche ! avant de quitter la majorité début 2019, le député écologiste Matthieu Orphelin a annoncé qu’il ne se représenterait pas aux prochaines législatives. Dans un petit ouvrage publié chez Rue de l’échiquier, l’ingénieur dresse le bilan de ses cinq années passées à l’Assemblée nationale et partage sa vision des grands chantiers à poursuivre pour opérer une transition écologique juste et solidaire. Entretien.
Les combats menés par un député écologiste sont multiples et la quantité de chantiers que vous énumérez dans ce livre (comme celle des 2 000 amendements que vous avez déposés) donne le vertige. Quel sentiment vous anime, présentement ?
Le travail abattu paraît énorme et ces cinq années sont passées en une fraction de seconde ! Si la liste des victoires est longue, plus longue encore est celle des défaites. Mais ce n’est pas la raison qui me pousse à arrêter : j’ai aimé chaque jour de ce mandat et je n’ai pas la sensation, comme d’autres, de n’avoir servi à rien.

Aujourd’hui, de nombreuses avancées restent à accomplir pour répondre aux impératifs environnementaux et sociaux. Je m’arrête, car je n’ai pas envie de devenir un professionnel de la politique et parce que le burn out que j’ai connu fin 2019 me pousse à continuer à défendre les causes écologiques avec d’autres formes d’engagement. La vie de député est exaltante, déséquilibrée, publique. La politique est une drogue dure et je vais devoir apprivoiser les symptômes du manque.
« Leur méconnaissance des enjeux conduit à relativiser l’urgence et résulte dans une mollesse politique que je déplore. »
En 2017, vous êtes élu sous l’étiquette de la République en marche. Pourquoi avoir quitté la majorité présidentielle durant votre mandat ?
Au bout d’un an et demi, j’ai réalisé que nous n’étions pas au rythme des grands chantiers. La majorité était pleine de députés inexpérimentés. Il aurait été possible de s’appuyer sur la variété de leurs parcours pour faire vivre une diversité politique. Hélas, la volonté présidentielle de caporaliser le groupe majoritaire leur a fait perdre toute capacité d’initiative. Je ne suis pas parti fâché, mais déçu de cette « majorité Playmobil » et de son manque de courage.
J’ai aussi mesuré leur manque de pleine conscience écologique et climatique. L’écart entre les transformations à engager et l’action dont ils se satisfont collectivement est abyssal. Leur méconnaissance des enjeux conduit à relativiser l’urgence et résulte dans une mollesse politique que je déplore.
Sans parler de la façon dont certains conseillers et ministres manipulent les textes : comme je l’explique dans le livre, l’étude d’impact de la loi « climat et résilience » [votée en 2021 dans le prolongement du travail de la Convention citoyenne pour le climat, NDLR] a été trafiquée pour faire croire qu’elle permettait de répondre aux deux tiers de l’objectif de réduction des émissions de CO2 fixés par l’Accord de Paris. En réalité, Barbara Pompili [alors ministre de la transition écologique, NDLR] et son cabinet ont maquillé le peu d’effets de la loi. Les calculs que j’ai menés avec mon équipe, vérifiés ensuite par le Boston consulting group, ont prouvé que loi climat ne permet d’économiser que 12 millions de tonnes de CO2 par an là où il en faudrait 100.
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À vous entendre, on a l’impression que les marges de manœuvre sont faibles…
Le rôle des députés est de contrôler l’action de l’exécutif. La France ne peut plus être complice d’atteintes aux droits humains et aux projets climaticides sur son territoire comme ailleurs – je pense au projet Eacop porté par TotalEnergies [en Ouganda et en Tanzanie – notre article], à la situation en Ukraine qui rebat les cartes des approvisionnements énergétiques, ou bien encore aux enjeux liés au commerce international par exemple. La cohérence et l’honnêteté politique sont indispensables pour stabiliser le réchauffement à 1,5°C [par rapport à l’ère préindustrielle, soit l’objectif de l’Accord de Paris, NDLR] et limiter l’extinction du vivant. En ce sens, l’Assemblée nationale est le lieu privilégié en France pour porter les causes de l’environnement, de la démocratie et de la solidarité.
« Ce sont les sujets clefs où porter les combats – sachant que rien n’est jamais simple ; la politique est un rapport de force permanent où le lobby le plus fort est celui de l’immobilisme. »
Quelles armes parlementaires privilégier pour mener ses combats d’élu·e ?
Un ou une députée a deux missions : écouter les gens et trouver des solutions à partir du terrain. Pour cela, il ou elle doit avant tout participer au vote des lois et proposer en amont des amendements – qui sont autant d’occasions de prendre la parole pour défendre sa position. Afin que sa position soit comprise, et soutenue, il me semble crucial de jouer la carte du collectif et de dépasser les logiques de parti, avec une approche trans-partisane. Enfin, il est nécessaire d’entretenir de bons liens avec les forces vives de la société civile : l’expertise des ONG m’a été indispensable pour affiner mes arguments sur certains sujets, tels que la biodiversité ou l’économie circulaire. D’une manière générale, il faut faire de la veille et avoir une bonne mémoire !
Votre ouvrage est comme un legs pour celles et ceux qui vont reprendre le flambeau avec les mêmes préoccupations politiques. Vous proposez quatre chemins à emprunter pour construire une transition écologique juste et solidaire, en fournissant en fin d’ouvrage un résumé assez gigantesque de ce qu’il reste à faire…
Oui, c’est ma façon de jeter un pavé dans la mare de l’inaction politique et de la démocratie malade. Durant mon mandat, j’ai partagé mes dépenses et mes rendez-vous avec les lobbies en toute transparence. J’ai aussi partagé un bilan des sujets sur lesquels j’ai obtenu des avancées, et ceux sur lesquels il reste à faire. J’ai repris cette synthèse dans mon livre et j’espère que ce legs infusera dans les partis et chez les 577 parlementaires qui vont entamer leur mandat, qu’ils et elles soient écologistes ou non. L’écologie est l’affaire de tous.
Les voies que je dessine concernent l’avenir de la démocratie, les choix énergétiques, la justice sociale, la solidarité et la jeunesse. Ce sont les sujets clefs où porter les combats – sachant que rien n’est jamais simple ; la politique est un rapport de force permanent où le lobby le plus fort est celui de l’immobilisme.
Vos collaborateurs ont tous moins de 30 ans ou presque et vous leur rendez un bel hommage. Quel message voulez-vous faire passer à la jeunesse ?
Il est temps de se réconcilier avec la démocratie et de ne pas abandonner le champ politique. Il faut se battre partout, à toutes les échelles, car c’est la somme de tout cela qui fera la victoire.