Reportage

«Tuer le loup ne sert à rien, il reviendra» : dans le Lot, ces bénévoles dorment avec les troupeaux pour les protéger des attaques

Plus bêle la vie. Le programme Pastoraloup de l’association Ferus commence à prendre racine dans le Lot. Objectif : apporter un soutien aux éleveur·ses en assurant une présence humaine auprès des troupeaux. Un engagement citoyen, écologique et concret face au retour du prédateur.
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Sur les hauteurs arides du causse lotois, quelques tentes s’installent entre les pierres blanches et l’herbe grillée par le soleil. Sous la chaleur de ce début de soirée de la fin juin, un petit campement s’organise à l’ombre des arbres, à deux pas d’un troupeau de chèvres curieuses.

Parmi les bénévoles, Jean-Marc Regourd, retraité aveyronnais de 66 ans, a opté pour une tente de toit vissée sur son utilitaire. Il faut dire qu’il n’en est pas à son coup d’essai : bivouaquer auprès des troupeaux pour les protéger du loup, il le fait depuis plusieurs mois. Après des missions dans les Alpes-Maritimes, les Baronnies et les Bouches-du-Rhône, il participe désormais au tout premier stage Pastoraloup organisé dans le Lot.

L’objectif de Pastoraloup est de limiter les attaques de loup en laissant des manifestations humaines (urines, odeurs, bruits) autour des troupeaux. © Caroline Peyronel/Vert

Le programme a été lancé en 1999 par l’association Ferus, qui milite pour la sauvegarde du loup, de l’ours et du lynx en France. L’idée : réintroduire une présence humaine, la nuit, aux abords des troupeaux. Une forme de garde citoyenne, non armée, mais dissuasive. «Le loup est intelligent, et il a plus peur de nous que nous avons peur de lui», sourit Jean-Marc Regourd, sac de couchage sous le bras.

Une formation grandeur nature

Ce samedi 21 juin, ils sont 28 bénévoles à suivre une formation à Labastide-Murat (Lot), au cœur du Parc naturel régional des causses du Quercy. Certain·es viennent du département, d’autres de Dordogne, d’Aveyron ou de Toulouse. Toutes et tous partagent le même objectif : aider les éleveur·ses à protéger leurs bêtes autrement que par la chasse au loup. Le stage alterne théorie et immersion : bivouac, sécurité, comportement à adopter en cas de prédation, cohabitation avec les chiens de protection.

«Dormez d’un œil ! Pas de bouchons d’oreilles !», plaisante Fannie Malet, coordinatrice de terrain pour Ferus. Le ton est léger, mais la mission sérieuse : chaque bénévole s’engage à veiller au moins trois nuits par saison, toujours en binôme. Elles et ils apprennent également à reconnaître les dangers du terrain : les igues, ces profonds gouffres calcaires dissimulés dans la végétation ; ou les mouvements brusques d’un troupeau effrayé, qui peuvent facilement déséquilibrer un veilleur non averti. Une vigilance de tous les instants est de mise.

Comme le rappelle Fannie Malet, formatrice pour Ferus, lors des bivouacs, les bénévoles doivent être sans cesse sur le qui-vive. © Caroline Peyronel/Vert

Pastoraloup ne prétend pas éradiquer le risque d’attaques de loups, mais offrir une alternative. «Ce n’est pas une solution miracle, mais cela réduit la prédation, explique Fannie Malet. L’an dernier, on a mis en fuite des loups à une dizaine de reprises.»

Le dispositif permet aussi de retarder le recours aux tirs létaux, une réponse controversée. «Le chien de protection est la solution la plus pérenne, mais cela demande 18 mois de formation. Pastoraloup est une aide ponctuelle, immédiate», ajoute la formatrice.

Un territoire sur le qui-vive

Si le Lot n’a pas encore subi d’attaques massives, des signes inquiétants sont apparus localement. En 2022, une louve isolée a attaqué plusieurs troupeaux dans le nord du département. L’événement a marqué les esprits : «On a découvert ce prédateur comme s’il débarquait pour la première fois», se souvient Myriam Calmejane, animatrice Ferus. Fille d’éleveur·ses lotois·es, elle agit comme médiatrice entre les bénévoles, les agriculteur·ices et le Parc naturel régional. «On a voulu anticiper. Et on veut pouvoir intervenir dans les départements voisins où il y a déjà de la prédation, comme la Corrèze et le Cantal», raconte-t-elle. Avec plus de 170 000 brebis dans le département, le Lot fait face à un risque réel de prédation. C’est pourquoi Ferus déploie Pastoraloup dès maintenant, pour instaurer une protection proactive.

Avec 170 000 brebis et de nombreux élevages caprins, le Lot offre un terrain idéal pour le loup. © Caroline Peyronel/Vert

Julien Vielcazal, éleveur ovin à Limogne-en-Quercy, se souvient de l’année noire 2022 : cinq attaques, une douzaine de bêtes perdues. «La vraie douleur est psychologique : l’angoisse de découvrir une carcasse au petit matin, la peur que ressentent les enfants… c’est une pression permanente», confie-t-il.

Il a découvert Pastoraloup dans la presse, et s’interroge encore sur sa mise en œuvre. «Ce dispositif peut soulager, mais il faut accepter que des inconnus dorment sur vos terres. Ce n’est pas anodin. Et puis, tous les éleveurs ne veulent pas forcément cohabiter avec le loup.» Derrière l’initiative, la tension demeure. Le monde de l’élevage voit parfois d’un mauvais œil ces actions perçues comme pro-loups. «Certains pensent que c’est une manière détournée de protéger le loup. Le risque, c’est de créer des divisions entre éleveurs : ceux qui s’adaptent et ceux qui veulent l’éradiquer», prévient-il.

Cohabiter, sans convaincre

Les bénévoles le savent, ils ne sont pas là «pour sensibiliser ou débattre, insiste Fannie Malet. Juste pour veiller.» Parmi elles et eux, Marie Mercui, 38 ans, consultante toulousaine, installe sa petite tente orange achetée 20 ans plus tôt. «J’ai grandi avec les livres de Jack London. Et j’ai vu un loup, une fois, dans l’Aubrac, raconte celle qui est depuis fascinée par ces animaux. Ici, ce qui me plaît, c’est qu’on agit. Dans d’autres associations, on fait de la sensibilisation. Chez Ferus, on expérimente, dans toute la complexité du réel.»

Fascinée par le loup depuis l’enfance, Marie Mercui cherchait une manière d’agir sur le terrain. © Caroline Peyronel/Vert

À Loubressac, dans le nord du Lot, Julien Taillefer, éleveur de chèvres angoras, accueille le groupe. Il n’a pas subi d’attaque, mais reste vigilant. Reconnaissables à leur long pelage soyeux, ses chèvres quémandent des caresses et glissent leur museau dans les sacs des visiteur·ses.

«Il n’y a que des champs à trois kilomètres autour de ma ferme. Mes petites chèvres sont des proies faciles pour un prédateur», soupire l’éleveur. Classé en «cercle 2» en 2024 – niveau de suspicion de présence du loup –, son secteur est en alerte. «Avec la prédation, soit on rentre les bêtes, soit on reste avec elles. Pastoraloup pourrait m’aider à souffler un peu», confie-t-il.

Julien Taillefer, 46 ans, entouré de ses chèvres et de son fidèle berger de Podhale. © Caroline Peyronel/Vert

Son chien de protection, massif et placide, déambule entre les bénévoles en cette fin d’après-midi. Il les observe, s’approche parfois, puis retourne vers les chèvres d’un pas tranquille, sans jamais rompre sa vigilance. Cette cohabitation éphémère et paisible illustre ce que le programme tente d’installer : une forme d’équilibre entre l’humain, le troupeau et le prédateur invisible.

Sur les hauteurs, le soleil décline et les sacs de couchage s’alignent près des tentes. «Pastoraloup est un bon compromis. Tuer le loup ne sert à rien, il reviendra. Et on a besoin des éleveurs pour entretenir les paysages», conclut Jean-Marc Regourd. Il se prépare déjà à de nouveaux bivouacs, dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) et en Savoie.

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