Décryptage

Que peut l’Assemblée nationale pour l’écologie ?

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Les député·es qui seront élu·es les 12 et 19 juin prochains dis­posent en théorie de moyens con­sid­érables pour infléchir la poli­tique gou­verne­men­tale et y insuf­fler davan­tage d’écologie. Tour d’horizon.

Piloter le travail législatif

« Le Par­lement vote la loi » : c’est même, selon la Con­sti­tu­tion française, la pre­mière de ses mis­sions. Les député·es ont la charge d’adopter ou non les pro­jets de loi soumis par le gou­verne­ment, ce qui leur con­fère la pos­si­bil­ité de blo­quer des textes cli­mati­cides ou qui ne pro­poseraient pas assez de garanties envi­ron­nemen­tales. Les élu·es de l’Assemblée nationale peu­vent égale­ment soumet­tre des amende­ments aux textes de lois afin d’introduire des garde-fous envi­ron­nemen­taux. Enfin, ils ont la pos­si­bil­ité de faire leurs pro­pres propo­si­tions de loi, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition. Dans ce sec­ond cas, un temps restreint est prévu à cet effet lors des « nich­es par­lemen­taires ». Si ces rares ses­sions, éparpil­lées à tra­vers l’année, accouchent de textes générale­ment bal­ayés par la majorité, elles ont au moins la ver­tu de pou­voir faire exis­ter médi­a­tique­ment cer­tains sujets.

Sur le plan écologique, les député·es de la prochaine lég­is­la­ture auront de lour­des respon­s­abil­ités puisqu’elles et ils seront chargé·es de vot­er la toute pre­mière loi de pro­gram­ma­tion pour l’énergie et le cli­mat (LPEC) d’ici au 1er juil­let 2023. Cette loi devra fix­er les pri­or­ités d’actions de la poli­tique nationale avec des objec­tifs datés et chiffrés pour la réduc­tion des émis­sions gaz à effet de serre (GES) et de la con­som­ma­tion énergé­tique, ain­si que pour le développe­ment des renou­ve­lables. De ce texte essen­tiel dépen­dra la révi­sion de la Stratégie nationale bas-car­bone (SNBC), la feuille de route cli­ma­tique de la France à hori­zon 2030. Les futur·es par­lemen­taires auront la tâche de véri­fi­er que les ambi­tions de la LPEC sont cohérentes avec l’urgence cli­ma­tique.

Orienter le budget de l’État

Chaque année, à l’automne, les député·es et les sénateur·rices doivent vot­er le pro­jet de loi finances (PLF), qui cor­re­spond au bud­get de l’État, et ain­si valid­er les recettes et les dépens­es prévues pour l’année suiv­ante. C’est un moment cap­i­tal puisque le PLF va influ­encer la poli­tique menée par le gou­verne­ment. En théorie, les député·es ont alors le pou­voir d’orienter les débats pour obtenir une meilleure prise en compte de l’écologie dans les choix budgé­taires. Elles et ils peu­vent décider d’orienter les ressources de l’État vers la tran­si­tion écologique, les mobil­ités durables, les éner­gies renou­ve­lables, ou, à l’inverse, de réduire la voil­ure sur des grands pro­jets non durables.

Enfin, les futur·es député·es auront pour nou­velle mis­sion de sur­veiller la mise en œuvre de la plan­i­fi­ca­tion écologique par la pre­mière min­istre, Élis­a­beth Borne, afin de s’assurer de la cohérence des moyens mis au ser­vice de la tran­si­tion.

Contrôler et aiguiller l’action du gouvernement

Au-delà de leur pou­voir lég­is­latif, il incombe aux par­lemen­taires de con­trôler l’action de l’exécutif. Chaque semaine, les député·es peu­vent l’interroger lors des ses­sions de ques­tion au gou­verne­ment le mar­di et mer­cre­di après-midi. C’est l’occasion de sur­veiller la poli­tique menée par l’exécutif et de l’interpeller sur des sujets jugés impor­tants.

Les mem­bres de l’Assemblée sont réparti·es dans huit com­mis­sions per­ma­nentes (finances, développe­ment durable, affaires cul­turelles, etc). Ces organes ont le pou­voir d’initier des com­mis­sions d’enquête ou des mis­sions d’information pour dili­gen­ter des rap­ports sur des sujets d’utilité publique. Dans ce cadre, les député·es peu­vent for­muler des propo­si­tions con­crètes pour ren­forcer l’action publique, ces dernières pou­vant être repris­es dans des textes de loi. Par exem­ple, la com­mis­sion d’enquête sur la pol­lu­tion au chlordé­cone dans les Antilles, lancée en 2019, a abouti au plan Chlordé­cone IV en 2019, ce dernier reprenant en grande majorité les recom­man­da­tions de la rap­por­teure Jus­tine Bénin, nou­velle secré­taire d’État à la mer. Cet instru­ment peut donc infléchir l’action du gou­verne­ment et met­tre à l’agenda de nou­veaux sujets.

Enfin, en cas de désac­cord fon­da­men­tal avec la poli­tique du gou­verne­ment, les mem­bres de l’Assemblée nationale ont la pos­si­bil­ité d’adopter une motion de cen­sure, qui doit être ini­tiée par au moins 58 député·es, puis votée à la majorité absolue pour entraîn­er la démis­sion de l’exécutif. Cet out­il de con­trôle reste extrême­ment rare : il n’a abouti qu’une seule fois au cours de la cinquième République, en 1962.

Les député·es dis­posent d’une palette de moyens con­séquente pour peser dans l’action poli­tique. Au cours de la lég­is­la­ture précé­dente, il a beau­coup été reproché aux élu·es, en par­ti­c­uli­er issu·es de la majorité prési­den­tielle, de n’être que des « député·es Play­mo­bil » reconnu·es pour leur dis­ci­pline vis-à-vis de l’exécutif et leur manque d’initiative. Ce qui aurait empêché l’Assemblée nationale de jouer le rôle de con­tre-pou­voir qui lui incombe. Il ne tient qu’aux futur·es député·es de s’emparer des out­ils à leur dis­po­si­tion pour faire infuser l’écologie et le cli­mat dans la lég­is­la­tion.

Enfin, si une force autre que celle d’Emmanuel Macron venait à faire élire 289 député·es au moins, soit la majorité à l’Assemblée, elle pour­rait impos­er un pre­mier min­istre d’opposition, qui serait chargé d’élaborer un gou­verne­ment de son choix. De quoi con­duire une tout autre poli­tique pen­dant les cinq années à venir.