Ce sont deux mots qui reviennent sans cesse dans le projet de loi d’orientation agricole (LOA), qui sera soumis au vote définitif du Parlement vendredi : souveraineté alimentaire. C’est en son nom que de nombreux reculs environnementaux sont défendus par la droite sénatoriale et le gouvernement macroniste (la réintroduction de certains pesticides ou la destruction des haies par exemple), comme nous vous l’expliquions dans un récent article. La LOA a par ailleurs été portée par Annie Genevard (Les Républicains), ministre de l’agriculture… et de la souveraineté alimentaire. Cette idée guide toutes les décisions politiques liées au secteur, surtout depuis la pandémie de Covid-19 en 2020, qui a rappelé la fragilité d’un système alimentaire basé sur les échanges internationaux.
Le 4 février dernier, face aux sénateur·ices, Annie Genevard a mentionné à dix reprises la «souveraineté alimentaire». Elle a notamment jugé que le projet de LOA semait «les premières graines de la reconquête de notre souveraineté alimentaire». Et appelé à l’instauration de «conférences de la souveraineté alimentaire», afin d’améliorer le «potentiel agricole de notre nation», et donc le «potentiel économique de la France».
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«Dans les débats publics actuels, le terme de souveraineté alimentaire est souvent utilisé dans une conception productiviste et commerciale», souligne le Réseau action climat (RAC), qui fédère des dizaines d’ONG écologistes, dans un rapport publié ce mercredi. Cette approche quantitative renvoie à la volonté de présenter une balance commerciale positive – c’est-à-dire d’exporter chaque année davantage de produits agricoles que ce que nous importons. «Autrement dit, il faudrait produire plus, pour exporter plus», résume le réseau d’ONG.
Sous couvert de souveraineté, le gouvernement encourage par exemple l’élevage intensif : un article de la LOA prévoit de faciliter l’installation de nouveaux bâtiments. Une «fausse route», selon le RAC : avec ce mode de production, les besoins en soja venu d’Amérique latine augmentent et risquent «d’accroître la dépendance aux importations, déjà forte, pour le secteur avicole [l’élevage des volailles, NDLR] en particulier.»
La souveraineté alimentaire des origines, une réponse au néolibéralisme
La souveraineté alimentaire, telle qu’elle a été définie pour la première fois, n’a pourtant rien à voir avec cette acception productiviste. En 1996, le mouvement altermondialiste Via campesina, implanté de 81 pays, y voyait «le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole», comme le rappelle Le Monde. La Via campesina brandissait cette idée en réponse aux politiques néolibérales et des traités de libre-échange, «qui donnent la priorité au commerce international et non à l’alimentation des populations», écrit le mouvement sur son site internet.
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En 2018, cette définition a été reprise par l’ONU, dans sa Déclaration des droits des paysans et des autres populations travaillant en zone rurale : «Les paysans […] ont le droit de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles […]. Ceci inclut le droit de participer aux processus décisionnels concernant la politique alimentaire et agricole, et le droit à une nourriture saine et suffisante produite par des méthodes écologiques et durables…». Cette traduction «insiste sur la dimension démocratique inhérente au concept», relève le Réseau action climat.
Encourager les installations agricoles
L’association Terre de liens, qui cherche notamment à faciliter l’accès au foncier agricole pour de nouvelles installations paysannes, estime que le gouvernement à tort de mesurer la souveraineté alimentaire à l’aide d’indicateurs de balance commerciale. Cela va «à rebours du droit à l’alimentation, défini par l’ONU, et ne dit rien de l’accessibilité de l’alimentation, de la santé de la population, du soutien politique à une production alimentaire durable», note Terre de liens dans son rapport Souveraineté alimentaire, un scandale made in France, publié lundi.
L’orientation principalement productiviste de l’agriculture française – confirmée par les débats autour de la LOA et la nouvelle victoire du syndicat FNSEA aux dernières élections professionnelles – «rend la souveraineté alimentaire de la France hors de portée», déplore l’association. Pour sortir de ce modèle, elle préconise de multiplier les installations agricoles (plutôt que d’encourager le regroupement de grosses fermes), d’instaurer une participation citoyenne dans les instances agricoles ou encore d’attribuer des moyens pérennes pour faciliter l’approvisionnement local pour la restauration collective. Autant de débats qui agiteront – ou pas – le salon de l’agriculture qui ouvre ce samedi à Paris.
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