Astuces

Comment parler d’écologie pour toucher le plus de monde ? Notre guide ultime

Discours toujours. Pour entraîner la bascule écologique de la société, il faudra apprendre à parler de tous ces sujets vitaux sans se friter. Vert vous propose douze astuces, validées par quatre spécialistes du sujet. Voici notre guide ultime.
  • Par et

 Cet article fait partie d’une édition spéciale de notre newsletter sur le thème «Comment embarquer tout le monde dans la transition écologique ?», qui a été conçue en collaboration avec des membres du Club de Vert. Lors d’une conférence de rédaction avec ces donatrices et donateurs en décembre, nous avons imaginé une série de trois articles autour de cette question.

Au menu de cette édition spéciale, vous trouverez également un entretien croisé sur l’écologie dans les campagnes, ainsi qu’un décryptage qui explore les manières d’éduquer les enfants à ces enjeux à l’école.


Adapter son discours

«La première chose à retenir, c’est qu’il n’y a pas d’argument magique qui fonctionne pour tout le monde», prévient Albert Moukheiber, neuroscientifique et psychologue. Il y a autant de façons d’évoquer ce sujet que de gens sur cette planète, donc il faut à tout prix adapter son discours. «Si l’on parle de la fonte des glaciers à un agriculteur préoccupé par le taux de suicide de ses confrères, ça risque de ne pas faire écho chez lui. Il faut laisser l’autre raconter son vécu, ses préoccupations, et accepter que la lutte contre le changement climatique est plurielle», avance ce spécialiste du cerveau humain. Pour cela, une seule solution : l’écoute. «Si nous parlons plus que l’autre, c’est mauvais signe», indique Lucas Francou Damesin, cofondateur de Parlons climat, une organisation qui explore les manières de communiquer sur les sujets écologiques.

«C’est important d’identifier ce qui préoccupe la personne, explique Mélusine Boon-Falleur, chercheuse en sciences cognitives au Centre de recherche sur les inégalités sociales à Sciences Po Paris. Certains ne se sentent pas concernés par le réchauffement du climat, mais finiront par l’être si nous leur parlons des crèches qui ferment car il fait trop chaud, ou des hôpitaux qui déprogramment des opérations en temps de canicule, car ils n’ont pas les climatisations nécessaires.»

Parler des sujets du quotidien

Nous associons souvent le climat à des phénomènes physiques complexes, incompréhensibles pour le grand public. Or, le changement climatique percute des choses basiques et essentielles de nos vies. Quand nous nous mobilisons en faveur de l’écologie, nous nous référons à des choses simples : comment se nourrir, se chauffer, se déplacer – en bref, comment bien vivre.

Il faudrait en parler en ces termes pour rappeler aux autres que c’est leur mode de vie qui est au cœur de ces discussions. «Le climat est devenu un enjeu partisan dans l’espace public. Il faut dépolitiser ces conversations, les sortir des enjeux des partis politiques en les incarnant dans la vraie vie», conseille Albert Moukheiber.

Nous pouvons aussi faire appel aux émotions, rappeler des éléments qui font sens aux yeux de son interlocuteur·ice : son attachement à un territoire, à un paysage, à des aliments, à sa santé…

Utiliser des mots simples, accessibles, concernants

«Quand nous parlons de science à quelqu’un, de gaz à effet de serre ou du Giec, comme si ça allait de soi, cela crée une distance et une supériorité. Si nous utilisons des mots qui ne sont pas compris, cela exclut les gens de la conversation», alerte Lucas Francou Damesin, de Parlons climat. Pour ne pas perdre ses interlocuteur·ices avec un jargon technique, il vaut mieux adopter un vocabulaire de la vie de tous les jours. Par exemple, préférer les termes «pollution de l’air» ou «particules dans l’atmosphère» à celui, plus abstrait, d’«aérosols», ou bien «faune et flore» plutôt que «biodiversité».

Faire appel aux valeurs de son interlocuteur·ice

Dans les années 1990, un psychologue social nommé Shalom Schwartz a théorisé l’existence d’une dizaine de valeurs fondamentales chez les humains, d’importance plus ou moins forte en fonction du vécu, de la culture ou des ambitions de chacun·e. On y trouve des valeurs aussi variées que la bienveillance, la conformité, la réussite, l’universalisme ou encore la tradition et la sécurité. «Aujourd’hui, nous évoquons souvent l’écologie en termes d’universalisme ou de bienveillance, mais ceux pour qui ces valeurs ne sont pas prioritaires ne se sentent pas concernés. Il faut élargir le discours et montrer en quoi il est compatible avec d’autres valeurs», décrypte Mélusine Boon-Falleur.

Par exemple, des personnes sensibles aux enjeux de sécurité ou de tradition seront davantage préoccupées par les risques posés par la raréfaction de l’eau ou la disparition de paysages adorés, que par le principe de solidarité avec les victimes du dérèglement climatique. «Les personnes plus “traditionnelles” rejettent souvent la transition par peur d’un bouleversement de leur mode de vie, alors qu’il y a au contraire un énorme enjeu de conserver les choses que nous aimons», rappelle Lucas Francou Damesin. «Plutôt que d’inciter les gens à changer leurs valeurs, ce qui ne marche jamais, essayons de les comprendre pour aller les chercher là où ils sont», suggère la chercheuse en sciences cognitives.

Le messager compte autant (voire plus) que le message

«Avant de parler de message, il faut parler de l’émetteur. Quand nous recevons une information, nous nous demandons d’abord qui parle, si nous avons confiance en lui, et quelles sont ses intentions. Cela va cadre la manière dont nous percevons ses propos, résume Lucas Francou Damesin. Une étude américaine menée en 2019 auprès d’électeurs républicains (citée dans un passionnant rapport de Parlons Climat), a montré qu’un même message sur les impacts du changement climatique entraînait des réactions diamétralement opposées en fonction de l’émetteur. S’il était porté par un républicain, le message encourageait l’électeur à soutenir des politiques de lutte contre le dérèglement climatique. A contrario, s’il était amené par un démocrate, il venait renforcer l’idée que le changement climatique n’existe pas.

Là-dessus, il n’y a pas de secret : il faut rappeler aux gens ce qui vous relie à eux (en tant qu’enfant, sœur, ami·e, camarade), au-delà de votre casquette d’«écolo», pour que la relation de confiance s’installe.

Toujours proposer une solution

La discussion ne mènera nulle part si elle s’arrête au stade du constat. «Inciter quelqu’un à lâcher sa voiture alors qu’il vit en milieu rural et n’a pas d’alternative n’aura pas le même impact que s’il vit à Paris et a accès à des transports en commun», met en garde Albert Moukheiber. Une personne qui n’a pas de solution à un problème est plus à même de rejeter l’information et de rester dans une forme de déni. Mélusine Boon-Falleur évoque «la métaphore de la porte de sortie» : «Si tu expliques à quelqu’un que l’un de ses comportements n’est pas écolo mais qu’il ne peut rien y faire, il risque de se braquer contre toi et dire que tu as tort. Mais s’il a une porte de sortie, c’est-à-dire une alternative à disposition, il a plus de chance d’accepter ce discours.»

Il est toujours possible de ménager une porte de sortie, selon la manière dont nous approchons le sujet. Restons sur l’exemple d’une personne dépendante de son véhicule. Il sera plus efficace de lui proposer de s’engager pour réclamer une amélioration des transports en commun (en interpellant des élu·es ou en signant une pétition) que de lui demander de laisser sa voiture au garage.

Dernier point important : il faut que les alternatives proposées soient faisables et pas trop coûteuses, insiste Lucas Francou Damesin, de Parlons climat.

Penser collectif et agir en groupe

Tout le monde n’a pas la possibilité de modifier son mode de vie d’un claquement de doigt. «Il peut être utile de donner des pistes d’action qui dépassent les choix de consommation, comme le vote ou l’engagement associatif, car certaines personnes sont contraintes par leurs conditions de vie – si elles sont dépendantes à la voiture par exemple -, et se sentir frustrées dès le début de la discussion», souligne Mélusine Boon-Falleur. Il est essentiel de rappeler qu’il est plus efficace de participer à un changement systémique, à l’échelle de la société, que de modifier son mode de vie tout seul dans son coin.

«L’un des gros problèmes de l’écologie, c’est que le bénéfice est collectif, alors que le coût de l’action semble individuel», évoque Florence Gibert, formatrice en changement des comportements sur la transition écologique auprès d’élu·es. Une manière de court-circuiter ce schéma de pensée : le collectif. «Il y a souvent cette notion de “Je ne veux pas agir si les autres ne font rien”, donc avancer en groupe fait vraiment bouger les gens», confirme Mélusine Boon-Falleur.

Ne pas oublier de parler de soi

Certes, il est important de laisser parler l’autre, mais il faut aussi lui montrer que la discussion n’est pas à sens unique. Pour cela, partager ses propres expériences, ses réflexions, et ses questionnements permet d’humaniser le sujet et de créer un lien avec l’autre. «Nous ne sommes pas nés écolos, nous avons cheminé à notre rythme. L’expliquer permet de déstresser la personne en face, de lui montrer qu’il est possible d’avancer sur le sujet», conseille Mélusine Boon-Falleur.

Montrer les avantages de la transition

L’objectif : faire mentir les clichés qui disent que l’écologie est réservée aux Amishs et que nous devrons revenir à la bougie. «Dire à quelqu’un que ce qu’il fait n’est pas bien n’a jamais fait changer quelqu’un, mais lui vendre du rêve, oui», décrypte Florence Gibert.

Par exemple, passer de la voiture au vélo ou préférer acheter des vêtements ou des équipements (ordinateur, télévision, téléphone) de seconde main permet de faire des économies. Changer ses poêles antiadhésives pleines de PFAS (des substances qualifiées de «polluants éternels») peut avoir un impact concret sur sa santé. «Il faut mettre en avant les intérêts personnels des gens à agir», poursuit Florence Gibert.

Ne pas tomber dans un discours moralisateur

Culpabiliser la personne d’en face pour son manque d’implication n’est pas la clé d’une conversation constructive. «Il ne faut pas laisser une seule alternative : soit agir et rejoindre le camp du bien, soit ne rien faire et rester dans le camp du mal», indique Lucas Francou Damesin. Cela place la personne qui parle d’écologie dans une posture de «pseudo supériorité morale» peu constructive.

«Il faut éviter de tomber dans la culpabilisation en général, mais ça ne veut pas dire que nous ne pouvons jamais utiliser ce levier. Cela dépend de comment nous le faisons», nuance Albert Moukheiber. Par exemple, faire culpabiliser son frère parce qu’il prend l’avion tous les mois pour un week-end à Londres ou à Barcelone n’est pas la même chose que de reprocher à quelqu’un que nous ne connaissons pas de voler pour rendre visite à sa famille sur un autre continent. «Ça peut fonctionner selon la relation que nous entretenons avec cette personne et les raisons qui la poussent à agir de cette façon», détaille le neuroscientifique.

Avancer pas à pas et ne pas chercher à convaincre en une fois

Changer son mode de vie, s’engager dans le monde associatif ou politique : tout ceci prend du temps. «Il faut que le premier pas soit très facile, pour que la personne ne puisse pas dire non», propose Florence Gibert. Par exemple, proposer d’essayer une option non carnée une fois par semaine plutôt que d’inciter dès le départ à devenir végétarien·ne. Le changement de comportement semblera plus facile à adopter et cela simplifiera un engagement sur des choses plus exigeantes par la suite.

Il ne faut pas oublier que ce n’est pas un sprint, mais un marathon. «Entamer une conversation en se disant que nous allons convaincre quelqu’un n’est jamais une bonne entrée, car cela sous-entend que nous voulons “gagner” l’échange», prévient Lucas Francou Damesin.

La discussion doit se faire d’égal·e à égal·e et s’inscrire dans la durée. «Le plus important, c’est de maintenir un lien pour qu’il y ait des conversations répétées, planter des graines pour que la personne se rappelle, à un moment donné, de ce que vous lui avez dit», récapitule le cofondateur de Parlons climat.

Féliciter les gens pour leur engagement

Une fois que les personnes ont commencé à se mobiliser ou à changer leurs comportements, il ne faut pas considérer que le travail est fait. Il faut leur faire des retours positifs sur leurs actions. «Quand nous nous engageons dans une trajectoire écolo, nous ne voyons pas pour autant que le climat va mieux. C’est très abstrait, sur le long terme, ce qui peut être démotivant, rappelle Mélusine Boon-Falleur. Il est essentiel d’encourager les gens et de leur rappeler pourquoi ils font ce qu’ils font.»

Les points à retenir

Ce qu’il faut privilégier

→ Personnaliser le message
→ Rendre le sujet très concret et parler du quotidien des gens
→ Utiliser des mots simples
→ Écouter les préoccupations de son interlocuteur·ice
→ Toujours proposer une solution accessible
→ Parler de son vécu et de ses émotions
→ Accepter qu’il s’agit d’un cheminement long
→ Proposer d’agir en groupe
→ Choisir la bonne personne pour diffuser le message

Ce qu’il faut éviter

→ Parler plus que l’autre
→ Culpabiliser les gens et adopter un discours moralisateur
→ Ne pas offrir de porte de sortie
→ Adopter un vocabulaire scientifique peu compréhensible
→ Vouloir tout changer d’un coup


«Merci pour tout le travail que vous réalisez, vous êtes d'utilité publique et devriez être prescrits par les médecins». Comme Florent, plus de 11 000 personnes ont soutenu Vert en 2024. Grâce à elles et eux, nous avons pu offrir des centaines d'articles de qualité en accès libre pour tout le monde ! Et tout ça, en restant 100% indépendants et sans publicités.

Permettez au plus grand nombre de comprendre les crises qui nous secouent et de savoir comment agir, et participez au projet médiatique le plus chaud de l'époque en faisant un don à Vert 💚