Reportage

Banlieues Climat inaugure son «école populaire», pour démocratiser le climat et redonner du pouvoir aux habitants

Récré action. L’association Banlieues Climat a inauguré son école populaire à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Un lieu pour que les jeunes des quartiers défavorisés, concerné·es au premier chef par la crise climatique, en deviennent aussi les meilleur·es expert·es. Vert y était.
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«Au début, les formations, c’étaient des vieilles slides faites par Féris [Barkat, cofondateur de Banlieues Climat, NDLR]. Maintenant, c’est une formation reconnue par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche !», lance en riant Badr, futur enseignant aux enjeux de la crise climatique de la nouvelle École populaire du climat.

Ce samedi 12 octobre, une foule familiale est au rendez-vous de l’inauguration de l’établissement ouvert par Banlieues Climat, une association qui sensibilise aux enjeux de la transition écologique et développe des projets locaux avec les habitant·es des quartiers populaires. C’est avec le soutien du maire Karim Bouamrane qu’elle s’est installée dans le centre-ville de Saint-Ouen, non loin de la mairie. Devant la façade verte et blanche de l’ancienne école primaire Alexandre Bachelet, les douze futur·es profs retracent l’histoire des formations sur l’environnement imaginées pour et par des jeunes des quartiers populaires. Lancées il y a deux ans, elles sont certifiées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche depuis janvier 2023. À leurs côtés, les quatre fondateur·ices de l’association : Féris Barkat, Saana Saitouli, Abdelaali El Badaoui et Youssef Soukouna, alias Sefyu.

L’Ecole populaire du climat, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) © Mathilde Picard / Vert

«On a fait de nos histoires personnelles un combat. Cette école, c’est la dignité de nos parents», confie au public Sanaa Saitouli, dont le père ouvrier est mort de la tuberculose. «Je suis un fils d’immigré marocain, un fils de travailleur», ajoute Abdelaali El Badaoui. Son père, mineur dans le nord de la France, est mort de la silicose, reconnue comme maladie professionnelle. Les fondateur·ices de Banlieues Climat rappelle l’injustice qui les a menés à créer leur association : les ouvrier·res et habitant·es des quartiers populaires sont parmi les plus exposé·es aux différentes pollutions, ainsi qu’aux conséquences du réchauffement climatique.

Dans un récent rapport consacré aux injustices climatiques, l’association Ghett’up met en lumière «le caractère discriminatoire des impacts environnementaux». Au cours de la canicule de 2003, par exemple, la Seine-Saint-Denis était le deuxième département le plus meurtri, avec une surmortalité de 160 %. Plus récemment, à l’occasion des Jeux olympiques, des purificateurs d’air ont été installés dans le village des athlètes à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une technologie dont ne bénéficient pas les riverain·es, pourtant touché·es toute l’année par la pollution engendrée par le trafic routier de l’A86 et les usines voisines.

Les douze futurs formateur·ices de l’école, formé·es par Banlieues Climat © Mathilde Picard / Vert

Dans les mouvements climat, «j’étais le seul banlieusard»

Ce samedi, ami·es et curieux·ses déambulent dans l’ancienne cour de récréation de l’école que Banlieues Climat partage avec une ressourcerie. Elle aussi vient tout juste d’ouvrir dans le bâtiment d’à côté. Dans la cour : des jeux pour enfants, une scène avec un DJ qui passe des tubes, mais aussi l’exposition itinérante Tournée du Climat et Biodiversité de l’association Météo Climat qui a posé ses panneaux dans l’école pour l’occasion. Les grandes affiches abordent des thèmes tels que l’adaptation de la biodiversité aux variations climatiques ou les émissions de gaz à effet de serre.

Parmi le public, certain·es profitent de l’inauguration pour rencontrer Banlieues Climat pour la première fois. C’est le cas de 3Z, de son nom d’artiste, qui aimerait s’investir dans l’association parce qu’il ne se reconnaît pas dans les collectifs écologistes avec lesquels il a milité auparavant. «Les mouvements climat disent qu’ils sont inclusifs, en réalité, j’étais le seul banlieusard. Tu regardes dans une salle d’une conférence par exemple, il n’y a personne de noir dans l’assistance», déplore-t-il.

Pouvoir s’identifier à celles et ceux qui parlent d’écologie, c’est l’un des objectifs de Banlieues Climat, explique à Vert Khadim Coulibaly, 19 ans, formé il y a deux ans et désormais enseignant de l’école. «Féris me ressemble, c’est ça qui m’a plu : pendant les formations, on essaye de ne pas être trop descendant, on travaille avec des références communes comme [les mangas, NDLR] One piece pour évoquer les réfugiés climatiques ou l’Attaque des titans pour parler de l’escalade de la haine».

La formule de Banlieues Climat reste la même : une première formation diplômante de huit heures sur une journée. Le but : obtenir de solides connaissances sur la crise climatique, comprendre les rapports du Giec ou encore l’enjeu de la fonte du permafrost. Un suivi plus long est aussi proposé à celles et ceux qui souhaitent devenir à leur tour formateur·ices. «J’étais déjà sensibilisé à l’écologie, mais Banlieues Climat m’a apporté des connaissances concrètes et des opportunités, j’ai pu intégrer le Bachelor Act, une formation sur la transition écologique à l’Essec», témoigne Khadim.

«Banlieues Climat m’a apporté des connaissances concrètes», salue Khadim © Mathilde Picard / Vert

Porter «la voix des oublié·es» à la COP 30

L’objectif de Banlieues Climat est bien de redonner accès à un savoir académique aux jeunes. «Il n’y a que 11% d’enfants d’ouvriers à l’université, et je ne parle même pas des prépas, il y a une reproduction sociale dans les écoles et nous, on essaye de casser ça», explique à Vert Féris Barkat.

Des savoirs et une légitimité qui permettent de se réapproprier du pouvoir politique pour porter «la voix des oublié·es», selon Sanaa Saitouli. Au-delà de la préparation pour devenir formateur·ices, l’école populaire du climat entraîne cette année une vingtaine de jeunes à intervenir à la 30ème conférence mondiale sur le climat (COP) qui se tiendra à Belém, au nord du Brésil en novembre 2025. L’école a prévu un programme pour élaborer différents plaidoyers sur la qualité de l’air ou l’accès à une alimentation saine, par exemple, des sujets qu’ils défendront durant la COP.

Cet après-midi, on parle justement d’alimentation lors des activités organisées à l’étage de la petite école. Selma vient de terminer un atelier cuisine avec deux amies : «on a discuté de notre surconsommation de viande et de son impact écologique, du fait qu’on pouvait trouver des protéines dans les amandes et le soja aussi. J’avoue, je n’avais pas de connaissances sur ce sujet-là avant».

Dans la pièce d’à côté, un public attentif est installé sur des seddaris – une banquette marocaine – pour visionner trois courts-métrages réalisés par des jeunes de l’école Kourtrajmé de Montfermeil. Les films dépeignent la vie en Seine-Saint-Denis en 2030, alors que les températures ont augmenté. Les récits abordent l’impact du réchauffement climatique sur le quotidien des habitant·es, mais aussi les violences policières, les inégalités de genre et le racisme. La salle s’émeut du personnage d’Imani, réfugiée climatique qui tente de vaincre sa peur de l’eau.

À Saint-Ouen, comme à Montfermeil, les jeunes se réapproprient les récits des inégalités environnementales. De quoi faire de l’École populaire du climat, selon Sanaa Saitouli, «plus qu’une école, une école de la réparation».