Reportage

«On a été trop forts, je ne pensais pas qu’on arriverait aussi loin !» : 75 lycéens pour une grande simulation de COP sur le climat 

Cop sur des roulettes. Des lycéen·nes des quatre coins de la France et de l’étranger se sont réuni·es à Paris pour simuler une Conférence des Nations unies (COP) sur le climat. L’occasion de découvrir les dessous de la diplomatie environnementale et de s’exercer à la prise de parole en public. Vert y était. 
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«Attends, faut que j’aille me mettre d’accord avec la France sur la question des énergies renouvelables» ; «je me suis alliée avec le Brésil ce matin, ils vont me soutenir là-dessus»… On pourrait se croire au milieu de dignitaires internationaux dans les couloirs des Nations unies. Il n’en est rien : nous sommes en plein Paris, au musée de la Marine situé au pied de la tour Eiffel et les négociateur·ices sont des élèves de seconde, première et terminale.

Lundi et mardi, 74 jeunes issu·es de 28 académies scolaires et de cinq lycées français à l’étranger se sont réuni·es pour deux jours de simulation d’une Conférence des Nations unies (COP) sur le climat. Elles et ils avaient été choisi·es pour leur rôle en tant qu’éco-délégué·es ou élu·es dans les Conseils académiques de la vie lycéenne (CAVL).

Les lycéen·nes réuni·es pour négocier le texte de l’accord sur lequel elles et ils doivent trouver un consensus d’ici la fin de la journée. © Antoine Repessé/AFD

La première journée a été dédiée à des témoignages de négociateur·ices, des ateliers et des tables rondes ; la seconde a donné lieu à une mise en pratique à grande échelle. Blazers, talons et chemises, les participant·es se sont mis·es sur leur 31 pour incarner tous les acteurs des COP : négociateur·ices de 14 États différents, membres de la société civile, scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), journalistes et même des lobbyistes des énergies fossiles.

L’objectif du mini-sommet de ce mardi : aboutir, à force de négociations, à un texte de consensus dans la même veine que ceux qui sont produits à l’issue des COP pour le climat. Tant qu’un pays n’est pas satisfait, les discussions doivent se poursuivre jusqu’à trouver un compromis acceptable par tous. Un vrai défi, alors que les participant·es représentent des partis aux intérêts souvent divergents.

Négociations officielles, discussions en «off» et actions coup de poing

«Le monde nous regarde, soyons-en dignes», «L’avenir de notre planète se joue ici et maintenant», ou encore «Unissons-nous contre notre ennemi commun : le changement climatique» : autant de phrases choc qui rythment la plénière d’ouverture, où chaque délégation présente ses positions. Puis, les lycéen·nes s’éparpillent dans des salles de négociations officielles, où le texte est examiné point par point. Dans une pièce, on discute de l’atténuation – comment réduire les émissions de gaz à effet de serre -, tandis qu’une autre se concentre sur l’adaptation – comment préparer les sociétés, notamment les plus vulnérables et précaires, à faire face aux impacts du changement climatique. Ce sont les deux faces principales de la diplomatie climatique.

Les lycéen·nes se prennent immédiatement au jeu. Les diplomates s’envoient de petits papiers pour s’accorder avec leurs allié·es, annotent le texte négocié au stylo au fur et à mesure des échanges, s’indignent lorsque des points de discussion menacent de franchir des lignes rouges pour leur pays, et finissent par voter chaque élément du document.

En dehors des sessions officielles, des négociateur·ices se retrouvent aussi avec la presse et les représentant·es d’intérêts – les lobbies des énergies fossiles, la société civile – dans les «discussions de couloirs», qui leur permettent d’affiner leurs positions en «off» afin de fluidifier les tractations. Pendant la pause déjeuner, il n’est pas étonnant de tomber sur des petits groupes de trois ou quatre éparpillés dans le musée, repliés sur le texte à marchander sur les futurs amendements à discuter.

Au beau milieu de l’après-midi de ce mardi, la société civile mène une action coup de poing. Les membres des ONG, suivis par les scientifiques du Giec, interrompent une session de négociations pour scander «arrêtez les énergies fossiles !» pendant quelques minutes. De quoi récolter les applaudissements de plusieurs pays – et les avertissements d’autres, comme la Chine, qui réclament aussitôt leur expulsion.

Encourager «une certaine pratique de la démocratie»

Ici, pas d’engueulades entre les participant·es ; tout le monde travaille en bonne intelligence. «Chacun a des profils très différents avec des points forts et on se pousse vachement les uns les autres pour se tirer vers le haut : l’un va être bon en prise de parole, l’autre dans la réflexion sur les positions des pays, explique Chiara Javel, négociatrice pour le Canada et élève de terminale à Gardanne (Bouches-du-Rhône). On est complémentaires.»

Dans les salles de négociations, chacun·e prend la parole pour clarifier les positions de son pays. © Antoine Repessé / AFD

Organisé conjointement par l’Agence française de développement (AFD) et le ministère de l’Éducation nationale, ce projet est le premier d’une telle ampleur à voir le jour. «On voit ces simulations comme un outil transformateur, qui vise à enclencher des changements de pratique durables dans leur quotidien et dans leurs établissements», détaille Sid-Ahmed Mesloub, chargé de mission à l’AFD à la manœuvre de ce raout. Si l’événement réclame une logistique trop importante pour le renouveler tous les ans, les organisateur·ices veulent encourager ce type de simulations à l’échelle des lycées ou des académies. «On veut aussi leur montrer une certaine pratique de la démocratie», ajoute Sid-Ahmed Mesloub.

Une tentative réussie, si l’on en croit les témoignages des élèves. «Ça nous permet de nous rendre compte de la réalité des négociations climatiques. On dit toujours que les pays ne font rien ou pas assez, mais en fait, on se rend compte qu’on ne peut pas avancer aussi vite qu’on le voudrait, et du poids derrière chaque petite décision», raconte Elsa Fanget-Passoni, élève de terminale à côté de Rouen (Seine-Maritime). «C’est une expérience très enrichissante, qui nous fait travailler l’expression orale, le débat et la manière de trouver des compromis les uns avec les autres», abonde Marwan El Houki, 16 ans, membre de la délégation tunisienne et élève au lycée Gustave Flaubert à Tunis (Tunisie). Le jeune avait déjà participé à une simulation de COP, mais uniquement dans son établissement.

Un texte final très ambitieux

À la surprise de beaucoup, les élèves finissent par adopter des positions plutôt ambitieuses à la fin de négociations de longue haleine – plus que celles prises dans les vraies COP. «Je n’ai jamais vu les États-Unis adopter une position aussi pro-climat», ironise un professeur accompagnant. Le texte final comprend notamment un engagement de chaque pays à baisser, chaque année, ses émissions de gaz à effet de serre de 5% ou à réduire la déforestation de 45%, une interdiction de tous les vols de moins de quatre heures dès lors qu’il existe une d’alternative moins polluante comme le train, ou encore une limitation de la vente de véhicules thermiques d’ici à 2035.

Les participant·es s’applaudissent à la fin de la journée. © Antoine Repessé / AFD

À la fin de la journée, Hugo Michel, membre de l’association des Jeunes ambassadeurs pour le climat qui a accompagné les élèves pendant les négociations, applaudit «l’engagement impressionnant et la persévérance» dont ont fait preuve les lycéen·es. «On a été trop forts, je ne pensais pas qu’on arriverait aussi loin !», se réjouit Chiara Javel. «C’est une super expérience, parce que j’aimerais travailler dans la diplomatie ou les institutions internationales plus tard», se réjouit Abira Kantharuban, 17 ans, éco-déléguée à Créteil. Pour la simulation, elle faisait partie des lobbyistes des énergies fossiles, un rôle «pas facile à défendre quand on sait qu’on est responsables du problème».

Djian Sadadou, qui a encadré la préparation des participant·es au nom de l’Office for climate education, un organisme qui promeut l’éducation au dérèglement climatique, souligne également «l’exploit» d’être parvenu à un consensus en une journée. «J’ai assisté à quatre COP, celle-ci c’est ma cinquième et c’est sûrement la plus inspirante que j’aie pu voir !», a conclu cet habitué des négociations climatiques. Alors que la prochaine COP pour le climat se tiendra à Bakou (Azerbaïdjan) du 11 au 22 novembre prochain, les pays du monde entier feraient bien d’en prendre bonne note.