Entretien

Robert Vautard, coprésident du Giec : «La désinformation climatique nous retarde»

Le climatologue français est co-président du groupe du Giec consacré à la physique du climat. Dans cet entretien à Vert, il nous parle des climatosceptiques, du rôle des médias et des attaques de Donald Trump contre la science.
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Fin juillet 2023, le météorologue de formation Robert Vautard prenait la suite de la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte en tant que coprésident du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), «celui des physiciens». «Notre mission, c’est de rendre compte de l’état physique du système Terre», détaille le scientifique de 62 ans aux épaisses lunettes rondes et au sourire bienveillant. Comme ses centaines de collègues, il doit faire face à une désinformation qui brouille la compréhension de ses travaux et retarde l’action climatique. C’est notamment pour cela qu’il s’est rendu à Lyon à l’occasion du Climat libé tour à la fin mai pour donner une conférence sur les fake news autour du climat. L’occasion d’aborder ces sujets majeurs dans un entretien à Vert.

Robert Vautard, co-président du Giec, à Lyon le 24 mai 2025. © Théo Mouraby/Vert

En quoi la désinformation climatique peut-elle nuire à vos travaux et à leur compréhension par le public ?

La désinformation climatique nous retarde. Pour la communication des scientifiques, c’est assez malsain, parce que cela nous empêche de nous concentrer sur les nouvelles avancées. On passe du temps à répondre à des choses auxquelles on a déjà répondu il y a dix ou vingt ans. Personnellement, j’essaye de ne pas y passer trop de temps. Mais, parfois, il faut quand même redresser un peu les choses. Il y a aussi un côté sain, au sens où ça nous oblige aussi à revenir aux fondamentaux et à bien comprendre ce que l’on aurait pu oublier.

Et concernant le public ?

Les risques sont évidemment de ralentir l’action. Le gros problème, c’est que cela met au même niveau des informations venant de spécialistes, et d’autres qui viennent de n’importe où et qui peuvent être reçues par les citoyennes et les citoyens comme étant d’une valeur équivalente. Ce qui n’est pas le cas. Les fausses informations créent du doute.

«On n’y arrivera pas si les médias ne mettent pas en avant l’écologie.»

Je pense que nous, scientifiques, avons un véritable effort de communication à faire. Nous sommes dans notre tour d’ivoire, avec notre jargon, et ce que l’on raconte n’est absolument pas compréhensible. Il va falloir adapter le système académique aux modes de communication pour que l’on puisse rétablir l’autorité scientifique.

C’est pour ça que j’essaie de simplifier au maximum. Cela nous oblige à communiquer mieux, sur le contenu et sur la façon dont on arrive à nos conclusions. Je crois que c’est très important : expliquer notre méthode va, en principe, donner confiance.

Selon les chiffres de l’Agence de la transition écologique (Ademe), 38% des Français sont climatosceptiques à des degrés divers en 2024. Est-ce que cela vous inquiète ?

Il y a aussi des chiffres qui montrent qu’une très vaste majorité des gens est préoccupée par l’environnement et trouve que l’action publique est insuffisante. Donc tout dépend de la question que l’on pose et de ce que l’on appelle le climatoscepticisme.

Celui-ci peut prendre plusieurs formes. Il peut être une remise en cause sincère de l’existence même du changement climatique – ce qui est assez difficile aujourd’hui [cela représente 2% des Français·es, selon l’Ademe, NDLR]. Ça peut être le fait de douter de la responsabilité humaine dans le réchauffement du climat [30%]. Ou enfin, de remettre en question l’importance du phénomène et la sévérité de ses impacts.

J’entends souvent vos collègues [journalistes] me demander ce que je pense de la vague de climatoscepticisme. Mais je ne vois pas cette vague. Maintenant, j’entends aussi d’autres collègues [scientifiques] qui, lorsqu’ils s’expriment dans les médias, se font menacer, intimider ou insulter. C’est une réalité.

En France, le temps consacré aux enjeux environnementaux dans les médias audiovisuels a diminué de 30% sur un an en 2024, selon l’Observatoire des médias sur l’écologie. Comment interprétez-vous ce reflux ?

Je dirais qu’il y a un élément de chance ou de hasard qui fait que, en 2024, la France n’a pas été touchée par des événements majeurs comme de grandes vagues de chaleur. C’est la différence avec 2022, par exemple.

Mais, il n’y a pas que ça. Il y a la manière dont les journalistes eux-mêmes s’emparent des questions liées à l’environnement. On n’y arrivera pas si les médias ne mettent pas en avant l’écologie. Je ne dis pas qu’ils sont à la racine du problème. Mais, souvent, ils sont une caisse de résonance et traduisent ou amplifient des sujets qui sont créés par les responsables politiques. L’atmosphère politique n’est pas favorable.

Aux États-Unis, des scientifiques spécialisés sur l’évolution du climat ont été licenciés, les universités ont été menacées pour adopter la ligne de l’administration Trump… quelles conséquences cela peut-il avoir sur la recherche ?

La situation est très étrange, et un petit peu inquiétante, pour les universitaires – et pour les employés fédéraux. Même s’il n’y a pas de baisse de l’intérêt des scientifiques pour la question climatique – on a un grand nombre de candidatures américaines pour le prochain rapport du Giec –, il y a un sentiment d’incertitude sur ce qui va se passer pour la réalisation des rapports : les gens vont-ils avoir des financements pour pouvoir se déplacer aux réunions et faire leur travail sans être empêchés ?

«Il y a des technologies et des connaissances qui s’améliorent.»

Ce qui m’inquiète davantage, c’est le désengagement américain de certains grands systèmes d’observation de la Terre. La science dépend énormément des financements étasuniens. Il va falloir reconstruire ce financement sans les Américains.

Et le cas de l’observation océanique m’inquiète aussi. Elle est essentielle pour comprendre la circulation profonde dans l’Atlantique Nord, dont le potentiel arrêt créerait un désordre climatique. Si l’on n’a pas les bonnes observations, on n’aura pas les systèmes d’alerte et on n’aura pas la bonne compréhension des choses.

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Êtes-vous optimiste ?

Mon optimisme reste assez modeste pour ce qui est de la collaboration internationale, que je vois se fracturer. Or, on sait que, pour le climat, c’est essentiel. Mais il y a aussi des technologies et des connaissances qui s’améliorent : les énergies renouvelables sont à des coûts très intéressants aujourd’hui.

La Chine – qui a une influence considérable sur les émissions mondiales de CO2 – a vu ses émissions diminuer au premier trimestre 2025. Elle arrive à électrifier le secteur des transports en très grande partie pour se décarboner. Quand on voit qu’un grand pays comme celui-là y arrive, ça ne résout pas tous les problèmes, mais ça donne quand même un peu d’espoir concernant le futur de l’ensemble des pays, y compris en Europe.

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