À la crise climatique, s’ajoute une seconde crise. Elle est aussi provoquée par les humains, et fait l’objet d’un consensus scientifique : la crise de l’intégrité de l’information. Le Panel international sur l’information et l’environnement (Ipie) a rassemblé les travaux de centaines de chercheur·ses dans la dernière décennie pour rédiger le tout premier rapport scientifique sur la désinformation climatique.
«La légitimité scientifique de notre action n’était pas actée de manière consensuelle par la communauté scientifique, explique Eva Morel, secrétaire générale de l’ONG Quota Climat. C’est désormais le cas : Ce rapport acte qu’il y a un impact tangible et mesurable de la désinformation sur le ralentissement des politiques publiques de transition. Les fausses informations sont un outil pour ralentir l’action.»
La principale conclusion de cette synthèse est que de puissants acteurs – les entreprises de combustibles fossiles et une partie du monde politique – diffusent intentionnellement des récits inexacts ou trompeurs sur le changement climatique et son origine humaine. Des campagnes de désinformation coordonnées, qui façonnent les récits et ralentissent l’action en faveur du climat.
Qui désinforme sur le climat ?
Les principaux responsables de la désinformation sur le climat sont :
🏭 Les entreprises de combustibles fossiles et autres industries qui masquent leur responsabilité, entrave l’action pour le climat ou font du greenwashing.
🗣️ Les mouvements populistes d’extrême droite qui «contreviennent activement à la science du climat», comme le Rassemblement national, l’AfD en Allemagne ou Vox en Espagne.
🤝 Les alliances entre acteurs politiques et économiques, think thank conservateurs, lobbies…
Ces agents de la désinformation défendent des intérêts politiques ou économiques. Ils embauchent parfois des scientifiques, qu’ils rémunèrent pour assoir leur discours.
Deux acteurs français sont cités dans le rapport. Le Rassemblement national (dont Vert vous racontait la désinformation sur les zones à faibles émissions (ZFE) ou les énergies renouvelables) et la major pétrolière TotalEnergies.
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«Que l’impact délétère de TotalEnergies soit validé par la science en termes de ralentissement de l’action climatique, c’est un argument très puissant», réagit Eva Morel. En 2024, le journaliste de Mediapart Mickaël Correia avait publié Le Mensonge Total (Seuil), un livre dans lequel il décortiquait l’extraordinaire cohérence climaticide de la multinationale.
Par quels moyens ?
Selon les chercheur·ses, le dénialisme climatique (le fait de ne pas croire au réchauffement du climat) a évolué vers un «scepticisme stratégique» pour semer le doute sur les causes du réchauffement – et nier son origine humaine.
C’est ce qu’a fait Marion Maréchal, le 25 octobre dernier, sur BFMTV. Contre toute évidence scientifique, elle a déclaré : «Maintenant, le seul débat qu’il y a – mais je crois que personne ne l’a véritablement tranché, pas même les experts –, c’est de savoir quelle est la part de la responsabilité humaine» dans le réchauffement climatique.

Ce scepticisme est aussi employé pour décrédibiliser les solutions à apporter à la crise, comme les énergies renouvelables. C’est ce qui s’est passé dans les heures qui ont suivi l’immense panne d’électricité en Espagne et au Portugal, en avril. L’occasion pour certains «experts» de relayer des fausses informations en plateau et de rejeter la responsabilité sur les énergies renouvelables.
Ce «scepticisme stratégique» est conçu pour «paraître modéré, raisonnable et fondé sur des données, tout en faisant discrètement obstruction à l’action», illustre le rapport. Selon les chercheur·ses, les bots et les trolls en ligne amplifient les faux récits et jouent un rôle clé dans la promotion des mensonges sur le climat.
Qui est visé ?
Les décideur·ses politiques sont l’une des cibles prioritaires de cette désinformation. Ce sont elles et eux qui sont chargé·es de transformer la science climatique en décision politique. Si ces personnes sont mal informées, l’action en faveur du climat risque de ne pas avancer.
«Si nous ne disposons pas des bonnes informations, comment allons-nous voter pour les bonnes causes et les bons hommes politiques, et comment ces derniers vont-ils traduire les preuves évidentes en actions nécessaires ?», a commenté Klaus Jensen, codirecteur du rapport, auprès du quotidien britannique The Guardian.
Les institutions internationales, comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), sont aussi décrédibilisées.
Comment lutter ?
Les auteur·ices du rapport préconisent quatre axes d’action :
- Légiférer pour garantir que le public et les responsables politiques disposent d’informations précises, cohérentes, fiables et transparentes sur le changement climatique.
- Mener des actions en justice contre les acteurs coupables de greenwashing et de pratiques trompeuses pour assurer des informations fiables et exactes.
- La création de coalitions of the willing (des «coalitions de volontaires» entre acteurs privés, publics et société civile) pour contrecarrer les alliances de puissants intérêts économiques et politiques qui diffusent des informations erronées.
- Mettre la priorité sur l’éducation pour approfondir la connaissance du sujet par les citoyen·nes et les politiques.
Les scientifiques de conclure : «Les informations trompeuses ont sapé la confiance du public dans la science du climat et dans d’autres institutions sociales clés. Cette crise de l’intégrité de l’information intensifie et exacerbe la crise climatique.»