Tous les voyants sont au rouge en matière de climat. C’est la dure conclusion d’un rapport publié ce jeudi dans la revue Earth system science data par un consortium de chercheur·ses. Pour la troisième année consécutive, des scientifiques du monde entier se sont réuni·es pour mettre à jour dix «indicateurs clés» du climat en 2024, dont les émissions de gaz à effet de serre, l’influence humaine dans le réchauffement observé, l’élévation du niveau de la mer ou encore le budget carbone restant pour contenir la hausse des températures.
«Ce suivi de l’état du climat et de l’influence humaine est important, car c’est une boussole et un système de navigation pour comprendre où nous en sommes», détaille Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et co-autrice du rapport. «Ce suivi régulier des observations du changement climatique permet de combler un manque relatif lié au délai de publication des rapports du Giec», abonde Aurélien Ribes, chercheur au Centre national de recherches météorologiques, également co-auteur de l’étude. Le dernier cycle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a été publié entre 2021 et 2023 et les conclusions du prochain ne sont pas attendues avant 2028-2029.

Au total, 61 auteur·ices de 54 instituts et organismes, issu·es de 17 pays, ont participé à cette étude – dont beaucoup ont contribué au dernier rapport du Giec. En France, les chercheur·ses en question proviennent principalement de Météo-France, du CNRS, du CEA ou encore du laboratoire Mercator océan.
«L’équivalent de trois années d’émissions»
Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ont atteint le niveau record de 55 milliards de tonnes de CO2-équivalent en 2023, avec des données préliminaires qui semblent indiquer que cette hausse s’est poursuivie en 2024. Cette dynamique est due à l’augmentation croissante des émissions liées au secteur des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Les émissions imputées à la déforestation tropicale ont également été importantes en 2024 à cause de la présence d’El Niño, un phénomène météorologique qui entraîne des conditions sèches, ce qui tend à faciliter la déforestation.
Conséquence de ce rythme soutenu d’émissions, notre «budget carbone» flambe plus rapidement que prévu. Il s’agit de la quantité de gaz à effet de serre que l’humanité peut se permettre d’émettre si elle veut limiter le réchauffement du climat à +1,5 degré (°C) ou à +2°C. Pour rappel, ces températures correspondent aux deux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 : maintenir le réchauffement bien en-dessous de +2°C par rapport à l’ère préindustrielle (milieu du 19ème siècle), et si possible à +1,5°C, pour éviter les conséquences les plus graves du dérèglement du climat.

Début 2025, l’estimation du budget carbone restant pour contenir le réchauffement mondial à 1,5°C s’élevait à 130 milliards de tonnes de CO2, contre 500 milliards en 2020, d’après le dernier rapport du Giec. «Les émissions de gaz à effet de serre étant toujours en augmentation, le budget carbone pour limiter le réchauffement à 1,5°C est réduit à l’équivalent de trois années d’émissions de CO2. Le dépassement du seuil de 1,5°C est désormais inéluctable», alerte Pierre Friedlingstein, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique, qui a participé à l’étude.
Pour limiter le réchauffement à +2°C, le budget carbone restant est un peu plus large : 1 050 milliards de tonnes, soit 25 ans d’émissions. «Quoi qu’il arrive, il faut arriver absolument à réduire les émissions à zéro, car le budget carbone est forcément limité», complète le chercheur.
Un réchauffement quasi entièrement dû aux humains
À cause des émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation des températures à la surface de la Terre a atteint +1,52°C en 2024 par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui en fait la plus chaude jamais mesurée. «C’est certes une année record, mais le niveau de température était attendu, et n’est pas exceptionnel pour autant», décrypte Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique à l’École normale supérieure, qui a participé à l’étude. C’est la première année à dépasser l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, mais celui-ci doit être franchi pendant plusieurs années pour que la communauté scientifique considère qu’il est officiellement dépassé. Les chercheur·ses ne se font pourtant pas d’illusion : «Limiter le réchauffement planétaire sous 1,5°C n’est désormais plus atteignable», concluent les scientifiques français·es dans un communiqué commun.

Sur la dernière décennie (2015-2024), la hausse du mercure a atteint les +1,24°C, dont la quasi-totalité (1,22°C) est due aux activités humaines. Dans le dernier rapport du Giec, le réchauffement observé était de +1,09°C. «Les températures ont augmenté d’année en année depuis le dernier rapport du Giec en 2021, ce qui montre que les politiques et le rythme de l’action climatique ne sont pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour faire face à des impacts de plus en plus importants», remarque Piers Forster, directeur du Priestley centre for climate futures de l’université de Leeds et auteur principal de l’étude.
La Terre se réchauffe rapidement… et les océans, qui stockent quelque 90% de l’excès de chaleur généré par le dérèglement du climat, ne sont pas en reste. Dans le dernier rapport du Giec, on considérait que l’océan s’était réchauffé de 0,88°C entre la période 1850-1900 et la décennie 2011-2020. Cette hausse s’élève désormais à +1,02°C, si l’on considère les données des dix dernières années (2015-2024).
«La suite dépend des choix qui vont être faits»
Autre conséquence du changement climatique : la montée du niveau de la mer, due à la hausse du thermomètre dans les océans et la fonte des glaces continentales (c’est-à-dire les calottes telles que l’Antarctique ou le Groenland). Le niveau moyen s’est élevé de 22,8 centimètres entre 1901 et 2024. En 2018, date de prise en compte des données pour le dernier rapport du Giec, l’évolution était de 20,2 centimètres. Plus inquiétant encore, le rythme d’élévation s’accélère : il est de 1,85 millimètres (mm) par an entre 1900 et 2024, mais de 3,91 mm par an depuis 2006.

Pour enrayer tous ces phénomènes, il n’y a ni secret, ni miracle, martèlent les scientifiques. «Nous allons rapidement atteindre un niveau de réchauffement de 1,5°C, et la suite dépend des choix qui vont être faits : nous pouvons limiter l’ampleur du réchauffement à venir, et protéger les jeunes générations de l’intensification des évènements extrêmes», souligne Valérie Masson-Delmotte. Pour y parvenir, une seule condition : réduire fortement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre.