Décryptage

Le retour probable du phénomène El Niño va-t-il encore aggraver le climat en 2023 ?

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Le chaud et l’effroi. Les tendances indiquent une reprise probable du phénomène climatique El Niño à la fin de l’année 2023 – un retour qui pourrait faire grimper les températures et stimuler certains événements extrêmes.

El Niño est une anomalie océanique naturelle et cyclique (dont la périodicité varie entre deux et sept ans) aux effets globalement réchauffants sur l’atmosphère. La Niña, phénomène sœur, a tendance à refroidir le climat. Il existe aussi une situation standard, caractérisée par des conditions neutres. Ces phénomènes sont liés aux variations de températures des eaux de surface de l’océan Pacifique équatorial – El Niño correspondant à une anomalie chaude. Il est à son paroxysme pendant l’hiver de l’hémisphère nord, en décembre et janvier. C’est d’ailleurs de là qu’il tire son appellation : venu d’Amérique du Sud, le nom a été choisi en référence à la naissance de l’enfant Jésus («El Niño» en espagnol) le 25 décembre.

En fin de semaine dernière, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a estimé à 62% la probabilité de voir El Niño revenir d’ici au mois de juillet, sept ans après le dernier épisode. Celui-ci peut avoir des conséquences à grande échelle sur le régime des vents, les précipitations ou la température des mers. Par exemple, les épisodes El Niño génèrent en général un excédent de cyclones sur la zone du Pacifique. Ils entraînent aussi des précipitations importantes (menant aussi à des inondations) sur le continent sud-américain, et apportent des conditions relativement sèches en Asie du Sud et en Australie. C’est l’inverse lorsque le phénomène La Niña, qui vient de s’arrêter après trois ans, est à l’œuvre. La Niña se traduit aussi par une abondance de poissons au large du Pérou, puisque les eaux sont plus froides et davantage chargées en nutriments.

Enfin, El Niño peut avoir une incidence sur les températures atmosphériques. En 2016, alors qu’El Niño était particulièrement marqué, on considère qu’il a participé à faire de cette année-là la plus chaude jamais mesurée à l’échelle mondiale. À partir du moment où les eaux de la zone équatoriale sont plus chaudes en surface, elles vont réchauffer l’air de cette zone, ce qui aura des conséquences sur la moyenne globale. «Mais ça ne va pas bouleverser la température mondiale», tempère Pierre Bonnin, climatologue à Météo-France, auprès de Vert.

Dans cette courte vidéo explicative, l’AFP décrypte le fonctionnement et les impacts d’El Niño et de La Niña sur le climat mondial. © AFP

Le retour d’El Niño en 2023 n’est pas acté pour autant. Météo-France évoque une probabilité autour de 50-60% de voir le phénomène se développer cette année. Un scénario qui reste à confirmer, mais qui semble le plus probable à l’heure actuelle. «S’il n’y avait aucune tendance pointant vers El Niño, les modèles montreraient une probabilité d’un tiers pour El Niño, un tiers pour La Niña et un tiers pour des conditions neutres», détaille Pierre Bonnin.

Certains modèles évoquent déjà la possibilité d’un «super El Niño». «Je me garderai bien de m’engager sur ce terrain-là parce que ça n’a pas de sens à ce stade», balaie Pierre Bonnin. Pour le climatologue, les projections de Météo-France, qui se font à trois ou six mois, ne sont pas assez avancées pour interpréter la situation avec certitude. Les bureaux météos vont désormais suivre l’évolution des tendances et la mise en place des conditions propices à l’arrivée d’El Niño.

Si les modèles changent d’un mois sur l’autre, cela les incitera à la prudence. Si la tendance esquissée se maintient, cela renforcera la probabilité du phénomène. «Mais c’est surtout en s’approchant vraiment de l’échéance, cet été, qu’on aura des éléments plus solides pour statuer sur la situation», affirme le climatologue.

Mais alors que 2022 a été une année exceptionnellement chaude, et ce malgré la présence du phénomène refroidissant La Niña, doit-on craindre les impacts de son cousin El Niño en 2023 ? Tout dépendrait de son intensité et in fine de son incidence sur les températures. «Sans certitude sur l’occurrence du phénomène et son intensité, il est évidemment très compliqué d’estimer un impact sur les températures», d’après Pierre Bonnin.

Si le mercure a battu des records en 2022, c’est davantage du fait du réchauffement climatique qu’aux conditions océaniques dans le Pacifique, pointe l’expert de Météo-France. Pour l’instant, les scientifiques peinent à établir un consensus sur l’impact du dérèglement climatique sur les phénomènes El Niño et La Niña. «Indépendamment d’El Niño ou de la Niña, ce que l’on sait avec certitude, c’est que le changement climatique va induire un risque de phénomènes extrêmes plus importants» établit Pierre Bonnin, «qu’il s’agisse de fortes précipitations ou de fortes sécheresses».