Décryptage

«L’océan nous protège des conséquences du changement climatique» : le réchauffement, un enjeu majeur de l’Unoc à Nice

Vague alarme. Au cœur de la conférence mondiale qui se déroule cette semaine à Nice, l’océan est un élément incontournable de notre système climatique. Tour d’horizon des impacts du dérèglement du climat sur les mers du globe, et des ressources qu’elles nous offrent pour lutter.
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On parle souvent de la forêt amazonienne comme du poumon de la planète, mais ce serait oublier le rôle majeur de l’océan. Les chiffres sont éloquents : l’ensemble des océans et des mers recouvre plus de 70% de la surface de la Terre, produit la moitié de nos besoins en oxygène, et capture un quart de nos émissions de gaz à effet de serre.

L’océan absorbe également plus de 90% de l’excès de chaleur généré par le réchauffement climatique. «Il a une énorme capacité thermique qui nous protège en partie des conséquences du changement climatique, qui seraient bien plus importantes sans lui», détaille auprès de Vert Xavier Capet, océanographe et directeur de recherche CNRS au laboratoire Locean.

Ce réservoir massif de chaleur et de carbone est le précieux stabilisateur d’un climat qui se réchauffe sans cesse. Mais ce rôle le place aussi en première ligne face aux impacts du dérèglement du climat.

Un thermomètre en ébullition

La hausse mondiale du mercure affecte largement les océans, qui se sont globalement réchauffés d’environ 0,6 degré (°C) entre 1993 et 2020 – et +1°C pour la mer Méditerranée. De quoi bouleverser des écosystèmes entiers, perturber des chaînes alimentaires, menacer des espèces endémiques (qui ne vivent que dans une certaine région du monde), ou encore favoriser le développement d’espèces invasives.

Les coraux peuvent blanchir et devenir fragiles sous l’effet de la hausse de la température de l’eau. © The Ocean Agency

Exemple emblématique des conséquences du réchauffement des océans : les coraux peinent à survivre dans des eaux trop chaudes. Si le monde se réchauffe de +1,5°C, soit le seuil le plus ambitieux de l’Accord de Paris sur le climat scellé en 2015, 70% à 90% des coraux pourraient disparaître, d’après le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur l’océan et la cryosphère de 2019. Un pourcentage qui grimperait à 99% en cas de réchauffement de 2°C, actant la quasi-disparition des récifs coralliens. Un tel niveau de réchauffement est aujourd’hui extrêmement probable puisque les politiques climatiques internationales nous mènent plutôt vers une hausse des températures comprise entre 2°C et 3°C.

Des littoraux submergés

Quand il se réchauffe, l’océan monte et finit par grignoter les littoraux. Depuis 1900, le niveau moyen des mers a augmenté de 20 centimètres – dont 10 centimètres ces 30 dernières années. D’ici à la fin du siècle, les différents scénarios climatiques anticipent une hausse globale du niveau de la mer qui varie entre 50 centimètres et un mètre. «Jusqu’à 2015, le plus gros de l’élévation du niveau de la mer était lié à la dilatation thermique de l’eau, qui prend plus de place quand elle se réchauffe, pointe Julie Deshayes, directrice de recherche CNRS au laboratoire Locean Mais, depuis, on doit la moitié de cette hausse à l’ajout d’eau qui provient des fontes continentales et qui augmente le volume de l’océan.» De quoi poser la coûteuse et essentielle question de l’adaptation des sociétés côtières au bouleversement de leurs paysages et de leurs écosystèmes. En 2020, 2,15 milliards d’individus vivaient à moins de 100 kilomètres des côtes, dont 900 millions de personnes à moins de dix kilomètres.

Huîtres et coquillages en danger

Autre contrecoup des émissions de gaz à effet de serre : l’acidification de l’océan. Plus on l’enrichit en CO2, plus on diminue son pH, et plus il devient acide. «Ce phénomène entraînera des changements dans la capacité de certains organismes calcaires à synthétiser leur coquille», développe Xavier Capet. Cela menace notamment des espèces comme les huîtres ou les moules et risque de bouleverser certaines chaînes alimentaires marines.

L’océan abrite de nombreuses ressources pour répondre aux boulversements climatiques. Les mangroves en font partie (ici, près de l’île de Staniel Cay, aux Bahamas). © James White/Danita Delimont

La désoxygénation de l’océan est une autre conséquence de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Des eaux de plus en plus chaudes contiennent moins d’oxygène, tandis que les organismes marins ont besoin de davantage d’oxygène pour survivre dans ces conditions – c’est un cercle vicieux. Par ailleurs, dans les zones côtières, la fertilisation excessive des sols par les engrais, qui se déversent ensuite dans la mer, participe également à la désoxygénation de l’océan. «On sait que l’océan a perdu environ 2% de son oxygène global depuis les années 1950-1960, décrypte Xavier Capet. Cela peut sembler anecdotique, mais même des diminutions faibles des quantités d’oxygène dans l’eau auront d’importantes répercussions sur les écosystèmes marins, et en particulier sur les poissons.»

«La solution est simple, réduire les émissions de CO2»

L’océan est touché de plein fouet par les conséquences du dérèglement climatique, et il abrite de nombreuses ressources pour y répondre. Parmi elles, on retrouve les «solutions basées sur l’océan», des actions qui s’appuient sur les écosystèmes pour répondre à divers enjeux (réchauffement climatique, sécurité alimentaire, transition énergétique, etc.).

Ces solutions incluent notamment la restauration de mangroves (sorte de marais maritimes qui se développent sur les littoraux des zones tropicales, qui absorbent beaucoup de carbone et limitent l’érosion côtière), d’herbiers marins (des prairies aquatiques qui facilitent la reproduction des poissons et stockent du CO2) ou encore des récifs coralliens. Certain·es plébiscitent également le processus d’alcalinisation, c’est-à-dire l’ajout de minéraux pour augmenter le pH de l’océan (et ainsi contrer l’acidification) et favoriser l’absorption de CO2.

Il ne s’agit pas pour autant d’alternatives miracles et déployables à grande échelle, juge Julie Deshayes. Pour la chercheuse, ces solutions ne font qu’éviter de s’attaquer à l’enjeu majeur de notre siècle, à savoir enrayer le réchauffement climatique à sa base : «Ce n’est pas l’océan qui va nous fournir les solutions. La solution, on la connaît et elle est simple, c’est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est la priorité absolue.»