Reportage

Ici, la côte recule de 30 mètres chaque année : en Charente-Maritime, la difficile adaptation face à l’érosion record du littoral

Phare niente. C'est la zone qui connaît le plus fort recul du trait de côte en Europe : l’agglomération de Royan (Charente-Maritime) voit son littoral menacé, dans une économie dominée par le tourisme. Un dilemme auquel les autorités répondent par l’anticipation, l’adaptation et, parfois, le renoncement.
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Dans l’écume verte des pins et chênes de la forêt de la Coubre, au sud de la Charente-Maritime, la pointe du phare surgit comme la nacelle rouge d’une fusée des années 1960. Pour sa réouverture le 1er février 2025, une foule inhabituelle se presse au petit guichet du sémaphore, érigé en 1908 au nord de l’estuaire de la Gironde : «On veut le voir avant qu’il soit détruit !», expliquent des locales et locaux venu·es avaler les 300 marches qui tournoient dans la cage d’escalier aux reflets émeraude, jusqu’à la lentille, à 64 mètres de haut.

Mi-janvier, l’hebdomadaire local Le littoral avait titré «Le phare de la Coubre va disparaître», soulevant l’émotion pour ce monument local. Un avis de décès un peu prématuré : les vagues claquant désormais à moins de 130 mètres de distance, les autorités ont commencé à réfléchir aux dispositions à prendre si l’océan venait mordre plus près du pied du phare, pour éviter une chute incontrôlée.

À gauche, le phare de la Coubre (Charente-Maritime) dans les années 1950. À droite, ce même monument le 31 janvier 2025. Depuis sa construction, la côte a reculé d’un kilomètre et demi. © Collection Henri Moreau/Phare de la Coubre/Montage Vert

Un habitant de Royan s’inquiète des grandes plaques de béton armé à vif côté océan : «Il faudrait refaire la peinture !» Le dernier coup de rouleau date pourtant de 2016. Mais la mer et le vent rongent. Et pas que les revêtements : depuis la construction du phare, la plage qui le sépare de l’eau a reculé d’un kilomètre et demi.

Sept mètres grignotés en une seule nuit

La communauté d’agglomération de Royan Atlantique (Cara), où se situe ce phare iconique, fait face à une érosion marine hors norme. Prise en étau entre l’estuaire de la Gironde et celui de la Seudre, elle compte 33 communes, dont 21 littorales. 100 kilomètres de côte au total, qui reculent jusqu’à 30 mètres par an, un record en Europe. Aux côtés des 85 000 habitant·es (dont 50% de retraité·es), se pressent chaque année un demi-million de touristes attiré·es par le climat méditerranéen, les circuits de randonnée en forêt et les larges plages. Un paysage de carte postale que les acteurs locaux et l’État apprennent à protéger… et à laisser partir.

«La presqu’île d’Arvert, au sud de laquelle se trouve l’agglomération de Royan, évolue très rapidement car, en plus d’être au confluent de deux embouchures, elle n’a pas de socle rocheux sous les sédiments pour freiner ou dissiper les vagues, analyse Éric Chaumillon, chercheur en géologie marine pour le CNRS à l’Université de La Rochelle et spécialiste de l’érosion côtière. Les principaux facteurs restent les tempêtes et la dynamique des embouchures proches. Mais la montée des eaux, liée au changement climatique, commencera à exercer une forte influence au milieu du 21ème siècle et rendra les tempêtes encore plus destructrices.»

Ce lundi 3 février, la brume de mer se lève sur la plage de l’Embellie, dans un bruit de tronçonneuse. Mandaté par l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire du domaine de la Coubre, un entrepreneur rase, un pin maritime après l’autre, un petit bosquet qui surplombe la plage effondrée, à deux coups de pédale du parking. «Nous déboisons de manière préventive pour éviter que les arbres tombent dans la mer, explique Pierre Beltrando, responsable de l’unité territorial de l’ONF pour cette forêt. Il faut éviter que les troncs dérivent pour aller s’encastrer dans des bateaux ou des parcs à huîtres.»

La plage de l’Embellie a reculé de sept mètres dans la nuit du 28 au 29 janvier, obligeant l’ONF à des coupes d’urgence dans la forêt. © Sylvain Lapoix/Vert

Dans la nuit du 28 au 29 janvier, la tempête Herminia a avalé sept mètres de terre. La dune a été tranchée d’un coup sec, à deux mètres de la piste cyclable, laissant des arbres entiers sur le sable, racines en l’air, le tronc noirci par l’eau salé. En dix ans, cette partie de la côte qui fait face à l’île d’Oléron a perdu 300 mètres. «Notre seule solution, c’est de gérer le stock de sable, constate Pierre Beltrando, tout en désignant les piquets reliés de fils de fer en amont de la plage : nous piégeons le sable avec des filets et des clôtures pour reconstituer la dune, puis nous plantons des oyas qui la consolident et, ensuite, on peut entretenir une végétation plus ligneuse, la dune grise. Ce sont nos meilleures protections contre l’érosion côtière.» Le temps de cette conversation, le petit bosquet de pins maritimes au-dessus de la plage a disparu.

«Il ne sert à rien de bétonner»

Ces initiatives locales apparaissent dérisoires aux habitant·es de la région. Pourquoi pas des digues pour contenir la mer et sauver le phare de la Coubre ? «Le phare actuel est le cinquième construit ici : le précédent était protégé par des brises lames et des installations en dur, ça ne l’a pas empêché de s’effondrer en une nuit, la veille du dynamitage prévu !, rappelle Damien Joussemet, responsable de l’établissement à la mairie de La Tremblade (Charente-Maritime). En 1948, on disait déjà que le phare était condamné. S’il tient encore, c’est grâce à l’ONF !»

En 2024, l’agglomération a adopté une stratégie de lutte contre l’érosion, avec un budget de 5,3 millions d’euros sur cinq ans. D’après l’observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine (réseau d’expertise coordonné par l’ONF et le Bureau de recherches géologiques et minières pour surveiller l’évolution de la façade atlantique dans la région), 74% du littoral sera impacté d’ici 2050, avec des retraits jusqu’à 200 mètres en côte sableuse et six mètres sur les falaises. Outre la surveillance, la principale action consiste dans du confortement. 

«Il ne sert à rien d’artificialiser, de bétonner, insiste Clémentine Guillaud. Nous protégeons les fonds de plage avec des enrochements, des murets pour éviter que ça grignote les routes. Pour les falaises, nous faisons des purges, en retirant les pierres qui risquent de s’effondrer. Nous prenons aussi des mesures pour éviter les infiltrations qui peuvent causer des effondrements en cas de gel et dégel.»

Perchée sur un piton rocheux de douze mètres, l’église Sainte-Radegonde est l’une des priorités de la Cara en matière de confortement, pour éviter qu’elle ne sombre dans la Gironde. © Sylvain Lapoix/Vert

Parmi les chantiers prioritaires, le piton calcaire de Talmont-sur-Gironde, non loin de là, qui porte l’église romane Sainte-Radegonde, à douze mètres au-dessus de l’estuaire. Malgré les nombreuses gargouilles qui la défendent depuis le 12ème siècle, ce monument historique qui revendique 500 000 visites par an a déjà vu sa crypte et une partie des travées emportées par les tempêtes.

La difficulté de l’exercice repose dans ce mélange de temps long et d’accélérations brutales que les moyennes gomment. En novembre 2023, les intempéries ont frappé d’un coup sec la forêt des Combots, sur la commune de Saint-Palais-sur-Mer, et ont fait s’effondrer la dune de 50 centimètres. L’itinéraire cyclable de la Vélodyssée, qui longe toute la côte de l’agglomération, était menacé. En urgence, les services de la Cara ont fait installer une ligne de «bigbags», cubes de tissu technique remplis de centaines de kilos de sable, pour protéger la piste. «Ils ont tenu deux mois», sourit Clémentine Guillaud en donnant un coup de pied fataliste aux contenants éventrés abandonnés sur la plage. La seule solution, reculer : les restes de route ont été retirés, la plage redessinée et la forêt plantée de panneaux jaunes pour les itinéraires bis.

Disposés sur la plage pour freiner l’érosion, les «bigbags» de sable n’ont pas tenu face aux tempêtes et aux vagues. À gauche, la plage de Saint-Palais-sur-Mer en décembre 2023. À droite, la même plage en janvier 2025. © Cara/ Sylvain Lapoix/ Montage Vert

Sauver le patrimoine naturel

La priorité du plan d’action est la protection des populations et des infrastructures. Ainsi, il intègre pour certains lieux une dernière stratégie, l’inaction. Dans le cas du phare de la Coubre, l’hypothèse de la protection à tout prix a été abandonnée au profit d’une réflexion sur sa disparition inéluctable : «Tout est possible si l’on met l’argent, mais quel est le rapport coût/bénéfice ?, interroge Christophe Bleynie, chef de la division de La Rochelle du service des phares et balises, en charge de l’établissement. Déplacer le phare nécessiterait des millions d’euros et d’abattre les arbres sur deux kilomètres… nous préférons nous préparer pour ce moment où il faudra agir.»

Une inaction qui pourrait être bénéfique aux espaces naturels mis sous pression par l’activité touristique. Au sud du phare, les courants croisés de la Gironde et de l’Atlantique façonnent une baie depuis des siècles, Bonne-Anse, où font halte des milliers d’oiseaux migrateurs. France nature environnement et la Ligue de protection des oiseaux défendent son classement en réserve naturelle nationale. «Dans ce contexte où tous les systèmes sont bouleversés, il faut accepter l’instabilité et préserver au plus vite l’existant, s’anime Cédric Marteau, directeur général de la LPO. Le recul du trait de côte menace Bonne-Anse or, derrière, il n’y a pas d’endroit pour les oiseaux où reculer. Il faut sauver le patrimoine et, là-dedans, il y a aussi ce patrimoine naturel. C’est lui qui fait la beauté de ce lieu.»

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