«Regarde, maman, le sapin !» Les joues rougies par le froid, Louis, 7 ans, désigne l’arbre lumineux qui domine la place Kléber, au cœur du marché de Noël de Strasbourg (Bas-Rhin). Haut de 31 mètres, le géant vert capte tous les regards avec ses décorations écoresponsables et locales.
Chaque année, plus de trois millions de visiteur·ses déambulent dans la cité alsacienne de la fin novembre au 24 décembre, selon les chiffres de la ville de Strasbourg. Elles et ils viennent notamment pour le marché de Noël, l’un des plus anciens au monde : le premier christkindelsmärik (son nom d’origine) s’est tenu en 1570.

«Une sacrée logistique», sourit Jeanne Barseghian, maire (Les Écologistes) de Strasbourg. Depuis quatre ans, l’événement «Capitale de Noël» (qui regroupe les différentes manifestations autour de Noël à Strasbourg) a entamé sa mue écologique. «On avait besoin d’entrer dans le 21ème siècle», reconnaît la maire sortante, candidate à sa succession aux prochaines élections municipales en mars prochain.
Chaque année, 6 294 kilotonnes (soit 6 294 000 de tonnes) équivalent CO2 sont émises par les Français·es lors des fêtes de fin d’année, selon une étude publiée en 2022 par l’Ademe, l’agence de la transition écologique. Cela représente 1% des émissions annuelles des Français·es.
Un chantier colossal
Énergie, décorations, mobilités, gestion des flux, artisanat : à Strasbourg, un vaste état des lieux a été mené pour rendre l’événement plus sobre. «Les habitants avaient besoin de se réapproprier leur Noël après l’attentat de 2018. Et cela passe par un retour à l’authenticité et une transformation écologique», estime la maire.
Les illuminations, désormais entièrement en LED (des ampoules à basse consommation), ont permis de diviser par dix la consommation énergétique durant les fêtes, selon les chiffres de la ville. Certaines décorations, comme le sapin-cathédrale devant la gare (un faux sapin de 12 mètres de haut composé de 80 dessins imprimés de cathédrales miniatures), sont fabriquées à partir de bouteilles recyclées.

Ces décisions sont notamment issues des propositions formulées par un jury citoyen en 2022. Composé de 50 Strasbourgeois·es tiré·es au sort, il était chargé par la mairie de Strasbourg de réfléchir à la transformation de l’évènement Capitale de Noël.
Depuis, la gestion des déchets a aussi évolué. «On monte d’un cran chaque année, avec la récupération des graisses, des eaux grises, des biodéchets, des flux verts…», poursuit Jeanne Barseghian. En 2023, 166 000 tonnes de déchets ont ainsi été collectées, selon les chiffres de la ville de Strasbourg.
L’évènement Capitale de Noël a d’ailleurs reçu en début d’année la norme ISO 20121, une certification sur la gestion durable des évènements octroyée par l’organisme AB Certification (un certificateur indépendant français). Le marché de Noël de Bordeaux (Gironde) bénéficie également de cette certification.
Ce, bien que le gros point noir reste la mobilité. «85% de notre bilan carbone lié aux fêtes provient du transport. Les 15% de visiteurs qui viennent en avion représentent à eux seuls 85% de ce total», déplore Jeanne Barseghian. La ville dit travailler avec les tour-opérateurs pour les inciter à vendre des séjours moins polluants, notamment sans avion, «même si ce n’est pas simple».
«C’est logique que Strasbourg ouvre la voie»
Dans la transition de ses festivités de Noël, Strasbourg s’est inspirée d’un événement bien plus modeste : le marché OFF. Depuis dix ans, ce marché alternatif porté par des associations de l’économie sociale et solidaire s’installe au cœur de la Petite France, un quartier pittoresque et très fréquenté de la ville. Ici, pas de chalets en bois : les artisan·es et producteur·rices occupent d’anciens containers maritimes.
«On est loin des allées où l’on passe et où l’on surconsomme», souligne Marie Furlan, chargée de projet du marché OFF. On promeut un marché éthique et écoresponsable.» Les exposant·es sont sélectionné·es selon la charte de zigetzag.info, plateforme alsacienne d’achats responsables. «Pour l’alimentation, on veille à proposer des produits bio et issus du commerce équitable», assure Marie Furlan.

Animations pour enfants, safe zone – un espace calme et inclusif loin de l’agitation –, programmation artistique… Le concept, unique en France, séduit : 140 000 personnes y passent chaque année, selon l’organisation.
«C’est davantage le marché des Strasbourgeois, plus intimiste», estime Nathalie Blessing, brasseuse, qui participe pour la seconde fois au marché OFF. «On montre qu’il est possible de consommer et de fêter Noël autrement», se réjouit-elle, en servant un verre de bière chaude.
Le succès est tel que plusieurs initiatives du marché OFF ont été reprises dans les évènements organisés par la ville autour de Noël. «Grâce à leur travail, on a pu développer les produits écoresponsables, mettre en place des safe zones et étendre les festivités dans les quartiers», s’enthousiasme Jeanne Barseghian. «On est un peu un laboratoire-test, observe Marie Furlan. C’est assez logique que Strasbourg ouvre la voie vers un Noël plus responsable, et la ville met le paquet pour y arriver.»
«On n’est pas plus écolo qu’ailleurs»
Pourtant, cette vision est loin de séduire tout le monde. «Il y en a ras-le-bol de l’écologie à outrance», s’insurge Michèle, Strasbourgeoise. «C’est de l’écologie punitive. Je n’appelle pas ça Noël», proteste-t-elle en désignant les containers du OFF.
Dans les allées du marché officiel, qui regroupe les 300 chalets et stands commerciaux traditionnels, on s’amuse de la communication écologiste de la ville. «On n’est pas plus écolo qu’ailleurs, estime Clément Berger, un exposant historique. On m’a refusé cette année de proposer des produits alimentaires locaux en plus de mon matériel de pâtisserie. Où est la logique ?»
Tal Hausswirth, artisane dans une poterie à Soufflenheim (Bas-Rhin), à 40 kilomètres de Strasbourg, abonde : «On ne fait absolument rien pour les artisans locaux. Le discours de la maire, c’est du blabla. Nos demandes d’agrandissement de notre chalet sont refusées. La priorité, ce sont les stands de bouffe.»

Un faux procès, rétorque Jeanne Barseghian, qui se targue au contraire d’avoir permis «l’essor de l’artisanat et des jeux en bois sur le marché de Noël».
Le sujet crispe, à quelques mois des municipales, alors que certain·es candidat·es dénoncent une perte d’authenticité des festivités de Noël. Interrogé par Actu Strasbourg, le candidat Horizons Pierre Jacubowicz réclame un marché plus «local, respirable et mieux organisé». L’ancienne maire socialiste et candidate Catherine Trautmann veut «voir le marché de Noël retrouver sa qualité», selon le site Actu.fr. De son côté, le candidat insoumis Florian Kobryn raille dans le média local Pokaa un «évènement populaire et convivial qui est devenu une entreprise commerciale».
«Je ne vois pas où est la perte d’authenticité lorsque l’on revient au local et à des choses plus simples comme il y a 50 ans», estime de son côté Marie Furlan, du marché OFF, qui refuse cependant de «rentrer dans un débat politique».
Un marché dédié à l’artisanat en projet
Qu’à cela ne tienne, la municipalité sortante espère «accélérer davantage» la transformation écologique de Strasbourg à Noël. «Nous réfléchissons à créer un marché spécialement dédié à l’artisanat, pour faire davantage la part belle au local», annonce Jeanne Barseghian, sans indiquer toutefois de date précise.

Il est aussi question de développer la coopération avec les autres communes alsaciennes connues pour leurs marchés de Noël (Eguisheim, Riquewihr, Colmar…) pour «réfléchir ensemble à la question des mobilités», abonde l’édile.
Objectif : servir d’exemple pour engager une vraie mutation écologique des fêtes de fin d’année en France. «Pour le moment, il n’y a pas beaucoup de villes qui s’inspirent de nous, malgré notre bonne coopération avec Dresden [en Allemagne, NDLR] et Bethléem», en Cisjordanie, en Palestine. À moins que les prochaines élections municipales, en mars prochain, n’en décident autrement.