À 100 jours des élections municipales, la campagne pour s’emparer de Paris a déjà bien commencé pour la favorite des sondages au premier tour, Rachida Dati (Les Républicains), qui régale ses abonné·es Instagram de vidéos en immersion dans la capitale : ici en éboueuse, là en crêpière ou encore en super reporter. Pendant ce temps, à gauche, on tente encore de bâtir un accord pour s’unir. «Les appareils sont tellement pris dans les négos qu’ils ne font pas vraiment campagne», s’agace même Alexandre Florentin, conseiller écolo de Paris siégeant dans la majorité sortante.
Pourtant, après deux mandats sous la houlette d’Anne Hidalgo (Parti socialiste), les socialistes, les écologistes et les communistes ont un bilan en commun qu’ils auraient tout intérêt à mettre en avant : celui de la transformation écologique de Paris. «Aujourd’hui, c’est notre atout majeur. On a montré que l’écologie, c’est beau, sexy, sympa. On a gagné la bataille culturelle», se félicite David Belliard, adjoint en charge de la transformation de l’espace public et candidat des Écologistes.
«Les plans climat adoptés à l’unanimité»
En plus des très photogéniques baignades dans la Seine ou des transformations de rues en oasis cyclables et/ou végétales, quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2014 et 2022, la capitale a réduit son empreinte carbone de 21% (contre 12,5% à l’échelle nationale) et la pollution atmosphérique y a chuté de 40% d’après Airparif, l’organisme chargé de surveiller la qualité de l’air en Île-de-France.

Si les transformations tous azimuts ont soulevé des contre-feux parfois violents (voir plus bas), «aujourd’hui, on s’aperçoit que ce n’est pas plus mal comme ça et plus personne ne veut revenir dessus», assure David Belliard. De fait, «il y a aujourd’hui une prise de conscience collective qui rassemble au-delà des clivages politiques», confirme Jean-Didier Berthault (LR), conseiller dans l’opposition et soutien de Rachida Dati. À l’heure de faire le bilan écolo de la capitale, il insiste : «Les plans climat ont toujours été adoptés à l’unanimité, l’opposition y a donc contribué.»
Le trafic routier en chute libre
Pour David Belliard, la transformation écologique de Paris tient surtout en un mot, «la reconquête de l’espace public» aujourd’hui dévolu à plus de 50% à la voiture, alors qu’elle ne représente plus que 4,3% des déplacements (contre 11,2% pour les vélos, 30% pour les transports en commun et 53% pour la marche, selon l’Institut Paris Région).
«Retirer de l’espace aux voitures, c’est aujourd’hui le seul moyen pour faire de la place aux piétons, aux cyclistes et à la végétation», insiste-t-il. Là encore, les chiffres sont éloquents : depuis 2017, plus de 15 000 places de stationnement voitures ont disparu (-11,5%) tandis que les linéaires de voies cyclables (pistes dédiées, voies de bus partagées, double sens cyclable, etc.) se sont envolés. Ils atteignaient 1 500 kilomètres en 2023 (sur 1 800 kilomètres de voies parisiennes au total), selon les dernières estimations.

La diminution des espaces dévolus à la voiture s’est aussi accompagnée d’une mise au pas généralisée. Baisse de la vitesse autorisée (à 30 km/h dans tout Paris, et à 50km/h sur le périphérique), zones à faibles émissions, zones à trafic limité et autre triplement du prix du stationnement pour les SUV ont eu raison de nombreux bolides : ces 20 dernières années, le trafic routier a baissé de 60% intra-muros et de 18,5% sur le périphérique. «Et moins d’un tiers des Parisiens possèdent encore une voiture», souligne David Belliard.
L’opposition ne se risque plus à défendre la voiture
Malgré des frictions à la mise en œuvre, ces politiques sont aujourd’hui plébiscitées. «Ce qui ressort clairement, c’est la volonté de réduire encore la place de la voiture», constate Anna Bittighoffer, membre du mouvement Paris Collectif, qui a identifié 250 propositions citoyennes issues de rencontres avec plus de 3 000 personnes habitant ou travaillant à Paris. «C’est demandé par des personnes de tous milieux sociaux. Pas aussi bobos que ce que je pensais», confirme Manon Lesterlin, également membre du collectif.
Face à ces résultats, et alors qu’elle a durement ferraillé contre plusieurs chantiers emblématiques, la droite ne se risque plus à défendre la voiture. Dans le plan mobilités qu’elle a dévoilé mi-novembre, Rachida Dati a assuré qu’elle ne «réduirait pas la place du vélo à l’échelle de Paris» et promis de «sanctuariser la place du piéton». Alors que ses allié·es à droite ont mené une intense bataille (y compris judiciaire) contre la piétonnisation des voies sur berge, elle propose aujourd’hui, non pas de revenir en arrière, mais d’aller encore plus loin en les transformant en «grand parc urbain patrimonial».
Végétalisation : et si la droite faisait mieux ?
D’ailleurs, l’opposition n’est pas avare de reproches sur l’indispensable végétalisation de Paris, qu’elle juge trop timide : «C’est plus de la communication qu’un véritable plan», tacle la centriste Elisabeth Stibbe. Celle qui est engagée sur la liste de Rachida Dati veut aller plus loin : «Nous, on propose de transformer la petite ceinture [une ancienne ligne de chemin de fer encerclant Paris, NDLR] en un grand parc urbain d’une trentaine de kilomètres. Ça relierait les quartiers, ça serait bon pour la biodiversité», défend-t-elle.
«Pour moi, c’est cosmétique : il n’y a pas eu vraiment de verdissement», cingle de son côté Jean-Didier Berthault. «Au contraire, il y a eu une bétonisation», juge-t-il, prenant l’exemple des places de la République et de la Bastille, récemment aménagées. Une fois n’est pas coutume, le constat est partagé à sa gauche.
«On a bétonné comme pas possible avec, ici et là, de superbes serres à tomates comme la tour Triangle ou la gare d’Austerlitz», ironise Alexandre Florentin en référence aux nombreux bâtiments vitrés qui ont continué de pousser dans la capitale malgré leur inadaptation flagrante aux chaleurs estivales. Celui qui a présidé en 2022-2023 une mission d’information sur «Paris à 50°C» le rappelle : alors que Paris est l’une des villes les plus mortelles pendant les canicules, «trop peu a été fait pour l’adapter à un climat en surchauffe».
«Tout cela doit être considéré comme une intro»
En deux mandats, l’équipe municipale revendique 45 nouveaux hectares d’espaces verts, 155 000 arbres plantés, 93 rues végétalisées, 205 «rues aux écoles» (souvent fermées à la circulation motorisée), 165 cours «oasis» (désartificialisées) ou encore 34 hectares d’agriculture urbaine. Mais, malgré cet effort, la capitale ne compte toujours que 3,2 mètres carrés d’espace vert par habitant (10,4 m2 avec les bois) quand l’Organisation mondiale de la santé en préconise une douzaine par tête.

«Tout cela doit être considéré comme une intro. La transformation doit se poursuivre et être massive, sinon Paris sera percutée de manière frontale par le dérèglement climatique», prévient David Belliard. Selon Paris Collectif, la végétalisation de la capitale et la réduction des îlots de chaleur font partie des mesures les plus intensément soutenues par les personnes sondées. En mars dernier, la votation citoyenne sur la végétalisation et la piétonisation de 500 nouvelles rues a recueilli 66% de voix «pour» (mais seulement 4% d’électeur·ices se sont prononcé·es).
Rénover les logements : une question de dignité
Un dernier sujet très plébiscité concerne l’amélioration des logements parisiens, dans une logique d’adaptation au changement climatique, mais pas seulement. «Il y a une volonté très forte de gagner en dignité de l’habitat», explique Anna Bittighoffer de Paris Collectif. Selon l’Insee, plus de la moitié (54%) du parc parisien de résidences principales avait une étiquette énergétique (DPE) E, F ou G en 2018 (contre 41% au niveau national), soit autant de frigos l’hiver qui se transforment en bouilloires l’été.
De ce point de vue, l’équipe municipale hérite d’«une ville patrimoniale, très compliquée à adapter», prévient David Belliard. La mairie affirme par exemple que 30% des opérations de rénovation énergétique sont bloquées ou annulées sur décision des Architectes des bâtiments de France, un organisme dépendant du ministère de la culture chargé de faire respecter le patrimoine national. Or, quand l’installation de volets ou l’isolation des toits est empêchée pour préserver l’harmonie des rotondes haussmanniennes, ce sont les habitant·es qui cuisent sous les ardoises.
Le parc de logements sociaux a pris un peu d’avance – 60 000 logements rénovés sur 260 000. Mais le parc privé, largement composé de copropriétés, est à la traîne malgré les aides administratives et financières proposées par le programme Eco rénovons Paris. Si la mairie estime que 40% des logements parisiens sont désormais accompagnés par le programme, la chambre régionale des comptes constatait en 2024 que «six à sept ans s’écoulent entre le temps de décision nécessaire aux copropriétés pour s’engager dans une démarche de rénovation thermique, le premier accompagnement de la copropriété et le vote des travaux».
Pour Jean-Didier Berthault, l’heure est venue pour «un grand programme de rénovation du privé». L’idée, accueillie à bras ouvert par l’écologiste David Belliard, implique «un travail énorme et énormément d’argent», prévient-il. «Moi, je les trouve les millions», rétorque Jean-Didier Berthault, «il suffit d’arrêter de préempter des logements place des Vosges ou rue Georges V [où l’immobilier est particulièrement onéreux, NDLR] pour les convertir en logements sociaux». L’opposition tire régulièrement à boulets rouges sur la politique d’acquisition de l’équipe municipale, jugée dispendieuse et inefficace. Entre 2022 et 2023, la mairie aurait ainsi dépensé près d’un milliard d’euros pour acquérir 84 bâtiments privés, selon une étude repérée par Le Parisien.

Depuis 2001, la ville est passée de 13 à 25% de logements sociaux. Et l’encadrement des loyers mis en place en 2019 a permis de modérer la hausse des loyers d’environ 5%, selon l’Atelier parisien d’urbanisme. «On a l’impression que la municipalité progresse et on peut le noter. Mais les effets ne seront pas immédiats et le chantier reste complexe», estime Eric Constantin, directeur Île-de-France de la Fondation pour le logement. À la prochaine équipe municipale de faire mieux.