Reportage

«Stérin s’immisce dans tous les pans de la société» : à Paris, La Nuit du bien commun cofondée par le milliardaire chahutée

Stérin tolérable. Lors de son édition nationale à Paris ce jeudi, le gala caritatif controversé a récolté deux fois moins d’argent que l’an passé. Ce raout, cofondé par l’homme d’affaires ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin, s’est déroulé dans une ambiance électrique en raison d’une mobilisation citoyenne. Vert était sur place.
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Quand Pierre-Édouard Stérin, exilé fiscal en Belgique depuis 2012, vient discrètement à Paris – trois jours toutes les trois semaines, comme il le raconte au Figaro –, il se rend dans son bureau au septième étage d’un immeuble du 9ème arrondissement. La large porte-fenêtre s’ouvre sur «une vue sublime» de la capitale. Surtout, elle donne directement sur le théâtre des Folies Bergère, au bout de la rue. Si le milliardaire ultraconservateur se trouvait dans son bureau, ce jeudi 4 décembre au soir, il n’a pas dû aimer le spectacle qui s’offrait à lui.

Vers 21 heures, alors que la soirée caritative La Nuit du bien commun (qu’il a cofondée en 2017) bat son plein à l’intérieur des Folies Bergère, un collectif baptisé «PES» (pour Parade à l’extrême stupidité – et pour les initiales du milliardaire) allume un feu d’artifice sur le toit du théâtre. Il déploie ensuite une banderole qui recouvre le nom du lieu, visible depuis l’autre bout de la rue : «Paris est antifa».

Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant les Folies Bergère pour s’opposer à l’événement et à son fondateur. © Théo Mouraby/Vert

Revenons en arrière. Deux heures plus tôt, une file d’attente s’étire devant l’entrée de la salle. Il est 19 heures et dans quelques minutes la soirée va commencer. Une dame aux cheveux grisonnants, chapeau sur la tête, s’agace des questions d’un journaliste : «Mais c’est qui ce Stérin ? Je ne le connais pas moi.» Les retardataires rejoignent le bout de la file. Elles et ils patientent en musique.

Associations réactionnaires et anti-avortement

À quelques mètres de là, à l’angle du bâtiment, plusieurs centaines de personnes sont mobilisées pour s’opposer à la tenue de l’évènement et à son fondateur. Les couleurs d’une multitude d’organisations syndicales, politiques et écologistes se mélangent autour d’une grosse enceinte et d’une fanfare. Dounia, 38 ans, professeure documentaliste, est venue car elle se dit scandalisée qu’un événement lié «à un milliardaire d’extrême droite et qui finance des associations réactionnaires, anti-avortement» puisse avoir lieu «dans la plus grande officialité».

De fait, des associations financées grâce au gala par le passé sont proches de la mouvance catholique intégriste et des milieux anti-IVG, comme l’ont cartographié le média Basta et le collectif de journalistes Hors Cadre. C’est le cas de La Maison de Marthe et Marie, qui propose des collocations pour femmes enceintes, ou du réseau d’associations Familya, dont la mission officielle est de «prévenir les ruptures conjugales pour protéger les enfants».

Sous pseudo, Marco, éducateur social de 32 ans et syndiqué à Solidaires, regrette qu’une partie des associations mises en avant par La Nuit du bien commun viennent du secteur dans lequel il travaille. «C’est une façade, [Pierre-Édouard Stérin] se vend en grand philanthrope et grand ami des personnes en difficulté, tout en finançant le Rassemblement national. On veut de l’argent, mais pas de gens qui ont un projet eugéniste.» Fin juillet, Mediapart a révélé que l’homme d’affaires avait déclaré que sa priorité en France était «d’avoir plus de bébés de souche européenne». Officiellement, l’événement La Nuit du bien commun nie tout lien encore existant avec le milliardaire et se dit «fédérateur, aconfessionnel et apolitique». Contacté, son service communication n’a pas répondu à nos questions.

«Le but c’est que ces soirées n’aient pas lieu»

Le journal L’Humanité a révélé à l’été 2024 le plan d’influence politique (baptisé «Périclès») du milliardaire catholique. Il veut investir 150 millions d’euros pour faire gagner ses idées et le Rassemblement national dès les prochaines élections municipales en mars 2026. Depuis, des mobilisations émergent partout où passe La Nuit du bien commun. Ce gala caritatif qui doit permettre de lever des fonds pour des associations présélectionnées est devenu aussi radioactif que le nom de son fondateur, qui s’est retiré du conseil d’administration en juin dernier.

Une première manifestation a eu lieu lors de la soirée du gala à Tours (Indre-et-Loire), le 6 mai dernier. Depuis, chaque ville où est passé l’événement a eu sa mobilisation. La soirée prévue à Marseille, le 6 octobre, a dû être délocalisée à Aix-en-Provence… avant d’être annulée le jour même à cause d’une grève des technicien·nes qui avaient occupé la scène. Elle s’est tenue en visioconférence à la place. Comme à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 19 novembre.

«La mobilisation commence à bien fonctionner. Il y a pas mal d’endroits où des partenaires se désengagent, des assos renoncent à participer, explique Salomé Gadafi, secrétaire générale adjointe de la CGT Spectacles, ce jeudi. Le but, c’est que ces soirées n’aient pas lieu.»

À Paris, la soirée nationale de La Nuit du bien commun était d’abord prévue comme chaque année à l’Olympia (propriété de Vivendi, le groupe d’un autre milliardaire d’extrême droite, Vincent Bolloré), qui compte 2 000 places. Mais elle a été reprogrammée aux Folies Bergère (une salle également contrôlée par Vincent Bolloré), où il y a 1 700 places. Remplir la salle était l’une des inquiétudes des organisateur·ices. «À l’approche du grand soir, nous sommes tournés vers une priorité : faire salle comble !» écrivent-elles et ils dans un e-mail que les participant·es ont reçu après avoir validé leur place.

Vert avait tenté de se faire accréditer dès le 1er décembre pour assister à l’événement. Sans succès : «La salle est déjà complète», nous a répondu l’organisation. Pourtant, le 3 décembre encore, un e-mail a été envoyé à l’ensemble des inscrit·es pour les inciter à venir avec leurs proches. «C’est demain ! Il est encore temps d’inviter vos copains», était-il écrit en objet d’un e-mail. Alors, Vert a pris son billet à 1 euro pour rentrer.

«Vous n’imaginez pas ce qu’on a vécu ce soir»

Ce jeudi, la salle n’est pas complètement remplie. Les dernières rangées à l’étage sont vides. L’organisation a annoncé 1 300 personnes. «Ils croyaient nous arrêter mais vous êtes là, bravo», s’est réjoui au micro Stanislas Billot de Lochner, entrepreneur catholique et cofondateur du gala avec Pierre-Édouard Stérin en 2017.

Le principe de la soirée est simple : 12 associations, «les lauréats» sélectionnés par les organisateur·ices, ont trois minutes pour présenter leur projet. Puis, les membres du public, armés d’une pancarte avec un numéro, la lèvent quand ils souhaitent faire un don. Dans les faits, le déroulement de la soirée a été plus compliqué.

Les participant·es lèvent leur pancarte pour donner de l’argent, ici deux fois 100 euros. © Théo Mouraby/Vert

Le gala est rythmé par des incidents qui obligent le service de sécurité à naviguer entre les allées, parmi les spectateur·ices. Plusieurs boules puantes sont percées dans l’assemblée. «Des gens parmi nous essayent de nous saborder», dénonce le commissaire-priseur. Quelques individus sont exfiltrés dans le hall pour être fouillés. À un autre moment, une sorte de fumée envahit la salle, rendant la lecture des numéros sur les panneaux plus compliquée. «Vous n’imaginez pas ce qu’on a vécu ce soir. On a eu des antifas sur le toit, des tirs de mortier, des boules puantes, des gaz lacrymogènes», égrène Stanislas Billot de Lochner à la fin de la soirée.

Surtout, l’événement aura rapporté beaucoup moins d’argent que l’an passé, avec seulement 695 400 euros récoltés, contre 1,4 million en 2024. Pour un habitué de l’événement depuis sa création en 2017, «C’est du jamais vu». «Les gens [ont été] très timides», estime-t-il, à cause de la «polémique» et du «contexte politique».

La dernière «Nuit» à Bordeaux le 10 décembre

La dernière soirée de La Nuit du bien commun édition 2025 aura lieu la semaine prochaine, le 10 décembre, à Bordeaux (Gironde). Une mobilisation est déjà prévue et une pétition a été lancée. Pour Bastien Gracia, secrétaire fédéral du Parti socialiste en Gironde, le but est de «dénoncer l’entrisme réactionnaire et les baisses de subventions de l’État auprès des associations, qui les obligent à accepter la charité faussement chrétienne de ces réactionnaires».

L’association écologiste Clean my Calanques, à Marseille (Bouches-du-Rhône), avait reçu 35 000 euros lors de la soirée en 2023. Contactée, sa cofondatrice Céline Albinet dit avoir été «dégoutée» après avoir vu les informations sur le fondateur sortir dans la presse plusieurs mois plus tard. «Si on l’avait su avant, on se serait retirés du truc, jure-t-elle. Après, la thune qu’on a eue grâce à ça, on s’en sert pour faire des choses écologiques.»

Pour Bastien Gracia : «Stérin est un soft power qui s’immisce dans tous les pans de la société.» Comme dans d’autres endroits en France, cela fait maintenant quatre ans que La Nuit du bien commun est organisée à Bordeaux. Mais, jusqu’ici, la soirée passait «sous les radars». Plus maintenant, selon Bastien Gracia : «C’est une prise de conscience globale et c’est un combat intersyndical et transpartisan qu’il faut mener tous ensemble.»

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