Entretien

David Chavalarias, spécialiste des réseaux sociaux : «X continue de contaminer la société»

Déni soit-il. Les comptes climatosceptiques sur Twitter/X sont souvent associés à l’extrême droite, montre une nouvelle étude coécrite par le mathématicien David Chavalarias. Dans un entretien à Vert, il détaille le rôle du réseau social d’Elon Musk dans la création du doute sur le consensus climatique.
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2022 est une année charnière. Celle où Twitter/X devient «un lieu actif de conversion au scepticisme climatique», selon les auteurs d’une étude publiée ce mercredi. Ils documentent la montée du climatodénialisme dans le monde de l’après-pandémie de Covid-19, influencée par Twitter, renommé «X» après son rachat par Elon Musk en 2022.

Elon Musk a racheté Twitter – devenu X – à l’automne 2022. © Alpha Photo/Flickr

Les auteurs montrent que l’augmentation de la part de personnes qui ne croient pas à un réchauffement climatique d’origine humaine (+5% entre 2019 et 2023) s’est accompagnée «d’une [hausse] très significative de l’activisme climatosceptique sur Twitter/X depuis l’été 2022, et d’une hostilité accrue envers les climatologues». Entre 2019 et 2023, la France est même le pays où le nombre de personnes qui nient le consensus scientifique sur le climat a le plus augmenté (de 63% à 71%) parmi les 30 États étudiés sur les cinq continents.

Dans un entretien à Vert, le mathématicien David Chavalarias, co-auteur du rapport, revient sur les raisons de l’essor de l’activisme climatodénialiste sur Twitter/X, et sur ses conséquences au-delà de la plateforme.

Y a-t-il un lien entre la désinformation pendant la pandémie de Covid-19 et celle sur le climat ?

Oui, une grande partie du climatodénialisme à partir de l’été 2022 peut être expliqué par des comptes qui désinformaient déjà sur d’autres sujets, comme sur le Covid-19. Une partie d’entre eux l’a même explicité : «Maintenant que la pandémie est terminée, la prochaine grande peur qu’activera le gouvernement pour contrôler la population sera le réchauffement climatique.»

Ce qui est important, quand vous faites de la désinformation, c’est de le faire sur des sujets qui préoccupent les gens – sinon personne ne s’y intéresse. Le réchauffement climatique étant une source de préoccupations majeure, ils s’en sont emparés.

Quelles sont les autres causes de la montée du scepticisme climatique sur le réseau social Twitter/X ?

Il y a eu une explosion de la désinformation climatique pendant la canicule de l’été 2022, beaucoup plus importante que les autres années, qui a perduré après la saison estivale. En parallèle, il y a eu le rachat de Twitter [le 27 octobre 2022, par le milliardaire d’extrême droite Elon Musk, NDLR], ce qui a considérablement renforcé cette tendance et provoqué une fuite des comptes fiables sur le climat. Dès lors, l’absence de contradiction a facilité la tâche des climatosceptiques qui souhaitaient convertir de nouveaux comptes sur X.

David Chavalarias, mathématicien et directeur de recherches au CNRS. © Wikimedia commons

Qui sont les comptes qui désinforment ?

Les leaders de ces vagues climatodénialistes sont des comptes proches de sphères confusionnistes : ils sont très conservateurs et la majeure partie est à l’extrême droite du spectre politique. Certains sont en lien avec la propagande de la Russie, l’un des principaux acteurs de la désinformation au niveau mondial, notamment sur les thèmes climatiques, comme en Pologne.

C’est un phénomène globalisé ; ce ne sont pas des acteurs indépendants dans différents pays. La désinformation climatique rassemble des narratifs qui transitent d’un pays à l’autre, des acteurs qui s’entraident et des plateformes qui facilitent le tout.

Quels sont leurs objectifs ?

Ces personnes investissent des thèmes, créent des polémiques et de la division sociale dans le but de récupérer une part d’audience. Sur les réseaux sociaux, cette dernière est monétisée : le but est de créer la polémique pour engranger des vues et de l’argent.

Il peut aussi y avoir des raisons géopolitiques. On sait que le Kremlin investit des terrains de division comme le climat. C’est une carte gagnante : la question des mesures qu’il faut employer pour lutter contre le réchauffement climatique fait débat et il est facile de brosser les gens dans le sens du poil en disant que tout cela n’est que mensonges.

Le climatoscepticisme sur Twitter/X se propage-t-il dans le reste de la société ?

Aujourd’hui, l’audience de X en France est d’environ dix millions de personnes. Beaucoup de personnalités politiques et de médias y sont toujours. Cette communauté n’est pas négligeable et les publications sur le réseau sont relayées en dehors de celui-ci, affectant par ricochets beaucoup plus de monde.

Aux États-Unis, on dénombre encore près de 100 millions d’utilisateurs. Nous voyons que des thèses climatosceptiques populaires sur X, qui étaient encore marginales dans la société il y a quelques années, sont maintenant reprises dans le discours officiel du ministère de l’énergie de l’administration Trump. Il y a eu une synergie, une sorte de normalisation de la désinformation qui était sur X à l’échelle de pays comme les États-Unis.

Il faudrait quitter X en masse pour résoudre le problème. Tant qu’il y a encore des millions de personnes sur la plateforme, ou que les gens citent des personnalités politiques via leurs tweets publiés sur X, le réseau continuera de contaminer la société.

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C’est un danger vital pour nos démocraties, pour le climat, et pour nous, et on ne peut pas laisser faire ça.

Avec notre projet Chaleurs actuelles, on veut permettre à tout le monde d’avoir les bons outils pour ne pas se laisser piéger, détecter les fake news, et savoir comment agir.

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