Décryptage

Doit-on forcément tuer les vaches ? Peut-on toutes les vacciner ? Tout comprendre à la gestion de la crise de la dermatose nodulaire

La crise de la vache affole. Depuis l'arrivée de cette maladie bovine en France début juin, le gouvernement et les syndicats agricoles majoritaires défendent une stratégie d'abattage systématique des troupeaux contaminés pour éradiquer le virus. À l'inverse, la Coordination rurale et la Confédération paysanne appellent à euthanasier uniquement les animaux malades et à étendre la vaccination. Vert fait le tour de la question.
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Cinq mois après son apparition sur le sol français, la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) des bovins continue d’enflammer les campagnes. Alors que de nouvelles bêtes ont été euthanasiées lundi dans l’Aude, les mobilisations contre l’abattage systématique des troupeaux infectés se durcissent dans tout le pays, avec de nombreuses autoroutes et axes ferroviaires bloqués.

Sous pression, la ministre de l’agriculture Annie Genevard a annoncé une accélération de la campagne de vaccination des bovins dans le Sud-Ouest, à l’issue d’une réunion de crise organisée à Matignon mardi soir. La stratégie d’abattage systématique et total des troupeaux infectés est pour l’instant maintenue, au grand dam des agriculteur·ices qui s’y opposent fermement.

Pourquoi l’État décide-t-il d’abattre systématiquement les troupeaux contaminés ?

Apparue en France au début de l’été, la DNC est une maladie très contagieuse qui ne touche que les bovins (vaches, veaux, bœufs). Transmise par des insectes piqueurs, elle cause aux animaux forte fièvre, boursoufflures sur la peau ou encore diminution de la production de lait. Le virus peut mener à la mort rapide d’au moins 1 à 5% du troupeau, et laisser de lourdes séquelles sur une partie des bêtes qui survivent.

«C’est bien parce que cette maladie est grave qu’elle est strictement réglementée, et pas le contraire.»

En raison de ces caractéristiques, la DNC est classée en «catégorie A» en droit européen. C’est-à-dire qu’il s’agit d’«une maladie habituellement absente de l’Union européenne et contre laquelle des mesures doivent être prises pour un objectif d’éradication immédiate», explique le ministère de l’agriculture. Opposé aux abattages systématiques qui en découlent, le syndicat agricole Confédération paysanne demande le «déclassement à l’échelle européenne de cette maladie, car la faible mortalité et l’absence de conséquence pour les humains ne justifient pas de telles mesures».

«C’est bien parce que cette maladie est grave qu’elle est strictement réglementée, et pas le contraire», avertit Stéphanie Philizot, présidente de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Elle rappelle que les mesures de lutte sont issues de «réflexions qui ont duré plusieurs années entre des experts de plusieurs pays européens». Dès l’apparition des premiers cas de DNC, le gouvernement français a misé sur une réponse en trois temps : le «dépeuplement» systématique de l’ensemble des bovins en contact avec les animaux malades (y compris s’il n’y a qu’un seul cas, ou si le cheptel est en cours de vaccination) ; des restrictions des déplacements de bovins dans un rayon de 50 kilomètres autour du foyer ; et la vaccination massive des animaux dans la zone réglementée.

Une manifestation contre l’abattage systématique des troupeaux touchés par la dermatose nodulaire, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 15 décembre 2024. © Laurent Estreboou/Hans Lucas via AFP

«Tels que sont nos outils aujourd’hui, nous ne savons pas faire la différence entre les animaux sains, ceux en incubation et ceux qui sont infectés de manière subclinique [qui portent le virus sans présenter de symptômes, NDLR], parce que le virus est présent peu de temps dans le sang et de manière inconstante», explique Stéphanie Philizot. Il est donc impossible d’être certain de ne pas passer à côté d’animaux contaminés et contagieux : «C’est la raison pour laquelle on fait ces abattages complets des lots infectés», justifie-t-elle.

Des alternatives à l’abattage total sont-elles possibles ?

«L’abattage est la seule solution», affirmait Annie Genevard dans Le Parisien, vendredi. Face à l’explosion de colère dans le monde paysan ces derniers jours, la ministre de l’agriculture estime désormais que «la discussion est ouverte» sur une révision du protocole sanitaire. S’il apparaît comme la «moins pire» des solutions pour éradiquer la maladie d’un point de vue comptable, l’abattage total et systématique est d’une grande violence pour les éleveur·ses, qui voient disparaître des années de travail, de sélection génétique et d’attachement aux animaux.

Fers de lance de la contestation, la Confédération paysanne et la Coordination rurale (le deuxième syndicat agricole de France) implorent depuis des mois la fin de cette stratégie. À la place, les deux organisations proposent des alternatives : un abattage ciblé des seules bêtes malades, une mise en quarantaine avec surveillance renforcée du reste du troupeau, et une généralisation de la vaccination dans toute la France. En Ariège, l’ensemble des syndicats agricoles locaux ont proposé un protocole expérimental similaire, refusé par le gouvernement.

Le passage à un abattage sélectif «n’est pas une solution, car on risque de passer à côté de certains animaux qui seraient positifs sans avoir de symptômes», rappelle Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste et directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). «Il ne faut pas oublier que le virus est aussi transmis par des mouches et des taons, et qu’il sera très compliqué de confiner des animaux dans un bâtiment d’élevage où il n’y aurait aucun insecte», précise la scientifique.

«Si on enlève uniquement la vache qui a des nodules [les boursoufflures visibles sur la peau des animaux présentant des symptômes, NDLR], on laisse les autres [qui ne présentent pas de symptômes] et la maladie va continuer à faire son œuvre», abonde la vétérinaire Stéphanie Philizot. «Il faut trouver un équilibre entre la proportionnalité de la mesure et son impact, plaide de son côté Stéphane Galais, porte-parole de la Confédération paysanne, qui dénonce le manque de concertation du gouvernement. Pour l’instant, l’abattage total ne fonctionne pas, ce qui a enrayé la maladie en Savoie, c’est bien la vaccination.»

La France pourrait-elle étendre la vaccination à l’ensemble du territoire ?

C’est l’autre espoir du monde agricole : étendre la vaccination à l’ensemble des bovins du territoire français, et pas aux seules zones réglementées autour des foyers du virus comme le fait actuellement le gouvernement. Basé sur l’épidémie de DNC qui a touché les Balkans à la fin des années 2010, un rapport européen estimait en 2018 que la vaccination du bétail «constitue le moyen le plus efficace pour contenir la maladie». Comme le rappelle Le Monde, la lutte contre celle-ci s’était aussi couplée d’un abattage systématique des troupeaux et, dans le cas de l’Albanie, le mauvais déploiement de la campagne de vaccination avait viré au «scénario catastrophe».

L’efficacité réelle d’une vaccination généralisée fait par ailleurs débat dans le monde scientifique. «Il sera difficile de vacciner tout le cheptel et, comme pour l’humain, les vaccins peuvent être plus ou moins efficaces selon les individus, souligne Muriel Vayssier-Taussat, qui note que certains pays où la maladie est endémique vaccinent leurs animaux sans arriver à l’éradiquer. L’urgence est d’enrayer la propagation de la maladie avant d’envisager une vaccination massive qui, de toute manière, ne sera pas la solution miracle.»

«Un sacrifice pour sauver un système qui nous broie.»

Une vaccination générale est pour l’instant rejetée par le gouvernement et le syndicat majoritaire FNSEA, qui s’appuient sur des considérations économiques : les animaux vaccinés perdent leur statut «indemne», et risquent de ne plus pouvoir être exportés pendant quatorze mois. «Tant que nous n’aurons pas vacciné 75% des animaux dans 90% des élevages, nous ne pourrons pas reprendre langue avec nos partenaires pour exporter les animaux, le lait ou les fromages», confirme Stéphanie Philizot.

Pour Stéphane Galais, de la Confédération paysanne, ce frein économique «révèle toute la problématique de notre modèle agricole, qui va à l’encontre de la relocalisation». Face au constat froid de l’efficacité comptable des abattages systématiques, l’éleveur déplore «un sacrifice pour sauver un système qui nous broie». «Nous risquons de fragiliser encore plus ceux qui se sont déjà engagés dans des filières courtes, qui diminuent leurs exportations au profit d’une production locale, détaille-t-il. On va les pénaliser sur l’autel du commerce international, c’est inentendable et incompréhensible.»

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