Reportage

«Ils doivent faire le deuil de leurs animaux» : dans le Jura, une vague de soutiens aux éleveurs face à la dermatose nodulaire contagieuse

Village d'or. À Écleux, les 300 vaches de la commune ont été abattues ces dernières semaines, à la demande de l'État. La raison ? Tenter d’endiguer l'épidémie de dermatose nodulaire contagieuse. Pancartes dans les jardins, cagnotte citoyenne, fête… Le voisinage se mobilise pour réconforter les agriculteurs qui ont tout perdu, ou presque.
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Et les cloches se turent. Voilà bientôt trois semaines que plus aucune vache ne peuple le petit village d’Écleux, au nord du Jura. Toutes ont été abattues pour faire face à la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une maladie animale émergente (voir notre décryptage). «Cela fait drôle de voir les champs vides, ces vaches faisaient partie de notre paysage», souffle Isabelle Eplenier, une habitante de la commune dont les fenêtres donnent sur de grandes étendues de pâtures verdoyantes.

Au nord du département du Jura, le village d’Écleux est marqué depuis le 11 octobre par la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse dans les élevages bovins. © Esteban Grépinet/Vert

Située en plaine, à quelques kilomètres de la rivière de la Loue, Écleux est une petite commune comme on en compte des milliers en France. «Un village rural un peu anonyme», décrit le maire, Étienne Rougeaux. La vie de ses 200 habitant·es a basculé le soir du 11 octobre, lorsque les services vétérinaires de l’État ont officialisé la découverte du virus de la DNC dans un troupeau de vaches de la commune.

«On aurait dit que le village était assiégé»

Apparue en Haute-Savoie en juin, cette maladie animale originaire d’Afrique ne touche que les bovins. Transmise par des insectes piqueurs, elle entraîne forte fièvre, boursoufflures sur la peau et diminution de la production de lait. Son arrivée à Écleux est un vrai choc dans cette zone d’élevage et de production de fromages (comté, morbier, mont d’or…). «Le foyer le plus proche était à 120 kilomètres de ma commune [dans l’Ain, NDLR], nous ne comprenons pas comment le virus est arrivé ici et nous aimerions bien le savoir», s’interroge Étienne Rougeaux.

«Quand la maladie fait des bonds de plusieurs kilomètres, il est très peu probable qu’une mouche infectée ait été transportée par camion, explique à Vert le docteur David Quint, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (Snvel). Donc, on peut raisonnablement penser que ce sont des mouvements commerciaux illégaux d’animaux.» Si des investigations sont en cours, le ministère de l’agriculture confirme sur son site que «l’apparition récente de plusieurs foyers ponctuels […] résulte probablement de mouvements d’animaux, dont certains illicites».

Depuis quelques semaines, les pâtures sont vides : toutes les vaches de la commune ont été abattues. © Esteban Grépinet/Vert

À Écleux, une première ferme a été touchée le 11 octobre. Puis deux, puis trois, et ce sont finalement tous les troupeaux de la commune qui ont été considérés comme contaminés. La solution appliquée par l’État, redoutée par le monde agricole depuis l’arrivée de ce virus sur le territoire français, a été le «dépeuplement». Autrement dit, l’abattage de la totalité des bovins qui ont été en contact à l’intérieur des foyers de la maladie.

Déploiement de la gendarmerie, blocage de l’accès à la commune, drones et hélicoptère dans les airs… Les grands moyens ont été sortis pour éviter toute propagation de la maladie les jours suivant sa découverte : «On aurait dit que le village était assiégé, c’était assez traumatisant», se souvient Isabelle Eplenier, pourtant elle-même policière. Annie Genevard en personne, ministre de l’agriculture et figure politique de la région (notre portrait), s’est rendue sur place le 17 octobre pour rencontrer les éleveurs touchés et annoncer de nouvelles restrictions face à la maladie.

«Un simple témoignage d’entraide rurale»

Au fil des jours, la totalité des près de 300 vaches de la commune ont été euthanasiées. Une ferme du village voisin de Chamblay a également été frappée le 24 octobre : «En moins de 24 heures, les vaches pour qui nous avons tout donné – énergie, temps, argent – ont disparu», ont déploré sur Facebook Flavien Guenot et Lisa Bulliard, deux jeunes agriculteur·ices qui venaient de s’installer sur la ferme, il y a un an.

Si les éleveurs d’Écleux n’ont pas souhaité parler à la presse, ils ont chargé leur maire de se faire leur porte-parole : «Ils doivent faire le deuil de leurs animaux, puis il leur faudra passer à la reconstruction», détaille Étienne Rougeaux, également le directeur de la branche locale de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA, le syndicat agricole majoritaire en France).

Au-delà des pâtures sans bêtes et des étables silencieuses, une autre image marque lorsque l’on traverse Écleux : les pancartes de soutien aux éleveurs qui ont fleuri devant de nombreuses maisons. «C’est un simple témoignage d’entraide rurale, livre à Vert Ivana Prudon, qui a été l’une des premières habitantes à sortir une banderole devant chez elle. Nous avons tous immédiatement mesuré la force de ce qui se passait pour nos éleveurs, ces hommes sont nos voisins, nos amis !»

Habitante d’Écleux, Isabelle Eplenier a dessiné une pancarte pour soutenir les fermes du village. © Esteban Grépinet/Vert

«Nous sommes un tout petit village, on se connaît tous très bien et on s’est tous sentis touchés», abonde Isabelle Eplenier. Dessinatrice à ses heures, elle a confectionné une pancarte représentant une vache avec un message de soutien aux éleveurs, qu’elle a affichée à un croisement près de la sortie du village. Dans le bourg, Evelyne Vandelle et son mari Serge ont ressorti une vieille banderole de l’association CCFD-Terre solidaire derrière laquelle elle et il ont inscrit : «Soutien à nos amis éleveurs : Nicolas, Mimille, Patrice, Florent». «Ici, nous sommes tous issus du milieu agricole, tout le monde se sent concerné», témoigne le couple auprès de Vert.

Buvette et morbiflette

«Les soirs après ces malheureux abattages, nous étions déjà tout un groupe à nous retrouver devant la maison de nos éleveurs, à la lueur des lampadaires du village, comme une veille en hommage à leurs bêtes», se souvient Ivana Prudon. Certain·es se sont aussi retroussé·es les manches pour enlever le fumier des bâtiments d’élevage et aider à leur désinfection complète : «C’est aussi ça, la solidarité», sourit Evelyne Vandelle, dont le mari est venu prêter main-forte.

À Écleux, nombre d’habitant·es ont affiché leur soutien aux éleveurs du village touchés par la dermatose nodulaire contagieuse. © Esteban Grépinet/Vert

Lors d’une réunion d’information de la mairie les jours suivant l’annonce de l’arrivée de la maladie, plusieurs habitant·es ont proposé de lancer une cagnotte de soutien aux éleveurs. «On participe de façon détachée et désintéressée à la pérennité de notre agriculture locale», explique Ivana Prudon, qui a lancé l’initiative au nom du comité des fêtes d’Écleux, dont elle est la présidente. Très vite, les dons se sont envolés et ont dépassé les frontières du village : ils approchent aujourd’hui les 10 000 euros. Certaines associations sportives locales et des fédérations de chasse mettent la main à la poche.

«On est impuissant face à cette maladie, c’est le moins que l’on puisse faire pour montrer que l’on pense à eux», estime Isabelle Eplenier. L’argent collecté sera reversé aux agriculteurs d’Écleux «pour les aider à passer ce cap difficile», détaille Ivana Prudon, pour qui «chaque geste compte». Si un accompagnement psychologique et un dispositif d’indemnisation des fermes touchées par la DNC sont prévus par le gouvernement, plusieurs collectivités locales, comme la région Bourgogne-Franche-Comté, ont aussi voté des aides supplémentaires pour les éleveur·ses concerné·es.

Cerise sur le gâteau, le très dynamique comité des fêtes d’Écleux a également prévu un grand événement festif le 30 novembre prochain. Buvette, musique, vin chaud, morbiflette (une tartiflette jurassienne avec du morbier), gaufres, boudin… «Ça va être à la bonne franquette, sourit Étienne Rougeaux. Mais ce sera aussi une manière d’exprimer la solidarité du village et des villages voisins.» Pour Ivana Prudon, un tel élan de soutien reste une réaction «logique et normale» : «Il ne faut pas être étonné, il faut aider !»

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