L’État français a bien été le complice de Nestlé Waters dans l’affaire du traitement illicite de ses eaux : c’est ce que souligne un rapport qui sera rendu public ce lundi – après six mois de travaux et plus de 70 auditions – par la commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille.
Dans ce rapport apparaît le manque de transparence du groupe Nestlé Waters, qui a caché au public que les eaux Perrier, Hépar et Contrex, qu’il commercialisait et qu’il étiquetait comme «eau minérale naturelle», étaient pourtant contaminées et traitées. Le rapport pointe également la complicité de l’État, qui était au courant depuis 2021 et n’a pas, à l’époque, saisi le procureur de la République, ni informé les États membres de l’Union européenne ou la Commission européenne.
«Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l’État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français (…), dénonce le rapport. Cette dissimulation relève d’une stratégie délibérée.»

Comment l’État a-t-il couvert Nestlé ? En permettant au numéro un mondial des eaux en bouteille «d’édulcorer un rapport» très important pour l’avenir de l’industriel. En décembre 2023, le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) du Gard devait rendre un avis – sur la base de ce rapport – sur la demande de l’industriel d’exploiter deux nouveaux captages.
«C’est au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision»
Grâce au ministère de la Santé, Nestlé est parvenu à «faire disparaître certaines mentions de contaminations des sources Perrier par des pesticides interdits et des bactéries», détaillent Le Monde et Radio France, qui ont eu accès aux travaux du Sénat. Plusieurs e-mails, échangés entre le cabinet de la ministre déléguée à la santé – à l’époque Agnès Firmin Le Bodo –, le directeur général de l’Agence régionale de santé, et le préfet du Gard, en témoignent.
Et ce n’est pas tout. Le rapport confirme par ailleurs que l’exécutif a donné son feu vert en 2023 à Nestlé pour qu’il puisse continuer à utiliser un système de microfiltration de ses eaux contaminées. Or le droit européen stipule qu’une eau minérale naturelle ne peut faire l’objet d’aucune désinfection ou traitement de nature à modifier ses caractéristiques.
«C’est au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron». Et «la présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier», précise la commission. Elle «savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années».
Interrogé par la presse en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier. Alexis Kohler, à l’époque secrétaire général de l’Élysée, a quant à lui refusé de se présenter devant la commission, qui cherchait à l’interroger sur ce point.
30% des marques non conformes
Aujourd’hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme «eau minérale naturelle». Alors que des hydrogéologues mandatés par l’État ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d’ici au 7 août et, en attendant, a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu’il «modifie le microbisme de l’eau produite, en contradiction avec la réglementation».
À ce jour, il n’y a pas de «de vérifications exhaustives de l’absence de traitements interdits sur tous les sites de production d’eau conditionnée» notent les sénateurs. Et pourtant : un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales avait conclu en 2022 que 30% des marques d’eaux en bouteille subissaient «des traitements non conformes».
Pour y remédier, le Sénat a proposé 28 recommandations. Il préconise un suivi qualitatif des nappes, «un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les minéraliers», ainsi qu’un meilleur étiquetage pour les consommateur·ices.
À lire aussi
-
Dans les Vosges, les affaires troubles du géant Nestlé Waters
De l’eau dans le gaz. Décharges sauvages, traitements illégaux, perquisitions, commission sénatoriale… Le géant de l’eau en bouteille Nestlé Waters connaît des turbulences depuis plusieurs semaines. On récapitule les affaires en cours. -
Karine Jacquemart : «Notre système alimentaire est verrouillé par une minorité qui saccage le vivant et l’outil de production agricole»
Alimentaire, mon cher Watson. Karine Jacquemart est militante pour la justice sociale et environnementale, et directrice générale de l’ONG Foodwatch, qui défend les consommateurs. Dans cet entretien, elle revient sur son livre «Les dangers de notre alimentation» (Payot), qui met en lumière les dérives d’un système qui prive les citoyen·nes d’accès à une nourriture saine, et propose des solutions pour reprendre le pouvoir.