Décryptage

Scandale de la Dépakine : une étude française confirme un risque pour le fœtus après la prise du médicament par le père

Médic alarmant. Le valproate de sodium, substance active du médicament contre l’épilepsie Dépakine, est officiellement associé à des troubles du développement intellectuel chez des enfants de pères traités. Jusqu’à présent, seul un lien avec une exposition par la mère avait été établi.
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Le scandale de la Dépakine n’a pas fini de révéler tous ses secrets. Ce médicament antiépileptique produit par Sanofi a provoqué depuis sa commercialisation dans les années 1960 des malformations chez 2 150 à 4 100 enfants et des troubles du développement (comme l’autisme ou des retards cognitifs) pour 16 600 à 30 400 progénitures de mères traitées pendant leur grossesse. Utile pour les malades (il figure sur la liste des médicaments essentiels établie par l’Organisation mondiale de la santé) mais dangereux pour les bébés, il a été proscrit en 2018 pour les femmes enceintes.

Une vaste étude conduite en France révèle ce jeudi que le valproate de sodium, la substance active du médicament, peut perturber le développement d’un·e enfant s’il est pris par le père dans les mois précédant la conception. Il y a «un risque accru de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant» après une «exposition paternelle au valproate pendant la période de conception», explique le groupement Epi-Phare, réunissant l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Assurance maladie, à l’origine de cette nouvelle étude.

L’usine Sanofi de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques) est responsable de 70% de la production mondiale de Dépakine. © Quentin Top/Hans Lucas

Pour arriver à de tels résultats, les chercheur·ses ont étudié les presque trois millions de naissances survenues en France entre 2010 et 2015. Chaque enfant a été suivi·e jusqu’à la survenue d’un trouble neurodéveloppemental tel qu’un déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, un trouble du développement intellectuel, un trouble du spectre de l’autisme ou de l’apprentissage… Et ont été scruté·es tout particulièrement celles et ceux dont le père avait reçu une prescription de valproate dans les quatre mois précédant la fécondation (période qui correspond à la fabrication des spermatozoïdes).

Résultat : les 4 773 enfants né·es d’un père épileptique traité par valproate présentaient un risque environ deux fois plus élevé de développer un trouble du développement intellectuel que celles et ceux dont le père épileptique n’avait pas été exposé. En revanche, pour les autres types de troubles neurodéveloppementaux (trouble de l’attention, du spectre de l’autisme, trouble de la communication ou des apprentissages), aucune différence significative d’incidence n’a été observée.

«On a un risque potentiellement moins fréquent» quand le traitement est «pris par le père plutôt que par la mère. Néanmoins ce sont des conséquences potentiellement lourdes pour l’enfant», a indiqué Philippe Vella, directeur médical de l’ANSM.

«Une victoire dans la reconnaissance du statut de victimes»

La lanceuse d’alerte Marine Martin, fondatrice de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (l’Apesac), lutte depuis plus de dix ans pour que les victimes de la Dépakine obtiennent réparation. Auprès de Vert, elle déclare : «J’ai reçu une trentaine d’appels de pères suspectant un lien entre leur prise de Dépakine et le trouble de leur enfant. Cette étude est une véritable victoire dans la reconnaissance du statut de victime !»

Elle-même concernée par ce scandale sanitaire – ses enfants sont victimes de troubles de malformation – elle avait obtenu le 9 septembre 2024 près de 285 000 euros d’indemnités dans l’un des volets civils de l’affaire. Le tribunal judiciaire de Paris avait déclaré Sanofi – qui a annoncé vouloir faire appel – «responsable d’un défaut d’information des risques malformatifs et neurodéveloppementaux de la Dépakine», un produit qu’il «savait défectueux» et qu’il vendait malgré tout. Auprès de Vert, elle confie : «J’espère que cette étude pourra ouvrir un nouveau volet dans l’identification des victimes. Et que celles-ci pourront être indemnisées, à terme.»

L’Agence européenne du médicament (EMA) avait averti en 2023 d’un possible risque de troubles du développement chez l’enfant, sur la base d’une étude réalisée dans des pays scandinaves. Elle prévenait néanmoins que la méthodologie était insuffisante pour conclure fermement à un tel effet. Plusieurs pays avaient tout de même restreint la prescription de Dépakine aux futurs pères. À l’instar de la France qui, depuis 2025, impose que seul·es les neurologues, psychiatres et pédiatres puissent prescrire ce médicament à des hommes susceptibles d’avoir un·e enfant.

Cette nouvelle étude, qui «confirme des tendances rapportées dans les études précédemment publiées […] renforce de façon notable les arguments en faveur des mesures de précaution mises en œuvre en France depuis début 2025 pour limiter l’utilisation du valproate chez les patients de sexe masculin», note le document.

Toutefois, Philippe Vella indique que, «dans l’épilepsie, un arrêt brutal du traitement peut être extrêmement délétère. Si un patient souhaite avoir un enfant et se passer du valproate, c’est un dialogue qui doit se faire avec le médecin.»

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