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Le Brésil veut interdire le commerce de pernambouc, un bois rare qui sert à fabriquer des archets : un «sujet sensible» pour les musiciens

Pernambouc émissaire. À l'occasion du 20ème sommet mondial (COP20) sur le commerce des espèces sauvages, du 24 novembre au 5 décembre à Samarcande (Ouzbékistan), le Brésil demande l'interdiction totale des échanges de pernambouc. Au bord de l'extinction, cette essence d'arbre est utilisée depuis deux siècles pour les archets d'instruments à cordes.
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Dans son petit atelier caché au fond d’une ruelle du 5ème arrondissement de Paris, Benoît Le Roux exerce un métier pas comme les autres. Un «métier d’excellence», selon ses mots, dont les représentant·es ne sont que quelques dizaines en France. Archetier professionnel, il passe son temps à fabriquer et à réparer des archets d’instruments à cordes à destination de musicien·nes renommé·es.

Comme nombre de ses confrères et consœurs, il ne jure que par le pernambouc, un bois originaire du Brésil utilisé depuis des siècles pour confectionner des archets haut de gamme. «Ses propriétés sont incroyables ! Ce matériau permet une précision du jeu et une mise en résonance de l’instrument formidable», s’exclame-t-il en tapotant une baguette de ce bois brun-rouge, qui sera taillée pour une de ses prochaines commandes.

Un archet fabriqué à base de pernambouc. © Esteban Grépinet/Vert

Mais, en ce 26 novembre, Benoît Le Roux est inquiet. Il consulte régulièrement sa messagerie car, très loin de là, se joue en ce moment l’avenir de sa profession. À Samarcande (Ouzbékistan), ville qui accueille jusqu’au 5 décembre le 20ème sommet mondial (COP20) sur le commerce international des espèces sauvages, le Brésil vient de demander de nouvelles restrictions sur le commerce de pernambouc.

Moins de 10 000 arbres adultes existent encore à l’état sauvage

Dans le détail, la délégation brésilienne souhaite inscrire paubrasilia echinata au sein de la première annexe de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (la «Cites»). Conclu dans les années 1970 entre la plupart des pays du monde, cet accord méconnu vise à contrôler les échanges de spécimens rares (ivoire d’éléphants, perroquets, orchidées…) pour qu’ils ne nuisent pas à la survie des espèces en question.

L’annexe I regroupe les espèces les plus menacées d’extinction : «La Cites interdit le commerce international de leurs spécimens, sauf lorsque l’importation n’est pas faite à des fins commerciales mais, par exemple, à des fins de recherche scientifique», éclaire la Cites sur son site. Le pernambouc est déjà classé depuis 2007 dans l’annexe II. Cela implique qu’il doit faire l’objet d’une autorisation d’exportation de la part du pays d’origine.

Surexploité depuis la colonisation de l’Amérique, le pernambouc (aussi appelé «bois-Brésil») ne pousse plus que dans quelques zones réduites de la forêt atlantique brésilienne, le long des côtes. Avec aujourd’hui moins de 10 000 arbres adultes estimés et un déclin accéléré ces dernières décennies, l’espèce est classée en danger d’extinction sur la Liste rouge mondiale des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation des espèces (UICN). «Les causes sont évidemment la déforestation, liée à l’agriculture et l’urbanisation, mais aussi les coupes illégales dans des zones protégées», explique à Vert Maud Lelièvre, présidente de la branche française de l’UICN.

L’adoption de la proposition brésilienne conduirait à l’interdiction totale du commerce de l’ensemble des produits issus de l’arbre de pernambouc, y compris les archets pour instruments de musique. © Ugo Ponte/Flickr

Malgré l’interdiction des coupes sauvages de pernambouc et le refus de délivrer des autorisations d’exportation, le Brésil fait toujours face à de nombreux cas de braconnage. Ces cinq dernières années, des enquêtes «ont démontré que l’industrie brésilienne a exploité un bois natif dont l’utilisation est interdite pour approvisionner le marché international en expansion des archets pour instruments de musique aux États-Unis, en Europe et en Asie», alerte la délégation brésilienne. En octobre 2018, les autorités locales ont par exemple saisi plus de 200 000 baguettes et archets en bois issus de coupes illégales.

Le monde de la musique donne de la voix

Après une première tentative manquée en 2022, le Brésil du président Lula (notre portrait) a toutes les chances de faire adopter sa proposition, soutenue par de nombreux pays du Sud. À l’inverse, les États-Unis ou l’Union européenne – principaux pays producteurs d’archets – s’opposent à une inscription en annexe I. Mercredi, ces derniers ont obtenu la constitution d’un groupe de travail sur le dossier, ce qui reporte temporairement le vote décisif.

L’adoption de la proposition brésilienne conduirait à l’interdiction totale du commerce de l’ensemble des produits issus de l’arbre de pernambouc, «y compris les archets pour instruments de musique, sauf les instruments de musique et leurs parties composant des orchestres en tournée, et les musiciens solistes munis de passeports musicaux». Exit, donc, l’approvisionnement des archetier·es de France et d’ailleurs, même pour le bois en circulation hors du Brésil.

«La libre circulation en tournée pourrait devenir quasi impossible ou se faire avec un matériel de moindre qualité.»

Le renforcement des contrôles fait également craindre à la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI), qui représente les fabricant·es d’instruments de musique, une «surcharge administrative phénoménale». Un permis spécial doit permettre aux musicien·nes de passer les frontières avec leurs archets personnels. «Pour les formations de musique classique, notamment les orchestres symphoniques et les ensembles de cordes, la libre circulation en tournée pourrait devenir quasi impossible ou se faire avec un matériel de moindre qualité», alertent plusieurs centaines de professionnel·les du monde entier dans une tribune publiée le 15 octobre dans Le Monde.

Arbre emblématique du Brésil, le pernambouc (ici dans un parc de São Paulo) joue un rôle écologique dans les forêts atlantiques dont il est natif : abeilles pollinisatrices, abris pour les oiseaux et les lézards… © Mauro Halpern/Flickr

«Il y a des solutions d’accompagnement, un classement en annexe I ne va pas empêcher l’orchestre de Paris de voyager à travers le monde comme je l’ai entendu cette semaine», tempère Maud Lelièvre. Si on peut avoir une interdiction qui sauve une espèce, cela vaut la peine de se questionner.» Favorable à l’initiative brésilienne, la présidente de l’UICN France rappelle que l’interdiction du commerce international de l’ivoire en 1989 avait suscité une levée de boucliers similaire chez les pianistes : «Ils disaient qu’ils ne pourraient plus faire de concert avec des touches en plastique ou en résine, et plus personne n’en parle aujourd’hui.»

Pépinières, amourette et autres alternatives

«C’est aussi une question d’habitude, le pernambouc est un bois extraordinaire mais ce n’est certainement pas le seul matériau au monde avec lequel on peut faire des archets de qualité», abonde Charlotte Nithart, de l’association écologiste Robin des bois. Des archets sont aujourd’hui fabriqués en bois d’acacia, d’amourette ou encore en fibre de carbone. Résistance, flexibilité, stabilité… «Le pernambouc supplante tous les autres matériaux et aucune alternative satisfaisante ne lui a été trouvée», répondent de concert les organisations d’artisanat musical. Présentes aux négociations de la COP20 Cites, ces dernières craignent notamment «la disparition, à l’horizon de quelques années, des archetiers».

«Est-ce que nous, Européens, pouvons dire que notre culture est plus importante que la forêt atlantique et la survie d’une espèce que son pays veut protéger ?»

Dans son atelier parisien, Benoît Le Roux appelle aussi à distinguer l’artisanat professionnel des «géants de la vente d’instruments», qui «inondent le marché de petits archets sans intérêt» : «On fait disparaître un modèle d’excellence au nom d’un modèle économique industriel», déplore-t-il en parcourant sur internet le florilège d’archets de pernambouc proposés pour une quarantaine d’euros. Lui n’en vend qu’une dizaine par an, qu’il confectionne méticuleusement pour un prix avoisinant les 5 000 euros.

«Est-ce que nous, Européens, pouvons dire que notre culture est plus importante que la forêt atlantique et la survie d’une espèce que son pays veut protéger ?», interroge quant à elle Charlotte Nithart, qui assiste également aux négociations de Samarcande en tant qu’observatrice. Son association rappelle que les pays importateurs n’ont mis en place aucun système de traçabilité du bois depuis 2007, et n’hésite pas à dénoncer une «rengaine coloniale».

Du côté de la délégation française envoyée en Ouzbékistan, on reconnaît un «sujet sensible». «Le pernambouc devrait être maintenu à l’annexe II, assorti d’un quota d’exportation nul pour les spécimens sauvages afin d’aligner la Cites sur les interdictions en vigueur dans la législation brésilienne», défend auprès de Vert une source diplomatique.

Autre enjeu soulevé par le quai d’Orsay : «La reconnaissance des plantations de pernambouc établies par les fabricants européens d’archets au Brésil, pour une utilisation future, éthique et durable.» Ces programmes de replantation sont soutenus depuis 1999 par le monde musical, dans l’espoir de pouvoir exploiter de nouveau ce bois. Mais ces pépinières ne sont pas encore assurées d’échapper aux restrictions commerciales de la Cites, et il faudra encore attendre plusieurs décennies pour que les arbres plantés arrivent à maturité.

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