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Phoques arctiques proches de l’extinction et populations d’oiseaux en déclin : dans la liste rouge mondiale, des espèces de plus en plus menacées

Peu de phoques. À un mois de l'ouverture de la conférence mondiale (COP30) sur le climat au Brésil, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) met en lumière les conséquences néfastes de la hausse mondiale des températures et de la déforestation sur plusieurs espèces d'animaux.
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C’est une disparition qui s’est faite sans bruit, ou presque. Espèce emblématique du pôle nord, le phoque à capuchon – dont les mâles sont reconnaissables à leur protubérance crânienne, qu’ils peuvent gonfler pour séduire les femelles – n’a plus été observé depuis 2023 sur l’un de ses principaux sites de reproduction dans le golfe du Saint-Laurent, à l’est du Canada.

«La situation est devenue critique, ils sont probablement remontés plus au nord, mais nous ne les avons pas retrouvés», raconte à Vert Tiphaine Jeanniard du Dot, biologiste marine du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l’université de La Rochelle (Charente-Maritime), qui suit cette espèce avec une équipe de scientifiques franco-canado-norvégienne. Lors de leur dernière expédition l’an dernier, la glace de mer avait presque disparu : «Les phoques à capuchon ont besoin de la banquise pour se reproduire, muer ou se reposer, ce qui les rend plus vulnérables aux changements climatiques», explique la chercheuse.

Les mâles de phoques à capuchon sont reconnaissables à leur grosse poche d’air présente sur leur tête. © Kit Kovacs/UICN

Déjà considérée comme «vulnérable» depuis 2008, le phoque à capuchon est désormais classé comme «en danger» d’extinction dans la nouvelle liste rouge mondiale des espèces menacée, actualisée ce vendredi 10 octobre. Contrairement à ce que son nom peut laisser entendre, ce vaste inventaire scientifique de la biodiversité recense l’état de conservation de plus de 170 000 animaux et végétaux, menacés ou non. Près d’un tiers de ces espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction*.

Trois espèces de phoques du pôle nord se rapprochent de l’extinction

Dans le détail, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), organisation appuyée par des États et des associations du monde entier, à l’origine de la liste, étudie la situation mondiale de chaque espèce selon des critères précis (taille de la population, aire de répartition, fragmentation du milieu…). Elle les classe ensuite dans l’une de ses neuf catégories, dont «préoccupation mineure», «quasi menacée», «en danger» ou encore «éteinte». Cette liste est actualisée et complétée chaque année.

Pour l’ouverture du Congrès mondial de la nature (du 9 au 15 octobre, aux Émirats arabes unis) et à un mois de la conférence mondiale (COP30) sur le climat à Belém, en Amazonie brésilienne, l’UICN a choisi de mettre en avant le cas de plusieurs animaux directement menacés par la déforestation et le changement climatique.

Ainsi de trois espèces de mammifères arctiques : le phoque à capuchon, qui devient donc «en danger» d’extinction, mais aussi le phoque barbu et le phoque du Groenland, qui passent de la catégorie «préoccupation mineure» à «quasi menacée». «Ce sont des phoques qui étaient autrefois assez abondants, commente auprès de Vert Florian Kirchner, chargé de programme «Espèces» au sein du comité français de l’UICN. Même ces espèces sont sur la pente descendante, c’est très préoccupant.»

Les mâles de phoques à capuchon sont reconnaissables à leur grosse poche d’air présente sur leur tête. © Kit Kovacs/UICN

Pêche accidentelle, pollutions, chasse locale… Les phoques sont soumis à de nombreuses pressions humaines dans les eaux arctiques, «mais la menace majeure est de loin le changement climatique», précise Florian Kirchner. «Ils ont besoin d’espaces de glace pour se reposer, se reproduire et élever leurs petits, complète le spécialiste. Le changement climatique fait fondre leur territoire, qui se rétrécit inexorablement.»

La hausse des températures causée par les activités humaines – qui est quatre fois plus rapide en Arctique que sur le reste du globe – bouleverse aussi localement les habitudes alimentaires des phoques, avec des déplacements de populations de poissons. En retour, le déclin des phoques affecte lui-même l’écosystème du grand nord : ils sont des espèces «clé de voûte» (leur disparition a un impact sur d’autres). «La protection des phoques arctiques va au-delà de ces espèces : c’est une question de sauvegarde du fragile équilibre de l’Arctique», alerte Kit Kovacs, qui dirige le groupe de spécialistes de ces animaux au sein de la commission de survie des espèces de l’UICN.

«Beaucoup d’espèces qui ne sont pas encore menacées s’approchent dangereusement du seuil»

Dans sa liste rouge actualisée, l’UICN attire également l’attention sur la situation des populations mondiales d’oiseaux. Ces derniers font partie des groupes d’animaux les mieux étudiés depuis des décennies : la totalité des 11 185 oiseaux connus sont classés dans cet inventaire mondial. Si l’on sait de longue date qu’un peu plus d’un millier de ces oiseaux sont menacés d’extinction, l’UICN alerte aujourd’hui sur le déclin bien plus généralisé de leurs populations – soit la diminution du nombre d’individus au sein d’une espèce, sans pour autant que celle-ci ne soit menacée d’extinction.

Près des deux tiers des espèces d’oiseaux connues dans le monde (61%) font ainsi face à une baisse de leurs populations ces dernières années. Si rien n’est fait pour l’enrayer, ce déclin laisse présager une accentuation de la crise d’extinction des espèces : «Beaucoup d’espèces qui ne sont pas encore menacées s’approchent dangereusement du seuil», s’inquiète Florian Kirchner.

Un mâle et une femelle de philépitte de Schlegel, au nord-ouest de Madagascar. © Allan Hopkins/Flickr

«Même les espèces encore répandues connaissent un déclin, complète-t-il. Les pressions que les activités humaines leur font subir sont plus fortes que les efforts de conservation.» Amérique centrale, Afrique de l’Ouest… La dégradation des habitats – et plus spécifiquement la déforestation – est «la cause la plus courante du déclin des populations d’oiseaux», identifie l’UICN.

La prédominance de ce facteur est liée au fait que «l’essentiel de la diversité des oiseaux se trouve dans les forêts tropicales et équatoriales», détaille Florian Kirchner. À Madagascar, trois nouvelles espèces sont désormais menacées d’extinction, à l’image du philépitte de Schlegel, petit oiseau jaune dont les mâles arborent un superbe masque coloré. Selon les espèces et les endroits du monde, d’autres causes entrent en jeu : agriculture intensive et pesticides (notamment en Europe), chasse, espèces invasives, changement climatique…

Six espèces définitivement éteintes, d’autres se rétablissent

Cette année, six nouvelles espèces sont déclarées éteintes : «C’est le dernier constat, celui auquel on veut à tout prix ne pas aboutir, celui d’une espèce perdue à jamais», explique Florian Kirchner. Il s’agit souvent d’espèces endémiques, qui ne vivent que dans un milieu très particulier (souvent une île) : c’est le cas cette année de Crocidura trichua, une musaraigne qui ne vivait que sur l’île Christmas en Australie, ou encore de Delissea sinuata, une plante hawaïenne évaluée pour la première fois dans la Liste rouge mondiale.

Oiseau migrateur d’Europe, le courlis à bec grêle entre lui-aussi officiellement dans ce panthéon des espèces éteintes. En novembre 2024, une étude scientifique avait montré que l’espèce avait très probablement disparu de la surface de la Terre – sa dernière observation remontait à 1995 au Maroc (notre article). Cette extinction est considérée comme la première d’un oiseau continental dans la zone du paléarctique occidental (Europe, Afrique du Nord, Asie occidentale).

Dessin d’un courlis à bec grêle, vers 1830. © Wikimedia Commons

«Ces cas illustrent le fait que la crise d’extinction n’est pas une vue de l’esprit, c’est déjà une réalité», souligne Florian Kirchner, qui veut rester optimiste : «Le vivant a un incroyable pouvoir de régénération. Tant qu’il reste un tout petit peu d’une espèce, on aura toujours un espoir de la sauver.» C’est par exemple le cas de la rousserolle de Rodrigues, un oiseau endémique de l’île du même nom, qui était «en danger critique» à la fin du 20ème siècle avant de passer aujourd’hui en «préoccupation mineure» suite à des efforts de restauration des forêts locales.

D’autres espèces plus répandues remontent la pente, à l’image de la tortue verte qui réalise un véritable bond, passant de «en danger» à «préoccupation mineure». Les populations de ces animaux marins vivant dans les eaux tropicales du globe ont progressé de 28% en l’espace d’un demi-siècle, principalement grâce aux mesures pour limiter la chasse de ces animaux ou encore à la protection des plages de ponte des femelles.

*Les espèces menacées d’extinction comprennent les catégories «vulnérable», «en danger» et «en danger critique» de l’UICN.

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