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Pourquoi retrouve-t-on des pesticides interdits dans l’agriculture sur les murs de nos maisons ?

Savoir maison garder. Certains pesticides sont interdits depuis plus de 20 ans dans l’agriculture… mais bel et bien autorisés dans la peinture des bâtiments. Des scientifiques européen·nes montrent que les produits présents sur les façades se retrouvent dans l’environnement et affectent la santé humaine. Mais, face à cette pollution, des solutions existent.
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La loi Duplomb, définitivement adoptée le 8 juillet, ouvre la voie au retour d’un pesticide dangereux dans les champs. Quand on essaye d’éviter ces produits toxiques, notre premier réflexe peut être de se tourner vers l’agriculture biologique. Mais il y a une chose à laquelle on pense moins : vérifier la composition de la peinture des murs de nos maisons. Pourtant, une équipe de scientifiques français, suisses et allemands a montré que certains pesticides se trouvent dans les enduits de façades. Leur programme de recherche, Reactive city, a cours depuis 2018, et jusqu’en 2027.

Les professionnels du bâtiment recourent à ces produits pour tuer les algues, mousses et autres petits organismes qui laissent des taches rouges, ocres ou vertes sur les murs. Ces molécules sont présentes «sous la même forme que dans l’agriculture, dans des concentrations tout aussi importantes, voire jusqu’à dix fois plus élevées», détaille à Vert Gwenaël Imfeld, biogéochimiste au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste des micropolluants et coporteur du projet Reactive city.

Sur les façades qui ne sont pas protégées par la toiture, les micro-algues s’installent plus facilement et forment des taches rouges. © Mathilde Picard/Vert

Lorsqu’il pleut, l’eau lessive les murs et transporte les biocides (l’autre nom des pesticides) dans les sols. Les scientifiques ont analysé cette pollution à l’échelle de la métropole de Strasbourg (Bas-Rhin). Au pied des bâtiments, elles et ils ont retrouvé de la terbutryne, un produit chimique destiné à détruire les algues en empêchant les végétaux de grandir et en perturbant leur reproduction. À certains endroits, sa concentration dépassait jusqu’à 20 fois les seuils au-dessus desquels cette substance est considérée comme toxique pour le milieu.

Cette molécule est interdite dans l’agriculture depuis une vingtaine d’années, en raison de sa nocivité pour la santé. Même chose pour le diuron, un herbicide. Ce dernier a été reconnu comme cancérogène probable pour les humains et toxique pour les poissons. Pourtant, il est toujours utilisé – en toute légalité – dans les enduits et peintures des façades.

Dans les sols et les eaux de la métropole strasbourgeoise, il est donc impossible que ces molécules proviennent de l’agriculture – elles viennent plutôt du bâti. Les scientifiques ont effectué des prélèvements à de multiples endroits pour retracer leur parcours : «Les concentrations sont très élevées en bas de façades, elles deviennent plus faibles dans la nappe et les sols», précise Gwenaël Imfeld. Et les biocides fragilisent les plantes «même à très faibles doses», précise Pauline Cervan, toxicologue au sein de l’association Générations futures.

Des produits qui s’accumulent avec le temps

Outre les conséquences néfastes sur les milieux naturels, «il y a un risque élevé de contamination au moment de l’application du produit pour les travailleurs», souligne Pauline Cervan. «D’autant plus que ces biocides ne sont pas mélangés avec de l’eau, mais avec des solvants, qui facilitent la pénétration dans la peau», rappelle Gnewaël Imfeld.

«C’est un problème de santé environnementale, c’est-à-dire que la pollution de l’environnement aura des impacts sur la santé humaine», insiste-t-il, car ces produits sont très résistants et s’accumulent avec le temps : 42% des biocides persistants dans les sols urbains subsistent après 20 ans, selon les chercheur·ses. Ils participent donc à dégrader les milieux naturels sur le long terme. On les retrouve dans l’eau… et dans les champs, car la pluie les conduit jusqu’aux stations d’épurations, dont les boues sont épandues sur les cultures pour servir de fertilisants.

Une pollution sous-estimée

Pourquoi la réglementation autorise-t-elle encore ces substances ? «Probablement parce que l’on part de l’hypothèse qu’il n’y a pas de transfert vers l’environnement de ces micropolluants ; qu’ils restent dans les peintures ; donc, jusque ici, personne n’avait pris la peine de documenter leur circulation», remarque Gwenaël Imfeld.

Pourtant, après sept années de recherches, son équipe conclut qu’«il y a une forme de sous-estimation des concentrations de ces produits relargués dans l’environnement». Contrairement à leur usage agricole qui survenait à des périodes très précises de l’année, les molécules qui recouvrent les murs, elles, ruissellent 365 jours par an.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) préconise tout de même des mesures de gestion du risque. «Elle conseille d’appliquer ces produits uniquement sur des façades couvertes par les toitures», ce qui permet d’éviter que la pluie les lessive vers le sol, relève Pauline Cervan. Des précautions insuffisantes pour la toxicologue : «C’est théorique, incontrôlable ou inapplicable. En fonction du vent et de l’orientation, il est difficile d’éviter la pluie ; sans compter qu’il y a de plus en plus d’architecture cubique, sans couvert.»

Peintures minérales, changement d’architecture… les solutions existent

C’est l’une des principales solutions pour éviter de recourir aux biocides : changer l’architecture de nos bâtiments et revoir nos réflexes esthétiques. Les toitures qui débordent des murs, par exemple, si elles n’empêchent pas complètement la pluie d’atteindre les façades, permettent de mieux les protéger de l’humidité propice au développement des végétaux et micro-organismes. Plus il est difficile pour les algues de s’installer, moins les murs devront être traités.

Certains matériaux sont plus vulnérables, comme le bois, qui doit parfois être aspergé de fongicides – des molécules qui détruisent les champignons. D’autres, comme les briques Klinker rouges et ocres, sont bien moins propices au développement de végétaux. Répandu aux Pays-Bas et en Allemagne, ce matériau absorbe peu l’humidité. Choisir la végétalisation de la façade est encore une autre possibilité pour éviter sa dégradation. Au sein du projet scientifique Reactive city, «on essaye de créer des formations pour les architectes pour les inviter à changer leurs habitudes», développe Gwenaël Imfeld.

Pour les murs blancs déjà construits, qui ont malgré tout besoin de ravalement, les peintures minérales (sans produits chimiques de synthèse) constituent une bonne alternative aux biocides, selon les chercheur·ses. Moins nocives, elles sont toutefois moins nombreuses sur le marché. Pour mieux s’y repérer, l’Agence de la transition écologique (Ademe) recommande de se fier à trois labels : l’Ecolabel européen, NF environnement et Nature plus. «Les produits avec ce type d’affichage contiennent moins de biocides que ceux conventionnels, pour une performance équivalente», indique à Vert Emilie Spiesser, experte en labels environnementaux au sein de l’Ademe.

Les entreprises proposent aussi des peintures dites intelligentes, fondées sur l’encapsulage des biocides dans des nanoparticules de plastique. Des options qui «génèrent de nouveaux problèmes, encore peu étudiés, comme la diffusion de microplastiques ou de nanoparticules dans l’environnement», selon l’équipe de scientifiques, pour qui la meilleure solution reste «de s’inscrire résolument dans une stratégie pour des façades sans biocides».

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