Ce que contient la loi Duplomb :
☠️ Réautorisation pour trois ans renouvelables, et pour certaines filières menacées, de plusieurs néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles», nocifs pour la biodiversité et la santé humaine.
🐝 Fin de l’interdiction d’être à la fois conseiller et vendeur de pesticides, dispositif qui a échoué à limiter l’influence des fabricants de ces substances auprès du monde agricole, selon un rapport parlementaire.
🐖 Hausse des tailles d’élevages (volaille et porcs) à partir desquelles des études d’impact environnemental sont demandées et affaiblissement des consultations publiques sur le sujet.
💦 Facilitation des projets de stockage d’eau (dont les mégabassines), qui sont présumés «d’intérêt général majeur» dans les zones en manque d’eau.
👮 Renforcement de la tutelle de l’État sur l’Office français de la biodiversité (OFB) et mise en place d’une caméra piétonne pour les inspecteur·ices de l’environnement.
🌾 D’autres articles moins polémiques : amélioration de l’assurance récoltes, technique de l’insecte stérile pour protéger les cultures, moyens de lutte contre certains insectes ravageurs.
La mobilisation d’une centaine d’associations et de plus de 10 000 citoyen·nes dans toute la France n’aura pas suffi à contrecarrer la très critiquée loi Duplomb. Pas plus que les nombreuses alertes sur les risques sanitaires et environnementaux de ce texte, lancées par des victimes de pesticides, par plus de 1 200 médecins et scientifiques ou par les régies publiques de l’eau.
Après des semaines de bras de fer dans la rue et les couloirs parlementaires, l’Assemblée nationale a définitivement adopté ce mardi après-midi la proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» par 316 voix contre 223. Le Rassemblement national, la droite et une grande partie du bloc présidentiel ont soutenu la version finale, rédigée le 30 juin par une commission mixte paritaire composée de quatorze parlementaires (sept député·es et sept sénateur·ices) chargée de trouver un consensus (notre article). Cette version a été validée sans grande surprise par le Sénat, où la droite est très majoritaire, mercredi dernier.
Deux ans après la fin des dérogations, des néonicotinoïdes font leur retour dans les champs
Déposée il y a huit mois par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Union des démocrates et indépendants), cette proposition de loi se veut une réponse à la crise agricole qui avait frappé le pays en début d’année 2024. Ces élus sont issus des deux syndicats agricoles majoritaires : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA), qui ont ardemment soutenu le texte tout au long de son parcours législatif mouvementé (notre article).
Mesure phare du texte, l’article 2 ouvre la voie à la réautorisation par décret de l’acétamipride, du flupyradifurone et du sulfoxaflor, de puissants insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Dangereux pour la biodiversité et la santé humaine, ces pesticides avaient été interdits par les parlementaires en 2018 – mais réautorisés par dérogations jusqu’en 2023.

Réclamé par plusieurs filières (betterave, noisette, pomme…) qui reprochent des distorsions de concurrence avec leurs voisins européens – chez qui ces produits restent autorisés –, ce retour pour trois années (renouvelables) est dénoncé par l’association Générations futures comme un «écran de fumée ouvrant la voie à une dérogation renouvelable indéfiniment tant les conditions sont souples».
«Ce texte et sa rédaction ultra-permissive permet la réintroduction de l’acétamipride sur 500 000 hectares de cultures en France : sur les noisettes, certes, mais aussi sur les cerises, sur les asperges, sur les pommes, sur les 400 000 hectares de betteraves sucrières», a listé à la tribune la députée (La France insoumise) Manon Meunier. «Aujourd’hui, personne ne sait dire combien d’hectares de filières seront concernées puisque ce sont ces filières qui devront faire la démarche et qui, une fois après avoir répondu à l’ensemble des critères, obtiendront ou pas la dite dérogation», lui a répondu Julien Dive (Les Républicains).
Pesticides, mégabassines et élevage intensif
Axée sur la volonté de «simplifier» les normes environnementales qui encadrent le travail du monde agricole, la loi Duplomb marque aussi la fin de la séparation entre le conseil et la vente de pesticides. Ce dispositif, mis en place en 2018 pour lutter contre l’influence de l’agrochimie sur le monde agricole, avait toutefois été largement contourné, selon un rapport parlementaire paru il y a deux ans.
D’autres articles vont permettre de faciliter les projets de stockage d’eau (dont les très critiquées mégabassines), qui seront désormais «présumés d’intérêt général majeur» dans les zones en manque d’eau ; ou encore les agrandissements des plus gros bâtiments d’élevage, en rehaussant les seuils à partir desquels il devient obligatoire de mener une étude d’impact environnemental.
Maigre consolation pour la gauche et certain·es député·es centristes, la version finale ne mentionne plus la création d’une catégorie de «zones humides fortement modifiées», qui aurait ouvert la voie à l’exploitation de ces écosystèmes fragiles.
La mise sous tutelle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses, chargée d’autoriser ou non la mise sur le marché des pesticides) a, elle aussi, été supprimée… mais la «priorisation» de ses dossiers à examiner pourrait être reprise par un décret du gouvernement.
Dernier espoir pour les opposants : le Conseil constitutionnel
Désormais, le texte n’a plus qu’à être promulgué sous 15 jours par le président de la République. Une formalité, puisque son gouvernement n’a jamais caché son soutien à «cette levée des contraintes tant attendue des agriculteurs», selon les mots de la ministre de l’agriculture, Annie Genevard.
Pour les opposant·es, il reste un dernier espoir : une censure de certains articles par le Conseil constitutionnel, institution chargée de veiller à la conformité des lois avec la Constitution française. La gauche a d’ores et déjà annoncé vouloir engager un recours au Conseil constitutionnel, et ce dernier pourrait considérer que plusieurs articles ne sont pas conformes à la charte de l’environnement, estime Dorian Guinard, maître en droit public à l’Université Grenoble-Alpes, que Vert a contacté.
Selon le spécialiste en droit de l’environnement, c’est principalement le retour de plusieurs néonicotinoïdes qui sera au centre des débats juridiques : «Est-ce que l’intérêt général économique des betteraviers [la principale culture concernée par cette réautorisation, NDLR], qui découle de la liberté d’entreprendre, est suffisant pour ne pas pouvoir être remis en cause par l’intérêt général de la protection de la santé et de la biodiversité ?»
Dans une précédente décision rendue en 2020, les «Sages» avaient donné leur accord à la levée par dérogations de l’interdiction des néonicotinoïdes. Concernant la loi Duplomb, leur décision devrait tomber d’ici au mois d’août, pour une entrée en vigueur de la loi avant la rentrée de septembre.
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