«On lâche rien, on lâche rien, on lâche rien…» À quelques encablures du Sénat, une enceinte grésille timidement au son de HK et Les Saltimbanks, grand classique des manifestations. La musique laisse rapidement place aux acclamations et prises de parole de militant⸱es venu⸱es dénoncer les ravages de l’agriculture intensive, promue par la proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur», dite PPL Duplomb.
Lundi 30 juin, dès 11h30, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées à Paris pour faire entendre leur opposition à ce texte explosif. Pas de quoi changer l’issue de la commission mixte paritaire (CMP), qui concluera finalement, en début de soirée, une mouture largement inspirée de la version dure votée par le Sénat en janvier : réautorisation de plusieurs pesticides «tueurs d’abeilles», facilitation des projets de mégabassines, affaiblissement des consultations publiques sur les élevages intensifs…

La composition de cet organe de compromis parlementaire – des élu⸱es majoritairement favorables au texte – laissait peu d’espoirs aux opposant·es (notre article). Réuni⸱es avant l’ouverture des discussions (organisées à huis clos dans une salle du palais du Luxembourg), les manifestant⸱es envisagent déjà la suite du combat.
«Un projet au service de l’agriculture industrielle»
Dans la foule massée sous un soleil écrasant, on s’inquiète notamment de la réautorisation de l’acétamipride, cet insecticide dangereux pour la biodiversité et la santé. «Les néonicotinoïdes sont arrivés dans les années 1990, on a vu des mortalités de 30, 40, voire 50% dans nos ruches, raconte Vincent Brossel, apiculteur à Paris et dans la Drôme, et représentant de l’Union nationale des apiculteurs français (Unaf). Nous avons un traumatisme, le retour de l’acétamipride est une ligne rouge.»
Sa réautorisation pour trois ans, condition fixée par la commission mixte paritaire, «est peut-être bien le point le plus scandaleux de ce texte», fustige Vincent Mouginot, maraîcher bio dans l’Allier. Déjà présent dimanche à la manifestation organisée au Puy-en-Velay (notre article), le paysan dénonce plus généralement «un projet au service de l’agriculture industrielle».
À ses côtés, Dominique Didelot, retraité du ministère de l’agriculture et militant à France nature environnement (FNE), a lui aussi rallié la capitale depuis l’Auvergne. Il tient à alerter sur le «détricotage complet de l’Anses», cette instance chargée de la mise sur le marché des pesticides (notre article). Si la CMP a finalement effacé le passage sur la «priorisation» des missions de l’Anses, cette notion pourrait être reprise par un décret du gouvernement en préparation.

Alors que la commission mixte paritaire a finalement supprimé, lundi soir, le passage remettant en cause la protection de certaines zones humides, elle a bel et bien confirmé la facilitation des projets de stockage d’eau. Une mesure favorable aux très critiquées mégabassines, s’inquiète Vincent Chombard, céréalier dans la Somme : «Si elles arrivent chez nous, ça va être la privatisation de l’eau entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas.»
Paysan⸱nes, militant⸱es écologistes, victimes de pesticides… ce rassemblement unitaire devant le Sénat est la suite d’un long mouvement de contestation porté depuis plusieurs semaines par une centaine d’associations. Comme pour les marches pour le climat il y a quelques années, un nouveau collectif contre les pesticides et l’agriculture intensive s’est forgé, salue Kim Vo Dinh, vétéran de la lutte contre l’agrochimie au sein du collectif Combat Monsanto : «Il nous fallait ce concours de circonstances pour réunir les associations engagées dans l’agriculture, l’écologie ou la santé, et travailler ensemble.»
À Paris, plusieurs actions avaient déjà été organisées la veille, à coups de concerts et de rassemblements politiques. Plus largement, 10 000 personnes ont manifesté contre la loi Duplomb ce week-end dans plus de 60 communes en France, selon le décompte des associations.
Tout va se jouer à l’Assemblée nationale
Tous les regards se tournent désormais vers la suite du parcours législatif de la loi Duplomb, dont la version validée en CMP doit encore être votée dans les mêmes termes par les deux chambres du parlement.
Si l’adoption par un Sénat majoritairement à droite et en première ligne dans les récents reculs écologiques fait peu de doute, le vote de l’Assemblée nationale, pour l’instant programmé le 8 juillet, n’est pas encore acté. En cause : la division du bloc présidentiel, dont certain⸱es membres se sont publiquement opposé⸱es à la réautorisation de l’acétamipride.
«Un certain nombre de députés hésitent, ont la main qui tremble. Autoriser en connaissance de cause un poison pour la santé humaine, ce n’est pas forcément facile sur le plan de la conscience morale», ironise la députée écologiste Delphine Batho. Venue à la rencontre de manifestant·es en compagnie de plusieurs autres parlementaires de gauche, elle appelle à une mobilisation citoyenne «pour convaincre [ces députés] d’avoir le courage de voter contre».
Du côté des associations, on réfléchit déjà à mettre la pression sur les député⸱es centristes hésitant⸱es, afin d’obtenir leur abstention, voire leur vote contre, le 8 juillet. «Nous serons devant vos permanences jusqu’au bout, nous serons devant l’Assemblée nationale jusqu’au bout, clame au micro Sandy Olivar Calvo, pour Greenpeace France. L’Histoire vous regarde droit dans les yeux.» À sa suite, la Confédération paysanne martèle cette promesse, inlassable, sous les harangues de la foule : «On lâchera rien !»
Ce que prévoit la version finale du texte
🐝 Réautorisation de l’acétamipride (un pesticide «tueur d’abeilles») par décret pour trois années renouvelables.
🏦 En contrepartie, suppression des passages sur la mise sous tutelle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses, chargée d’autoriser ou non la mise sur le marché des pesticides).
🐖 Confirmation de la hausse des tailles d’élevages (volaille et porcs) à partir desquelles les études d’impact environnemental sont demandées et de l’affaiblissement des consultations publiques sur le sujet.
💦 Suppression du passage sur l’affaiblissement de la protection de certaines zones humides, mais maintien de la facilitation des projets de stockage d’eau (dont les mégabassines).