On fait le point

«Nourrir, pas détruire» : la proposition de loi Duplomb de retour, une centaine d’associations appellent à la mobilisation

Duplomb B. Réunis en commission mixte paritaire à partir de lundi, quatorze parlementaires tenteront de s’accorder sur une version finale de ce texte qui fait la part belle à l’agriculture intensive. En réaction, plus de 60 manifestations sont organisées partout en France ce week-end, à l’initiative d’un grand collectif écologiste et paysan.
  • Par

Quatorze hommes et femmes tiennent entre leurs mains l’avenir d’une partie de l’écologie et de l’agriculture françaises. Ce lundi 30 juin à partir de 14h30, sept député⸱es et sept sénateur⸱ices se réuniront à huis clos, dans une salle du Sénat, pour aboutir à une version finale de la proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» – surnommée «PPL Duplomb», du nom de son co-rédacteur, le sénateur (Les Républicains) Laurent Duplomb.

Ce texte ouvre la voie au retour de l’acétamipride, un puissant insecticide, au grand dam d’associations écologistes et de collectifs paysans. Samedi, dimanche et lundi, une centaine de ces structures organisent des manifestations dans plus de 60 communes du pays.

Cliquez sur la carte pour agrandir.

La commission mixte paritaire (le nom technique de cet organe de compromis entre quatorze parlementaires) a été convoquée par le gouvernement après le vote surprise de l’Assemblée nationale le 26 mai dernier (notre article). Pourtant favorables au texte, les député⸱es de droite, d’extrême droite et d’une grande partie du camp présidentiel l’avaient rejeté avant même l’ouverture des débats, afin de contourner les milliers d’amendements déposés par la gauche, et ainsi passer directement à l’étape suivante de la procédure législative.

La gauche en minorité, boulevard pour la droite et l’extrême droite

Un «coup de force anti-démocratique», selon les termes de La France insoumise (LFI), qui avait déposé, avec Les Écologistes, une motion de censure contre le gouvernement (largement rejetée quelques jours plus tard). Mais une manœuvre efficace pour les défenseur·ses du texte : après une adoption par un Sénat dominé par la droite en janvier dernier, et ce passage express devant les député⸱es, la version finale de la PPL Duplomb doit désormais être débattue par une minorité de parlementaires… qui lui sont majoritairement favorables.

Comme le veut le jeu des équilibres parlementaires, la commission mixte paritaire qui se réunit lundi après-midi sera composée de seulement quatre élu⸱es de gauche : trois socialistes (dont deux sénateurs) et l’insoumise Aurélie Trouvé, qui co-présidera les débats en sa qualité de présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée.

Un manifestant lors de la marche anti-pesticides Printemps bruyant, le 7 avril 2025, à Paris. © Yann Castanier/Vert

«Si on compte mathématiquement, on ne va pas pouvoir faire grand chose», confie à Vert le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot, qui fait partie des négociateur⸱ices. De fait, la gauche pèsera peu face aux quatre élu⸱es de droite et aux deux d’extrême droite, favorables à une version dure du texte. Elles et ils auront le champ libre pour s’accorder sur les conditions de réautorisation de l’acétamipride, l’insecticide «tueur d’abeilles» (notre article).

D’autant que les négociations se feront sur la base de la version du Sénat, sans reprendre les modifications qui avaient été apportées en mai par les commissions de l’Assemblée nationale. Avant le rejet du texte en séance plénière, plusieurs passages avaient été supprimés concernant la mise sous tutelle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses, qui autorise ou non la mise sur le marché des pesticides), la facilitation des projets de stockage d’eau ou encore l’affaiblissement de la protection des zones humides.

«Au mieux, le texte sera moins pire que pire»

Les quatre derniers parlementaires appartiennent au bloc présidentiel. Selon la recension du média Contexte, le député (Renaissance) Jean-Luc Fugit pourrait défendre une réécriture des articles sur la «priorisation» des missions de l’Anses ou sur la gestion de l’eau en agriculture, critiqués par certains membres de son propre groupe.

Mais d’autres pourraient rejoindre la droite sur la plupart des points, à l’image de l’ancien ministre de l’agriculture Marc Fesneau, qui se dit «plutôt favorable» à la réautorisation sous conditions de l’acétamipride (malgré des désaccords au sein du groupe MoDem, qu’il dirige), ou encore le sénateur centriste Franck Menonville… qui n’est autre que le co-auteur de la proposition de loi (aux côtés de Laurent Duplomb).

«Si la CMP va trop loin et remet en place le texte du Sénat, il ne passera pas à l’Assemblée», anticipait dès le mois dernier auprès de Vert le député paysan (Les Écologistes) Benoît Biteau. En cas d’accord sur une version finale lundi soir, celle-ci devra encore être votée dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale ces prochains jours.

«Vu l’équilibre de cette CMP, on a vraiment peu d’espoir, déplore Maureen Jorand, qui suit le dossier pour le collectif Nourrir (une alliance de 54 associations écologistes et paysannes). Au mieux, le texte sera moins pire que pire». Rare perspective de victoire pour les opposant⸱es aux pesticides, la réforme de l’Anses pourrait être supprimée… pour finalement passer, dans une version allégée, par un décret du gouvernement.

Plus de 60 manifestations partout en France

Pour faire pression sur les parlementaires, notamment en vue d’un vote final en cas d’accord de la CMP, un appel à la mobilisation nationale a été lancé par une centaine d’associations d’agriculteur⸱ices, de défenseur⸱ses de l’environnement, de scientifiques ou encore victimes de pesticides. Le mot d’ordre : «Nourrir, pas détruire».

Strasbourg, Bordeaux, Nantes, Besançon, Pau, Le Puy-en-Velay… Vert a dénombré pas moins de 65 mobilisations organisées dans toute la France ce week-end et lundi contre la PPL Duplomb. Plusieurs manifestations se sont déjà tenues ces derniers jours, comme à Rennes où 500 personnes ont défilé le 19 juin.

À Paris, les associations organiseront une grand temps fort de 24h, qui commencera le dimanche en début d’après-midi par un rassemblement sur l’esplanade des Invalides. Les actions se poursuivront le soir à l’Académie du climat, avec des prises de parole politiques et des sets musicaux. Lundi midi, un banquet paysan (barbecue, cantine végétarienne, produits de la ferme…) se tiendra à proximité du Sénat pour interpeller les parlementaires avant l’ouverture de la CMP.

Avec l’outil en ligne ShakeTonPolitique, plus de 185 000 interpellations ont été envoyées aux député⸱es pour leur demander de s’opposer à la PPL Duplomb. En revanche, pas question de reprendre les menaces et dégradations de permanences parlementaires orchestrées par les soutiens du texte il y a un mois, assure Maureen Jorand : «On veut des actions citoyennes et festives, qui montre une autre image de la mobilisation paysanne que celle donnée par la FNSEA», assure Maureen Jorand.

Vert l’infini et au-delà

Dans le chaos actuel, plus de 10 000 personnes soutiennent Vert avec un don mensuel, pour construire la relève médiatique à nos côtés.
Grâce à ce soutien massif, nous allons pouvoir continuer notre travail dans l’indépendance absolue. Merci !

Alors que l’objectif de contenir le réchauffement à moins de 1,5°C est un échec, les scientifiques le martèlent : chaque dixième de degré supplémentaire compte. Dans le contexte médiatique actuel, chaque nouveau membre du Club compte. Chaque soutien en plus, c’est plus de force, de bonnes informations, de bonnes nouvelles et un pas de plus vers une société plus écologique et solidaire.

C’est pourquoi nous voulons désormais atteindre les 12 000 membres du Club avant le 6 juillet. Ces 2 000 membres supplémentaires nous permettront de nous consolider, alors que la période est plus incertaine que jamais, d’informer encore plus de monde, avec du contenu de meilleure qualité.

Rejoignez les milliers de membres du Club de Vert sans perdre une seconde et faisons la différence ensemble.