Grand entretien

Colère des agriculteurs, Soulèvements de la Terre, souveraineté alimentaire : Marc Fesneau répond à Vert sur la crise agricole

À l’heure où s’ouvre la 60ème édition du Salon de l’agriculture, ce samedi à Paris, Vert a pu s’entretenir longuement avec le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Colère des agriculteurs, Soulèvements de la Terre, souveraineté alimentaire, pesticides, haies… Aucun des épineux sujets du moment n’a été écarté.
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Après moult revire­ments dans un cal­en­dri­er ultra-ser­ré, Vert a ren­con­tré le min­istre de l’A­gri­cul­ture, Marc Fes­neau, ce ven­dre­di, à la veille d’un Salon de l’a­gri­cul­ture explosif.

Par­mi les nom­breux sujets que nous avons abor­dés : la sou­veraineté ali­men­taire, con­cept mal com­pris qui sert de cap au gou­verne­ment ; la rémunéra­tion des agricul­teurs et ses moyens de con­trôle ; la ges­tion poli­tique de la colère agri­cole, et la dif­férence avec celle des mou­ve­ments écol­o­gistes (y a‑t-il un «deux poids deux mesures»?); les «mégabassines» et leurs opposant·es, dont les Soulève­ments de la Terre ; la trans­for­ma­tion des mod­èles agri­coles, à l’heure des crises ukraini­enne et cli­ma­tique.

Nous espérons que cet entre­tien apportera des répons­es aux ques­tions brûlantes que vous vous posez.

Jennifer Gallé. Comment abordez-vous ce Salon de l’agriculture qui s’annonce particulier ? Avez-vous le sentiment d’avoir réussi à apaiser la colère du monde agricole français ?

Je l’aborde avec une forme de vig­i­lance et d’ex­i­gence, comme celle que je sens venir du monde agri­cole. Mais ce serait pré­ten­tieux de penser qu’on a apaisé la colère. Ce dont il est ques­tion, ce sont à la fois de sujets con­jonc­turels — la crise du bio, la crise de l’él­e­vage, la crise viti­cole — et des sujets de plus long terme, comme celui des marchés.

Il y a aus­si la ques­tion des normes, de com­ment elles sont vécues. Et, donc, des néces­sités de sim­pli­fi­ca­tion. Il y a une forme d’érup­tiv­ité du débat et du dia­logue sur tous ces sujets. On essaie de trou­ver des solu­tions qui com­bi­nent à la fois les néces­sités de sou­veraineté de pro­duc­tion et celles des tran­si­tions qui sont absol­u­ment néces­saires. Ce n’est pas un équili­bre facile à tenir.

Loup Espargilière et Jen­nifer Gal­lé avec Marc Fes­neau, le ven­dre­di 23 févri­er, au min­istère de l’Agriculture à Paris. © Alexan­dre Carré/Vert

Loup Espargilière. Hier matin, sur TF1, vous avez dit des Soulèvements de la Terre, pressentis pour participer à un grand débat au SIA [annulé depuis], que leur seul mode d’expression, c’était «plutôt le cocktail Molotov». Vous dites souvent que vous voulez sortir des caricatures. Est-ce que là, vous n’avez pas l’impression d’y être, dans la caricature ?

Citez-moi un endroit où les Soulève­ments de la Terre sont venus se met­tre autour de la table et faire des propo­si­tions au-delà de la démo­li­tion ? Ce sont des faits, que les citoyens ont sous les yeux, comme le min­istre de l’A­gri­cul­ture.

Jamais, je ne car­i­ca­ture les ONG envi­ron­nemen­tales. Par­fois je suis d’accord ou pas d’accord avec eux, c’est la vie. Jamais vous ne m’avez enten­du taper sur la LPO, sur le WWF ou la FNE. Au sujet des Soulève­ments, je main­tiens et je réitère ce que j’ai dit, y com­pris hier matin, leur mode d’ac­tion, c’est la vio­lence.

«Je préfère que ce soit nous qui nour­ris­sions le monde plutôt que mon­sieur Pou­tine»

L.E. Pendant la crise des gilets jaunes, par exemple, des éléments plus radicaux que d’autres ont utilisé des cocktails Molotov. Je ne sais pas si pour autant, on peut réduire le mouvement des Gilets jaunes à ses éléments les plus violents. Considérez-vous que les Soulèvements de la Terre, c’est juste de la violence ?

C’est un peu comme si vous aviez un prob­lème avec votre voisin, que vous com­men­ciez par lui cass­er la fig­ure et qu’après vous disiez : «Est-ce qu’on ne pour­rait pas se par­ler ?». Le dia­logue, il est utile quand il y a des gens qui cherchent du com­pro­mis. Où est cette volon­té dans la forme d’ex­pres­sion des Soulève­ments de la Terre ? Pour eux, c’est : «Tout le monde doit penser comme moi. Et si on n’est pas d’ac­cord avec moi, je casse». Ce n’est pas la démoc­ra­tie, ce n’est pas l’Etat de droit. C’est la loi du plus fort.

J.G. Pour répondre à la crise agricole, le gouvernement a un mot d’ordre : la souveraineté alimentaire. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Quelle en est votre définition ?

C’est la capac­ité à pour­voir aux besoins ali­men­taires qui sont les nôtres et à nos besoins géopoli­tiques. C’est ça, la sou­veraineté. Et ce n’est pas l’autar­cie, c’est accepter la part d’in­ter­dépen­dance. Il s’agit donc d’une stratégie nationale, européenne et inter­na­tionale. Ce n’est pas qu’une voca­tion expor­ta­trice. Il m’importe aus­si de savoir, par exem­ple, qui nour­rit l’Afrique. Je préfère que ce soit nous que mon­sieur Pou­tine. Vrai­ment.

L.E. Mais là, on parle de la souveraineté de l’Afrique, pas celle de la France…

Si. Imag­inez que Pou­tine dise : «C’est fini, j’arrête d’approvisionner l’Afrique». Qu’est-ce qui va se pass­er ? Quand les gens meurent de faim, ils par­tent. C’est une ques­tion de vie ou de mort. De telles sit­u­a­tions, cela désta­bilise les fron­tières voisines. Mais pour Moscou, ce n’est pas grave de désta­bilis­er les fron­tières voisines de l’Afrique. Pour la France, si.

L.E. Nourrir l’Afrique, cela permet donc à la France de rester souveraine de ses frontières ?

Dans l’histoire, les grandes migra­tions sont sou­vent liées aux famines.

L.E. Avec cette approche de la souveraineté alimentaire, on est très loin de la définition originelle de la Via Campesina, qui veut favoriser une agriculture de subsistance qui ne soit pas ouverte à tous les vents du marché…

L’un n’exclut pas l’autre. Il faut pren­dre en compte les réal­ités du ter­rain. Il y a des pays qui ne peu­vent pas pour­voir à leurs besoins, compte tenu des sols ou du cli­mat. C’est le cas de l’Égypte par exem­ple. Et je pense que nous sommes davan­tage bien­veil­lants sur ces ques­tions que Pou­tine, qui déverse des céréales à zéro euro avec l’objectif à terme de met­tre ces pays à genou.

Cela fait par­tie de la sou­veraineté de se deman­der quelles sont les sol­i­dar­ités, les inter­dépen­dances choisies à met­tre en place pour faire en sorte que le monde soit plus sta­ble et coopératif sur les ques­tions agri­coles.

© Alexan­dre Carré/Vert

J.G. Sur l’Ukraine, si le pays ne tombe pas aux mains des Russes, il va falloir intégrer cette agriculture extrêmement productiviste au sein de l’espace européen et ses normes. C’est un immense chantier.

Oui, et c’est à mon avis un chantier de longue haleine. L’Ukraine a un énorme poten­tiel agri­cole et c’est un mod­èle très éloigné du nôtre. Notam­ment au niveau de la taille des exploita­tions. Je n’imag­ine pas qu’on verse des sub­ven­tions de la Poli­tique agri­cole com­mune à des struc­tures de 40 000 hectares… Mais qu’elle soit dans l’Union européenne ou pas, on a besoin de coopér­er avec l’Ukraine. Sinon, au-delà du com­bat pour la lib­erté qui est cen­tral, ce sera Pou­tine qui en utilis­era le poten­tiel pour désta­bilis­er les marchés agri­coles européens et même mon­di­aux.

«Par­tir du pos­tu­lat qu’à l’horizon de 10 ou 20 ans, c’est zéro chimie de syn­thèse en agri­cul­ture, c’est très bien, mais ça n’existe pas à date»

J.G. Ce mercredi, le gouvernement a annoncé l’abandon de l’indicateur Nodu, utilisé en France pour évaluer la dépendance des exploitations agricoles aux pesticides. Pourquoi avoir décidé de l’écarter totalement, sachant qu’il est complémentaire de l’indicateur européen qui devrait le remplacer ?

Parce que l’indi­ca­teur européen pondère mieux la ques­tion, qui n’est pas «je sors des pes­ti­cides», mais «je sors en pri­or­ité des pes­ti­cides les plus dan­gereux». Pour moi, c’est cela qui est pri­or­i­taire. Nous allons avoir une régle­men­ta­tion européenne sur les pes­ti­cides, nous avons donc besoin d’un indi­ca­teur européen. Par­tir du pos­tu­lat qu’à l’horizon de 10 ou 20 ans, c’est zéro chimie de syn­thèse en agri­cul­ture, c’est très bien, mais ça n’existe pas à date. Il n’y a pas aujourd’hui de secteur de l’économie qui ne fasse appel à la chimie. La ques­tion, c’est de sor­tir des molécules qui posent des prob­lèmes d’en­vi­ron­nement et de san­té.

J.G. Au sujet de la protection des haies, ces espaces indispensables à la biodiversité qui disparaissent inexorablement ; au-delà de la simplification des normes que vous avez annoncée, quelles vont être les mesures concrètes prises par le gouvernement ?

C’est un sujet qui me tient par­ti­c­ulière­ment à cœur parce qu’il pour­rait s’agir d’un des élé­ments clés de la réc­on­cil­i­a­tion entre le monde agri­cole et les citoyens. Plusieurs élé­ments sont à pren­dre en compte : le pre­mier, c’est de faire en sorte que ceux qui plantent des haies ne se sen­tent pas plus en risque que ceux qui ne le font pas. Je souhaite qu’il y ait 50 000 kilo­mètres linéaires de haies en plus d’ici 2030.

J.G. Comment allez-vous protéger les haies des arrachages, que ce soit chez les agriculteurs ou chez les particuliers ? Faudra-t-il faire une déclaration au préalable, quelle que soit la haie ?

Cette ques­tion n’est pas encore tranchée, nous con­tin­uons de tra­vailler sur ce point. Ce qui paraît évi­dent, c’est de faire atten­tion par exem­ple à ce que les grands ges­tion­naires d’infrastructures, comme les autoroutes, ne procè­dent pas à des destruc­tions de haies. C’est le sujet de tous.

© Alexan­dre Carré/Vert

J.G. Dans le département de la Nièvre, par exemple, l’agrivoltaïsme, qui associe panneaux photovoltaïques et productions agricoles, se développe très fort. Or, dans ces zones d’élevage, les haies sont nombreuses. Est-ce un point auquel vous avez porté attention ?

Si l’on veut con­serv­er des haies, c’est naturelle­ment plutôt dans les zones éle­vages que l’on peut le faire. Il faut donc d’abord se pos­er la ques­tion du main­tien de l’élevage. Sur le développe­ment de l’agrivoltaïsme, il s’agit de bien encadr­er son émer­gence. On a besoin d’agrivoltaïsme, parce qu’on a besoin de diver­si­fi­er nos sources d’én­er­gies renou­ve­lables. Mais il faut en même temps qu’on préserve nos ter­res, et main­tenir l’él­e­vage. C’est un équili­bre, assez com­plexe, à trou­ver au niveau poli­tique.

J.G. Pour que la haie puisse subsister, il faut aussi qu’il y ait des contrôles sur le terrain. «Polices environnementales sous contraintes», un ouvrage de deux chercheurs paru le 2 février, met au jour la faiblesse des effectifs en charge de ces contrôles. Ces dernières semaines, les agents de l’Office français de la biodiversité, ces inspecteurs de l’environnement, ont aussi fait l’objet de nombreuses critiques…

Une par­tie de la ten­sion est due au fait que cer­taines règles sont con­tra­dic­toires. Ce n’est pas la faute des agents qui con­trô­lent ! Un exem­ple que je cite sou­vent : dans le Mas­sif de l’Estérel, dans le Var, il y a une oblig­a­tion légale de débrous­saille­ment. Mais vous ne pou­vez pas débrous­sailler sur le site où la tortue d’Her­mann peut nid­i­fi­er. Dans un cas comme dans l’autre, vous allez être ver­bal­isé. C’est assez grotesque. Il nous faut une lég­is­la­tion claire. Sur la ques­tion des moyens, je pense qu’ils sont sur la table avec 110 mil­lions d’euros pour 2024. C’est nor­mal qu’il y ait des con­trôles et des règles.

L.E. Le livre en question indique qu’il y a 1 700 inspecteurs de l’OFB pour surveiller 641 000 kilomètres carrés sur tout le territoire français. Est-ce qu’on est dans le bon ordre de grandeur en termes du nombre d’agents pour contrôler tout ça ?

Je pense que oui. Ras­surez-vous, il y a beau­coup de con­trôles. Il en va des sujets envi­ron­nemen­taux comme soci­aux ou fis­caux : il y a beau­coup de vig­i­lance et par­fois des dénon­ci­a­tions.

L.E. Un récent rapport de la Cour des comptes montre que la loi Egalim, qui doit assurer des revenus justes aux agriculteurs, n’est pas respectée, notamment dans l’élevage, par manque de contrôles sur le terrain. En 15 ans, selon un rapport du Sénat, la DGCCRF a perdu un quart de ses effectifs. Plus de contrôle, moins d’agents : comment est-ce que cela peut fonctionner ?

On ne va pas met­tre un agent dans chaque super­marché. Il en faudrait com­bi­en, un mil­lion, deux mil­lions, trois mil­lions ?

Vous avez un éti­que­tage, l’individu qui veut trich­er se fait con­trôler, le lende­main, il aura changé l’étiquette et repren­dra sa triche. On ne va pas con­trôler tout le monde chaque jour. Cela n’existe nulle part ailleurs et cela ne marche jamais, en fait. Il faut cibler les con­trôles. Et l’entreprise qui a pris 400 000 ou 500 000 euros d’amende, la prochaine fois, elle fera atten­tion.

L.E. Le 12 février, le préfet du Lot-et-Garonne a annoncé qu’il voulait aller «vers une mise en conformité» de la retenue d’eau de Caussade, creusée illégalement en 2018–2019 par des membres de la Coordination rurale. A l’époque, ils avaient chassé les gendarmes qui avaient essayé de les en empêcher, et mis tout le monde devant le fait accompli. Est-ce que le préfet du Lot-et-Garonne a le «feu vert» de votre ministère pour mettre en conformité cette bassine ?

Je ne peux pas vous répon­dre, parce qu’on est train de tra­vailler sur cette ques­tion. Quand le préfet s’exprime, il le fait aus­si au nom de l’État. On a une sit­u­a­tion un peu ubuesque qui a sans doute été créée parce qu’il y a eu aus­si du flou à un moment don­né dans les déci­sions de l’É­tat.

L.E. N’est-ce pas un signal, finalement, que n’importe qui, demain, aura le droit de faire sa retenue illégale sans craindre de poursuites ?

Non, per­son­ne n’a le droit de faire ça. Il y a un sujet aus­si, sur com­ment s’est passée la procé­dure et qu’est-ce qui nous met en défaut dans cette procé­dure.

«Je con­damne en tout lieu, en tout temps, et en toute occa­sion, la vio­lence. Ce n’est pas un moyen d’ex­pres­sion»

L.E. Il y a un an et demi, sur RMC, vous avez dit : «il y a la tentation pour un certain nombre de gens de s’abstraire des règles de droit par la force. Si vous laissez faire ça, tout projet va se trouver entravé parce qu’un certain nombre de gens ultra minoritaires décident de s’y opposer». Vous parliez des manifestants opposés aux «mégabassines» à Sainte-Soline et vous disiez que l’appellation d’«écoterrorisme» par Gérald Darmanin était plutôt juste. Là, après plusieurs semaines de colère, on a vu l’explosion d’un bâtiment de la Dréal, des dégradations sur des préfectures, l’incendie d’un bâtiment de la Mutualité agricole et très peu, voire pas de condamnations de votre part. Bon nombre de gens se demandent s’il n’y a pas un «deux poids deux mesures» entre, d’un côté, les agriculteurs et de l’autre, le mouvement écologiste.

C’est inex­act : je con­damne en tout lieu, en tout temps, et en toute occa­sion, la vio­lence. Je réitère que la vio­lence n’est pas un moyen d’ex­pres­sion.

L.E. Et concernant l’explosion du bâtiment de la Dréal ?

On n’a pas les auteurs, on ne sait pas qui c’est, mais on cherche, la jus­tice est saisie. Là où il y a eu des dégra­da­tions et des actes de vio­lence volon­taire, la jus­tice s’est mise en action. Dif­féren­cions les quelques per­son­nes qui ont fait ça du reste.

© Alexan­dre Carré/Vert

L.E. Pour vous, il n’y a donc pas de deux poids deux mesures…

À chaque fois qu’il y a eu de la vio­lence, on y a mis un terme. Là, il y a un tra­vail d’enquête en cours pour iden­ti­fi­er ceux qui ont incendié à 3 heures du matin ; ils seront arrêtés. Mais moi, je n’ai aucune bien­veil­lance à l’en­droit de la vio­lence. Aucune et d’où qu’elle vienne.

L.E. Vous étiez récemment dans les Pyrénées-Orientales pour soutenir un projet de retenue artificielle. Aujourd’hui, on voit bien que ce modèle est de plus en plus à interroger, avec des projets dont on rend compte assez rapidement que finalement, eux-mêmes manqueront d’eau à cause du réchauffement climatique. Ne serait-il pas pertinent de commencer à travailler sur la conversion de certaines cultures qui demandent beaucoup d’irrigation, y compris à des périodes de l’année où on manque d’eau, pour adapter l’agriculture…

Par quoi je rem­place la vigne ? Parce que je vous assure, dans les Pyrénées-Ori­en­tales, il n’y a pas un demi-hectare de maïs. Allez dire aux gens des Pyrénées-Ori­en­tales qu’il faut chang­er de cul­ture. Les agricul­teurs nous diront : «mais je mets quoi à la place ?»

L.E. Et quand on fait une bassine pour arroser du maïs à destination de l’exportation, pour nourrir du bétail, est-ce qu’aujourd’hui, il ne faudrait pas songer à changer de cultures ?

Chez moi, en Beauce, l’eau est souter­raine, donc il faut bien gér­er la nappe. Je ne vante jamais un mod­èle qui vienne épuis­er la ressource pour que dans 5, 10, 20 ou 50 ans, on se retrou­ve dans la même sit­u­a­tion que l’Espagne dans cer­tains endroits. La Beauce a une nappe à forte iner­tie, il faut donc être pru­dents et bons ges­tion­naires.

«Le change­ment cli­ma­tique va néces­siter des évo­lu­tions de la géo­gra­phie des cul­tures»

Tout cela dépend des ter­ri­toires : sur Sainte-Soline [dans le Marais poitevin, NDLR], les exploitants s’en­ga­gent à réduire les phy­tos, planter des haies et réduire l’as­sole­ment de maïs. La nappe est de sur­face et recharge rapi­de­ment en hiv­er. C’est donc bien ce que vous pré­conisez.

L.E. Je ne préconise rien, je vous pose la question.

Moi, je pense comme vous. Mais si on dit aux gens, «vous faites des efforts sur ça, mais je ne peux rien vous garan­tir avec une nappe qui descend et monte tout le temps»…

La nappe des Deux-Sèvres, cet été, elle sera à sec. Un mod­èle de tran­si­tion – moins de maïs, plus de haies, et d’autres cul­tures –, c’est exacte­ment le pro­jet de Sainte-Soline. Il y aura une réduc­tion des prélève­ments esti­vaux des deux tiers : un tiers de prélève­ment, un tiers de stock­age et un tiers de réduc­tion. C’est vertueux et cela per­met l’évolution cul­tur­ale néces­saire.

L.E. De manière générale, cela vous paraît pertinent d’adapter les cultures au changement climatique en choisissant des variétés moins gourmandes en eau…

Cela va s’im­pos­er à tous, oui, bien sûr. Je n’ai jamais dit le con­traire. C’est une évi­dence que le change­ment cli­ma­tique va néces­siter des évo­lu­tions de la géo­gra­phie des cul­tures. Je reprends mon cas des Pyrénées-Ori­en­tales : s’ils n’ont pas d’eau, il n’y aura plus rien. Et la réserve dans les Pyrénées-Ori­en­tales, ce n’est pas pour gag­n­er en pro­duc­tiv­ité. C’est juste pour que les années comme celles-ci les plantes sur­vivent. Mais je leur ai aus­si dit : «Atten­tion, il y a des années où la réserve sera sèche». Donc, il faut aus­si penser le sys­tème avec des années de sécher­esse et la résilience.