Il n’est pas là, mais pourtant omniprésent. Laurent Duplomb, sénateur (Les Républicains/LR) de Haute-Loire à l’origine de la proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» – jugée à hauts risques pour l’écologie –, est sur toutes les pancartes et dans tous les slogans de ses opposant·es, ce dimanche 29 juin au Puy-en-Velay.
Plus de 60 manifestations ont eu lieu dans toute la France ce week-end, à l’initiative d’un grand collectif écologiste et paysan, selon qui 10 000 personnes ont répondu à l’appel. En Auvergne-Rhône-Alpes, il a été décidé de converger devant la permanence du sénateur altiligérien. Environ 700 personnes ont fait le déplacement dans cette commune d’un peu moins de 20 000 habitant·es, qui est aussi le fief du chef des député·es LR Laurent Wauquiez. L’occasion de dire tout le mal qu’elles et ils pensent de la proposition de loi (PPL) Duplomb, examinée ce lundi à huis clos en commission mixte paritaire (CMP), par sept député⸱es et sept sénateur·ices dans leur majorité favorables au texte.

Dès 11 heures, sous le regard de la statue Notre-Dame de France qui surplombe le Puy-en-Velay, des manifestant·es habillé·es en jaune et noir s’attroupent à l’ombre des platanes, devant la préfecture. Soit pour être aux couleurs du syndicat agricole Confédération paysanne (CP), à l’origine de la mobilisation, soit pour affirmer leur soutien aux abeilles, menacées par la PPL Duplomb. Ce texte ouvrirait la voie au retour sous conditions de plusieurs néonicotinoïdes interdits, dont l’acétamipride, un puissant insecticide «tueur d’abeilles». Jean-Louis Cottier, 65 ans, éleveur et producteur de fromages en bio à Rosières (Ardèche), a emmené avec lui un pulvérisateur rouillé, vestige des années 1950. «Pulvériser des produits chimiques, ça appartient à l’agriculture du passé», assène ce collectionneur de vieilles machines agricoles. Un épouvantail à l’effigie de Laurent Duplomb trône sur sa relique.
Jean-Paul Béal, 76 ans, s’approche et apprécie la création. Ce retraité, atteint de la maladie de Parkinson, se dit «victime de la prolifération des pesticides». «Les liens entre cette maladie et les diffusions anarchiques et incontrôlées des pesticides se précisent», assure-t-il, les mains tremblantes. Beaucoup de pancartes font également le lien entre maladies et utilisation de produits phytosanitaires : «Duplomb dans nos champs = cancer des paysans».
Peu avant midi, un cortège intergénérationnel s’élance au rythme d’une fanfare, sous un soleil de plomb. Dans les petites rues pavées du centre du Puy-en-Velay, la joie d’être ensemble se mêle à la colère. La permanence de Laurent Duplomb n’est qu’à quelques centaines de mètres, sous bonne garde d’une poignée de CRS. Ouvrière agricole depuis dix ans et membre des Soulèvements de la Terre, Laure porte une pancarte explicite : «Ni pesticides, ni mégabassines, ni ferme usine». Soit tout ce que la PPL Duplomb propose de développer. Sous son chapeau de paille et derrière ses lunettes noires, la quadragénaire croit au contraire que «l’agriculture industrielle ne va pas nous sauver.»

C’est aussi l’angle d’attaque choisi par Marie-Lise Brice et Xavier Fromont, respectivement porte-parole de la CP Haute-Loire et de la CP Auvergne-Rhône-Alpes. Perché·es sur une remorque face à la foule, devant la permanence du sénateur, les deux paysan·nes entendent dénoncer «une loi rétrograde» face à une crise agricole réelle. «Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur : pour nous, paysannes et paysans, cette loi portait plein de promesses, déclare Xavier Fromont. Nous sommes ici pour dire que cette loi mortifère passe complètement à côté de son sujet. Parce que la première contrainte au métier d’agriculteur aujourd’hui, c’est l’accès à un revenu digne.» Or, la PPL Duplomb ne propose rien sur les revenus ou les prix justes et stables. «On demandait de la simplification, pas de la dérèglementation», scande sous les applaudissements Marie-Lise Brice, par ailleurs productrice de yaourts bios.
La plupart des huit courts articles, voulus comme une réponse concrète à la crise agricole, sont battus en brèche. Sur la facilitation des projets de stockage d’eau, dont les mégabassines, Xavier Fromont tente d’apporter de la nuance. «Irriguer, oui, mais en utilisant l’eau au plus juste et au cas par cas. Nous avons parfois besoin de retenues collinaires ou de forages pour une agriculture paysanne vivrière. Nous n’avons pas besoin de mégabassines au service d’une agriculture industrielle exportatrice.»
Au passage du cortège, quelques œufs pourris sont jetés sur la permanence de Laurent Duplomb. Une odeur nauséabonde envahit les rues, avant que les manifestant·es filent rejoindre la préfecture pour un pique-nique géant. Marie-Lise Brice est satisfaite de l’affluence et se réjouit de voir des jeunes. Pour Bastien et Émilie, apiculteur·ices venu·es d’Ardèche, c’est la présence de personnes non-issues du milieu agricole qu’il faut saluer. «C’était un des buts de la mobilisation», savoure Bastien, qui s’est fabriqué un déguisement d’abeille avec deux bouts de carton formant des ailes.

Cela sera-t-il suffisant pour convaincre les 14 parlementaires de la CMP d’aboutir à un texte moins favorable à l’agriculture industrielle que sa version initiale, adoptée en janvier dernier par un Sénat dominé par la droite ? Andrée Taurinya, députée La France insoumise de la Loire, ne se risquera pas à un tel pronostic mais «espère des fissures dans le vote à venir». En conclusion de la journée, l’élue rappelait néanmoins qu’en cas d’accord sur une version finale ce lundi soir, celle-ci devra encore être votée dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale le 8 juillet. «Nous ne sommes pas majoritaires à l’Assemblée, mais peut-être que les députés de la macronie auront piscine ce jour-là», glisse-t-elle, sous le regard de l’épouvantail à l’effigie de Laurent Duplomb.