Analyse

Derrière la loi Duplomb, le lobbying de la FNSEA propulsé jusque dans la newsletter de Politico

Cent pressions. Avant le début des débats sur la loi Duplomb à l’Assemblée nationale, la FNSEA a mené une campagne de lobbying agressive pour défendre ce texte. Le syndicat agricole a même bénéficié d’un encart publicitaire «problématique» dans la newsletter de Politico, dénonce l’association QuotaClimat.
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Pour que les parlementaires adoptent la proposition de loi (PPL) «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur», finalement renvoyée en commission paritaire mixte lundi 26 mai pour éviter les débats à l’Assemblée nationale, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a sorti l’artillerie lourde.

Ce décryptage a été réalisé en partenariat avec Quota Climat, une association qui veut mettre l’écologie à la Une des médias, pour Chaleurs actuelles : la rubrique de Vert consacrée à la désinformation climatique et à l’extrême droite. Abonnez-vous gratuitement à la newsletter Chaleurs actuelles pour tout savoir de ces sujets majeurs.

Ce même lundi, une centaine d’agriculteur·rices sont venu·es planter quelques tracteurs devant l’Assemblée. «On est là pour mettre la pression. Qu’ils ne se trompent pas, sinon il y aura le feu dans les campagnes !», prévenait l’un d’eux auprès de Vert.

Mais il n’y a pas que sur le terrain que la FNSEA était omniprésente avant la séance au Palais Bourbon. L’ONG QuotaClimat, qui veille sur le traitement médiatique des enjeux écologiques, a repéré les signes d’une intense campagne de lobbying du syndicat agricole majoritaire dans plusieurs médias, quelques jours avant l’arrivée de la PPL dans l’hémicycle.

Le 26 mai, devant l’Assemblée nationale. © Esteban Grépinet/Vert

Ainsi, son logo vert et blanc est apparu dans la newsletter de Politico : «Playbook Paris». Cette infolettre, destinée aux décideur·ses, aux journalistes et à celles et ceux qui suivent la politique, est reçue par plus de 45 000 personnes chaque matin.

Comme le souligne QuotaClimat, chaque numéro de la semaine dernière commençait par l’en-tête : «présenté par la FNSEA». Une publicité qui a permis au syndicat de glisser son message, au milieu du contenu journalistique, en l’indiquant via un double astérisque :

«**Un message de la FNSEA : Cap ou pas cap’ ? La loi d’orientation agricole a fixé un cap clair : la souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, les agriculteurs attendent que les parlementaires soient capables de surmonter leurs divisions pour donner les moyens de cette ambition grâce à la PPL [pour lever les] contraintes.**» Traduction : mesdames et messieurs les député·es, votez la loi ! Le tout renvoyant vers un communiqué sur le site de la FNSEA.

Le logo de la FNSEA figurait en bonne place dans la newsletter Playbook Paris. © Capture d’écran Politico

Un encart publicitaire problématique, selon Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat : «Le message donne l’impression qu’il y a un soutien univoque de la profession agricole au texte de loi, alors que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas une représentation appropriée à donner aux responsables politiques et ça risque de biaiser leur vote.»

Des signalements dans d’autres médias

Surtout, la co-fondatrice de l’ONG observe que la FNSEA n’est pas perçue comme un acteur politique. «Ça serait fou qu’une newsletter politique fasse un partenariat pendant une semaine avec un parti, poursuit-elle. Là, c’est frappant de voir que la FNSEA est parvenue à avoir une image médiatique de neutralité, comme si ce n’était pas un syndicat partisan, ou que la défense de leurs arguments dans le corps de la newsletter n’était pas de la publicité politique.»

L’association a interpellé Politico sur LinkedIn, pour l’instant sans recevoir de réponse : «À l’attention de Politico : la mise en avant publicitaire des arguments d’un groupe d’intérêts, en plein débat parlementaire, contrevient à l’ambition affichée d’une information non-partisane.»

QuotaClimat a aussi reçu plusieurs signalements sur la couverture de la séquence par le journal Le Parisien – qui titrait mardi encore «La pression des agriculteurs a payé». Ou sur un reportage de France 2, diffusé la veille du vote, qui donnait largement la parole à des agriculteur·rices favorables à la loi. «Ils interviewent Delphine Batho à la fin du reportage, mais ce n’est pas une parole équivalente : c’est une responsable politique écologiste qui s’oppose à des agriculteurs de terrain, reprend Eva Morel. Cela alimente l’impression que l’écologie est l’apanage d’élites déconnectées.»

De son côté, la FNSEA ne cache pas ses intentions. D’après une étude exclusive réalisée par le média indépendant Politis et l’association Data for Good, 37% des amendements déposés par les parlementaires en dehors de la gauche répondaient à des demandes directes de la FNSEA – un lobbying d’une intensité rare.

Le syndicat s’est satisfait du vote lundi de la motion de rejet du texte : une manœuvre pensée par les partisan·es de la PPL Duplomb pour envoyer le texte en commission mixte paritaire. «Le vote de la motion de rejet, que la FNSEA a porté, est une satisfaction par rapport à l’obstruction menée par La France insoumise et les Écologistes. Le travail de notre réseau auprès de chaque député a été efficace», s’est félicité Hervé Lapie, son secrétaire général, cité dans le Monde. Dès lundi, les tracteurs ont quitté Paris.

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