🔎 Ceci est le second volet d’une enquête en deux parties sur le recyclage chimique. Le premier est disponible juste ici.
Au milieu des immenses cheminées de la raffinerie de Grandpuits, en Seine-et-Marne, une usine de recyclage chimique de plastiques a remplacé les installations de traitement du pétrole brut. Ce procédé de valorisation des déchets permettrait, selon ses promoteurs, de fabriquer de nouveaux plastiques de grande qualité, à partir de détritus complexes à traiter. Cette usine est la première étape du projet de reconversion du site, présenté en grande pompe par TotalEnergies en 2021. Après une première phase de tests, elle devrait entrer en fonctionnement en octobre prochain.
Alors que deux tiers des projets de recyclage chimique en France sont fortement retardés ou suspendus, celui du groupe dirigé par Patrick Pouyanné se poursuit, en collaboration avec Plastic Energy, spécialiste dans le domaine. La promesse du pétrochimiste : traiter jusqu’à 10 000 tonnes de déchets plastiques par an, des sachets de gruyère râpé jusqu’aux fameux pots de yaourt difficiles à recycler. La firme serait-elle devenue écolo ? Pas si sûr.

Pour valoriser les plastiques souples fournis par Citeo – le principal éco-organisme en charge du traitement des déchets ménagers –, le groupe les transforme d’abord en paillettes. Ensuite, il les fait fondre en les soumettant à une température de 400 degrés, sans oxygène, à très haute pression, dans un procédé appelé la pyrolyse. Cette technique permet de les transformer en Tacoil (Thermal anaerobic conversion oil), une huile équivalente à l’hydrocarbure essentiel à la fabrication du plastique.
Un fin connaisseur du sujet explique à Vert que «l’objectif est d’acheminer le Tacoil par camion jusqu’à la raffinerie d’Anvers», en Belgique. Il y sera ensuite traité et mélangé avec des hydrocarbures, puis envoyé dans un vapocraqueur. Cette puissante machine le chauffera à très haute température pour produire des éléments chimiques qui, pour certains, serviront à faire du plastique ; et qui, pour d’autres, entreront dans la composition d’engrais ou serviront à faire du carburant.
Du recyclage à la sauce hydrocarbures
Mais quelle part de plastique recyclé contiendront ces nouveaux emballages si l’huile de pyrolyse est mélangée avec des hydrocarbures tout neufs ? Une étude de l’association de lutte contre les déchets Zero waste Europe montre que seulement 2% du plastique recyclé qui sort de ce processus est effectivement réutilisé pour faire de nouveaux emballages. «Les géants de la pétrochimie ne veulent pas voir que, même avec un bon traitement de l’huile de pyrolyse, sa qualité n’est pas suffisante [pour être envoyée dans le vapocraqueur, NDLR]. Elle doit donc être mélangée avec des hydrocarbures», rapporte à Vert Lauriane Veillard, chargée de campagne pour Zero waste Europe.
Autre problème, la pyrolyse relargue des polluants (comme le bisphénol A) : soit parce qu’ils étaient déjà présents dans la composition de l’emballage recyclé, soit parce que certaines molécules se transforment en contaminants au moment du passage à haute température. Étant donné que TotalEnergies utilise ce procédé, l’association «ne reconnaît pas le projet comme une forme de recyclage, elle le considère comme une technique de récupération chimique», souligne Lauriane Veillard.
En clair : le recyclage chimique ne permet pas de concevoir un nouveau matériau à partir d’un ancien, il permet d’extraire la substance qui a servi à fabriquer ce matériau. Une fois celle-ci collectée, l’industriel peut décider de refaire un emballage, ou de l’utiliser pour d’autres usages (engrais, carburant…).

Jean-Yves Daclin, directeur France de Plastics Europe, le représentant des fabricants de matières plastiques, relativise la moindre qualité de l’huile de pyrolyse pour refabriquer ce matériau. «Aujourd’hui, on mélange l’huile de pyrolyse avec des hydrocarbures vierges parce qu’on commence à peine à en produire, donc on n’en a pas assez, indique-t-il à Vert. Ce n’est pas à cause de son manque de pureté. Dans quelques décennies, on peut imaginer, grâce à de nouvelles étapes de purification, ne plus avoir besoin d’hydrocarbures vierges dans certaines usines.»
«Grandpuits est un projet de greenwashing»
Pour Adrien Cornet, délégué syndical CGT sur le site, «Grandpuits est un projet de greenwashing». Dès le début, le choix de reconversion de la raffinerie a suscité de vives contestations. En 2021, syndicats et associations écologistes s’étaient réunis pour s’opposer à la proposition de la direction et fournir un plan alternatif.
Après avoir perdu face à TotalEnergies, 250 salarié·es sont resté·es. «On a critiqué la pyrolyse au départ parce qu’elle ne répondait pas à des besoins énergétiques essentiels, contrairement à la raffinerie», explique-t-il à Vert. La pyrolyse est très gourmande en énergie, une caractéristique que reconnaissent les professionnels du secteur. Interrogé par Vert, le groupe n’a pas indiqué la consommation d’énergie de son projet. «Maintenant que la pyrolyse est là, on se prépare à la démarrer, mais on défend toujours un vrai projet de transition écologique qui soit mené par les travailleurs», affirme Adrien Cornet.
Les associations environnementales pointent également du doigt les émissions de gaz à effet de serre du procédé, en moyenne neuf fois plus importantes que celles du recyclage mécanique, selon un rapport de Zero waste Europe.
Une estimation que démentent les industriels comme le géant de l’agrochimie BASF ou même Plastic Energy. En Seine-et-Marne, TotalEnergies prévoit d’installer une unité de traitement de ses rejets atmosphériques pour contrôler et détruire les gaz polluants à très haute température.
Mais, même pour les convaincus, il est difficile d’être rassuré par la démarche du groupe. «Je vois l’utilité écologique de ce projet, je suis plus mesuré sur la volonté de Total d’aller au bout de sa logique», confie à Vert un·e salarié·e qui souhaite garder l’anonymat. Sur le site, cette personne confie que «c’est un combat quotidien pour avoir les moyens humains et financiers d’assurer la sécurité des employé·es sur le projet. De quoi laisser une certaine amertume : Total ne met pas les mêmes montants pour acheminer du pétrole brut depuis des gisements en Afrique que dans les projets comme celui-ci.»
Le «mass balance» : l’astuce pour gonfler la quantité de matière recyclée
Côté consommateur·ices, comment savoir quelle quantité de plastique chimiquement recyclé compose vraiment l’emballage de nos produits ? Pour calculer ce taux de matière, les industriels souhaitent appliquer la méthode dite du mass balance (ou bilan massique).
L’enjeu ? Indiquer la quantité de matériau recyclé la plus importante possible, pour convaincre d’acheter une bouteille issue du recyclage chimique plutôt qu’une autre en matière vierge (qui n’a pas encore été recyclée). Plastics Europe souhaite que la réglementation européenne inscrive cette règle du mass balance dans la directive sur le plastique à usage unique, qui doit être fixée cette année.
Dans une enquête parue l’année dernière, le média Pro Publica détaillait les dessous de cette astuce qui gonfle le taux de matière recyclée d’un emballage. Pour comprendre, prenons un exemple : du procédé de recyclage chimique sortent plusieurs matériaux aux noms barbares (propylène, éthylène…), qui permettent de refabriquer différents types de plastiques. Imaginons que l’un de ces matériaux entre dans la composition d’une gourde de compote, l’autre dans celle d’une barquette. Le mass balance permet d’additionner les deux matériaux pour attribuer un taux de plastique recyclé plus important à l’affichage sur la gourde de compote. En revanche, sur la barquette, aucune quantité recyclée ne sera indiquée.
Mais, pour Jean-Yves Daclin, les critiques sur la méthode du mass balance ne sont pas justifiées. «Le mass balance est très critiqué quand on parle des plastiques, alors qu’il est utilisé depuis longtemps pour décrire la composition du jus d’orange, du café équitable ou du bois durable et de l’électricité verte», abonde-t-il.
Pour le représentant des industriels, «cette méthode permet de soutenir des économies émergentes, et la quantité déclarée est celle produite, il s’agit juste de flux mélangés que l’on ne peut pas tracer précisément.»