Enquête

Tout comprendre au recyclage chimique, cette «solution» à la pollution plastique aux airs de mirage écologique

Industrie tes déchets (1/2). Présenté par les industriels comme un remède à la pollution, le recyclage chimique est censé permettre de fabriquer du plastique de bonne qualité à partir de déchets jusqu’ici enfouis ou incinérés. En France, les projets se multiplient, à grand renfort d’argent public. Vraie solution ou écran de fumée ?
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🔎 Ceci est le premier volet d’une enquête en deux parties sur le recyclage chimique. Le second est à paraître mardi 24 juin.

«La solution ultime à la pollution.» Lorsqu’il s’agit de vanter le recyclage chimique, la société Ineos, l’une des majors mondiales de la pétrochimie, ne fait pas dans la demi-mesure. Il faut dire que la promesse est alléchante. Ce procédé permettrait de fabriquer de nouveaux plastiques, d’une qualité équivalente au vierge (celui qui n’a pas été recyclé), à partir de déchets complexes à traiter – comme les pots de yaourt en polystyrène – qui finissent aujourd’hui enfouis ou incinérés.

De quoi vivre «dans un monde où l’usage du plastique ne sera plus une menace», comme l’avance Carlos Monreal, PDG de Plastic energy, une entreprise du secteur ?

Le recyclage chimique consiste à décomposer la structure même des déchets plastiques, à l’aide de solvants ou en les chauffant à haute température. © Wikimedia

Loin de là, d’après les expert·es du comité scientifique de Plastic solution review, une plateforme d’analyse indépendante. Selon elles et eux, le recyclage chimique reste «technologiquement immature, économiquement non viable, logistiquement complexe, présente une empreinte carbone importante et génère des sous-produits toxiques qui menacent la santé humaine et l’environnement». Pourtant, en Europe comme en France, les projets prolifèrent, dopés à l’argent public, détournant ainsi les regards du problème initial : la pollution plastique qui contamine les sols, les océans et les corps à travers le monde.

Comment fonctionne le recyclage chimique ?

Le recyclage chimique, aussi appelé recyclage avancé, consiste à décomposer la structure même des déchets plastiques, à l’aide de solvants ou en les chauffant à haute température. Le procédé permet d’en récupérer les composants de base : du gaz comme de l’éthylène, un mélange d’hydrocarbures se présentant sous forme d’huile, ou directement des monomères, les briques qui constituent un polymère – le nom technique du plastique.

Après des étapes de purification et de raffinage, cette matière peut en principe être intégrée dans un nouveau produit plastique, y compris un emballage alimentaire, ce que le recyclage mécanique traditionnel – qui traite actuellement 99% des plastiques recyclés – ne permet que difficilement. «Cette méthode promeut le mythe d’un recyclage à l’infini et, à travers cela, véhicule l’idée que notre modèle de consommation d’emballages jetables pourrait devenir soutenable. Ce qui est faux», décrypte Flore Berlingen, experte du recyclage et autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Où en sont ces projets ?

Polyvia, le syndicat des plasturgistes, recense 20 unités de recyclage chimique en activité dans le monde, dont 15 en Europe, dans son dernier état des lieux rédigé en février 2025. L’organisme estime que 31 des 45 nouvelles usines prévues d’ici 2028 seront implantées sur le Vieux Continent. La France se voit en figure de proue de ce développement, avec une dizaine de projets lancés ces dernières années. Une ambition dont les limites commencent déjà à apparaître, tant les annonces en fanfare d’hier font pschitt aujourd’hui.

Cliquez sur l’image pour ouvrir notre carte interactive.

Des projets majeurs, tels que ceux portés par Ineos à Wingles (Pas-de-Calais), Loop Industries et Suez à Saint-Avold (Moselle), ou Michelin à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), sont au point mort (voir notre carte ci-dessus). D’autres accusent du retard, comme celui de l’américain Eastman, qui prévoit d’implanter l’une des plus grandes usines de recyclage chimique au monde en Seine-Maritime. Annoncé conjointement par la multinationale et Emmanuel Macron en 2022, ce projet a été déclaré «d’intérêt national majeur» en 2024 et pourrait percevoir jusqu’à cent millions d’euros d’aides publiques.

Parmi les raisons officielles de ces déconvenues : un flou réglementaire encadrant les filières d’approvisionnement et les débouchés pour les matières produites. «Le recyclage chimique coûte très cher et peine à trouver sa rentabilité», pointe également Flore Berlingen. D’après Polyvia, le plastique issu de cette technologie coûte deux à trois fois plus cher que du vierge. Conséquence : la viabilité des projets dépend souvent d’un soutien public important. En février 2025, la Commission européenne a autorisé la France à débloquer une enveloppe de 500 millions d’euros de subventions en faveur de la filière.

Est-ce une vraie solution à la pollution plastique ?

«Ces technologies peuvent avoir un intérêt sur certaines matières complexes que le recyclage mécanique ne peut pas traiter. Mais il faut poser la question des volumes ! Il y a un énorme décalage et une espèce de fuite en avant, car on essaie de rattraper la surproduction de plastique avec le recyclage», explique Flore Berlingen.

L’usine pétrochimique Ineos Styrolution à Wingles (Pas-de-Calais). © Capture d’écran Google maps

Dans son dernier rapport, Polyvia estime à 3,5 millions de tonnes la capacité de traitement totale des unités de recyclage chimique dans le monde en 2028. Soit à peine 1% des 353 millions de tonnes de déchets plastiques produites en 2019, d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui estime que ce volume triplera d’ici à 2060.

Pour Lise Nicolas et Enzo Muttini, ingénieur·es et cofondateur·ices de la plateforme de vulgarisation M. et Mme Recyclage, ces procédés sont «intéressants si l’on développe en premier le levier de la réduction et du réemploi. Si l’on mise tout sur le recyclage chimique, en se disant qu’on peut continuer à consommer comme maintenant, ça ne va pas fonctionner. On devrait mettre autant d’argent dans le réemploi que dans le recyclage.»

Le recyclage chimique, un outil de greenwashing ?

«Annoncer des projets, ça fait gagner du temps. Tant que l’on promet de monter une grosse usine de recyclage, personne ne vient nous embêter avec la pollution plastique», analysent Lise Nicolas et Enzo Muttini. Le passé récent semble le confirmer. Promettant de mettre sur pied une filière de recyclage du polystyrène d’ici 2025, un groupe d’industriels a contrecarré l’interdiction ferme des emballages conçus avec cette matière prévue dans la loi Climat et Résilience de 2021. Les projets de recyclage chimique censés répondre à cet engagement n’ont jamais vu le jour, et des millions de pots de yaourt non recyclables continuent d’inonder le marché.

Des arguments de même nature ont été utilisés par l’industrie pétrochimique pour tenter de limiter les ambitions d’un traité international contre la pollution plastique négocié fin 2024 en Corée du Sud, d’après le site InfluenceMap. À la manœuvre, des multinationales telles que Dow, ExxonMobil ou BASF, qui sont à la fois producteurs de plastique et parties prenantes dans les projets de recyclage avancé. «Le recyclage chimique permet aux grandes entreprises de la pétrochimie de verdir leur image à travers l’incorporation d’une partie de plastiques recyclés dans leurs installations», relève une note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de juin 2023. Ce document souligne le risque «d’encourager l’utilisation du plastique en donnant l’impression aux consommateurs que la gestion de la fin de vie des plastiques est maîtrisée».

La firme ExxonMobil, suspectée d’avoir «trompé» le public sur la recyclabilité des produits plastiques, fait l’objet de poursuites judiciaires aux États-Unis depuis septembre 2024. Dans son réquisitoire, le procureur général de Californie, Rob Bonta, a affirmé : «Le programme de “recyclage avancé” d’ExxonMobil n’est rien d’autre qu’une opération de relations publiques destinée à encourager les consommateurs à continuer d’acheter des emballages à usage unique qui alimentent la crise de la pollution par les plastiques.»

CO2, rejets toxiques, quel impact environnemental ?

Les performances environnementales des unités de recyclage chimique varient selon la technique employée. D’après un rapport du cabinet de conseil SIA Partners, la plus répandue en Europe est la pyrolyse, avec 62% des projets opérationnels ou annoncés basés sur ce procédé. Il consiste à chauffer à haute température les déchets pour les transformer en huile composée d’un mélange d’hydrocarbures. Une méthode particulièrement énergivore.

Dans certains cas, cette matière doit être soumise à un second traitement sur un site pétrochimique, appelé vapocraquage, pour en extraire les composants de base nécessaires à la production de plastique. «Pour nous, toutes les techniques qui obligent à repasser l’étape du vapocraquage ne sont pas bénéfiques d’un point de vue environnemental. Car on ne saute pas l’étape la plus polluante du cycle de production, qui est elle-même l’étape la plus polluante de la vie du plastique», détaillent Lise Nicolas et Enzo Muttini. D’après un rapport commandé par l’ONG Zero waste Europe en 2022, la pyrolyse émet neuf fois plus de CO2 que le recyclage mécanique pour chaque kilo de plastique recyclé.

Des inquiétudes existent aussi sur les potentiels rejets toxiques de ces installations. En 2021, l’Autorité européenne des produits chimiques (Echa) alertait sur «la connaissance fragmentée sur le devenir des substances préoccupantes dans les différents procédés de recyclage chimique», dans un contexte de développement de ces projets industriels en Europe. L’Echa estime que ces procédés sont susceptibles de relarguer des «dioxines bromées, des furanes, des HAP [hydrocarbures aromatiques polycycliques, NDLR], des composés organiques volatils et des métaux lourds dans l’air et les résidus solides.» De quoi faire pencher encore un peu plus la balance en défaveur de l’environnement.