Décryptage

À Busan, des négociations internationales crispées autour de la pollution plastique

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Dernier traité pour Busan. Depuis lundi 25 novembre et jusqu’au 1er décembre, 175 pays se réunissent à Busan, en Corée du Sud, pour finaliser un traité mondial qui doit limiter la pollution plastique. Les pays pétroliers tentent de freiner les négociations, tandis qu’une coalition d’États de «haute ambition» souhaite limiter la production de matière vierge. Un accord est-il possible ? Vert fait le point.

«Ça n’avance pas assez vite», constate auprès de Vert Henri Bourgeois-Costa, directeur des affaires publiques de la fondation Tara Océan. Observateur à Busan, en Corée du Sud, il assiste aux négociations en cours. Après deux ans de tractations, le sommet qui se tient jusqu’à la fin de la semaine devrait être le round final pour obtenir un texte juridiquement contraignant sous l’égide des Nations unies.

Des déchets plastiques sur une plage de Punta Cana (République dominicaine). © Dustan Woodhouse

Les discussions piétinent, mais Henri Bourgeois-Costa note avec enthousiasme que «pour la première fois, de nombreux pays ont affirmé haut et fort leur refus que la planète entière soit prise en otage par quelques pays producteurs de pétrole et transformateurs de plastique». Deux camps aux positions antagonistes se confrontent lors de ces négociations :

· «La Coalition de haute ambition» réunit 67 pays dont ceux de l’Union européenne. Elle veut inscrire l’objectif de diminution de la production mondiale de plastique dans l’accord final. Un projet soutenu par de nombreux autres États comme la Colombie, le Panama ou encore les Îles Fidji.

· Les pays producteurs de pétrole et transformateurs de plastique (Arabie Saoudite, Russie, Iran, Venezuela…) refusent de limiter la production de matière vierge, qui représente un débouché juteux pour leurs industries. Ils ne veulent pas non plus discuter d’une éventuelle interdiction des substances chimiques toxiques utilisées dans les polymères (ces grosses molécules qui composent la matière plastique). Ils défendent uniquement le recyclage des déchets.

Les États pétroliers accusés d’obstruer les négociations

Selon plusieurs interlocuteur·ices interrogé·es par Vert, les États pétroliers et transformateurs de plastique tentent de freiner les négociations à Busan. Ils arguent que le sujet de la production de matière vierge ne ferait pas partie du mandat du traité, il ne faudrait donc pas l’aborder. Pourtant, «c’est écrit noir sur blanc dans le texte technique : son but est d’en finir avec la pollution plastique en prenant en compte tout le cycle de vie, dont l’extraction charbonnière et gazière, et pas seulement les déchets en fin de course», explique à Vert Delphine Lévi-Alvarès, observatrice pour l’ONG CIEL, qui veut mettre le droit international au service de la protection de l’environnement.

Résultat : «Les pays qui ont intérêt à ce que rien ne bouge enlisent les débats en séance plénière», déplore auprès de Vert Philippe Bolo, député MoDem du Maine-et-Loire. Il est membre d’une coalition de 25 parlementaires à travers le monde qui plaide pour une production de plastique réservée aux usages essentiels. «Ce n’est pas la révolution de demander ça», tance-t-il. Au cours de la séance plénière, mercredi, le délégué iranien s’est défendu des accusations d’obstruction portées par de nombreux pays, refusant d’«être accusé de bloquer les négociations par des tactiques malhonnêtes».

Le discours des États pétroliers est semblable à celui des entreprises productrices de matière première ou transformatrices de plastique, représentées en nombre au sommet de Busan. Cette année, «220 lobbyistes de l’industrie fossile et chimique, ceux qui produisent le plastique à la source, se sont enregistrés», indique Delphine Lévi-Alvarès. C’est un record depuis les premiers rounds de négociations du traité en 2022.

En amont des tractations à Busan, ExxonMobil a par exemple assuré «soutenir le traité», tout en affirmant que celui-ci devait aller «dans la bonne direction». À savoir, pour l’entreprise, pas de réduction de la production : «Si des appels ont été lancés en faveur d’un plafonnement ou d’une interdiction de la production, il est rassurant d’entendre les dirigeants partager leur conviction que de telles mesures pourraient priver le monde – en particulier les pays en développement – des avantages incalculables que les plastiques apportent.» Pour Henri Bourgeois-Costa, cette tendance à «se faire le chantre des pays pauvres» est une stratégie également présente dans le discours des États pétroliers et transformateurs de plastique à Busan. «Ils tentent de polariser le débat sur des questionnements Nord/Sud, alors que les discussions ne crispent pas sur ce point, puisqu’une grande majorité des pays veut réduire la production de plastique»,explique-t-il.

La fausse solution : miser uniquement sur le recyclage

Selon ExxonMobil, l’accord de Busan devrait plutôt encourager «les innovations dans la conception des produits afin d’en améliorer leur recyclabilité» et résulter d’«un consensus fondé sur la science». Or, c’est bien sur les faits scientifiques que repose l’ambition de ne pas se limiter au recyclage des déchets pour s’attaquer à la fabrication du plastique.

La production de matière vierge repose sur les matières fossiles. Chaque année, 12% du pétrole est transformé en polymères. Elle est donc une forte émettrice de gaz à effet de serre, en plus de rejeter des microplastiques dans l’environnement. Selon une étude scientifique de l’université de Berkeley (États-Unis), il faudrait la diminuer de 75% afin de limiter le changement climatique global à 2 degrés. Or, la production de matière vierge continue d’augmenter. Elle a atteint 360 millions de tonnes dans le monde en 2020, et si rien n’est fait pour l’endiguer, elle devrait tripler d’ici à 2060.

Le recyclage ne palliera donc pas cette fabrication exponentielle. Seuls 9% des détritus plastiques sont recyclés dans le monde. Un récent article du Guardian révèle l’inefficacité des actions mises en place par «L’Alliance to end plastic waste» [Alliance pour l’élimination des déchets plastiques, en français], un groupe créé en 2019 qui rassemble des entreprises productrices de plastique ou spécialisées dans le recyclage. Ces cinq dernières années, leurs initiatives ont permis d’éliminer 119 000 tonnes de plastique de l’environnement… soit mille fois moins que ce que les cinq plus grosses firmes qui en sont membres (Dow, ExxonMobil, Shell, TotalEnergies, ChevronPhillips) ont produit sur la même période.

«L’argument sanitaire pourrait rassembler»

Malgré les positions antagonistes de ces deux camps, il reste encore quatre jours pour inscrire des mesures ambitieuses dans le traité de lutte contre la pollution plastique. Parmi celles-ci : «l’interdiction, dans les polymères, des substances chimiques les plus préoccupantes pour la santé», plaide Philippe Bolo.

Dans un rapport publié en 2023, il rappelait que 3 200 produits chimiques utilisés dans la fabrication du plastique sont jugés préoccupants pour la santé par les scientifiques. Seuls 130 de ces molécules sont réglementées par des conventions internationales. «J’aimerais qu’on définisse des listes de ces matières préoccupantes à interdire. L’argument sanitaire pourrait rassembler, mais pour le moment, le même groupe d’États refuse de négocier sur ce sujet», regrette le député. Que peut-on espérer, dans ces conditions, comme version finale du texte ? «Toutes les options sont encore sur la table, affirme Henri Bourgeois-Costa. Il serait très optimiste d’espérer arriver à un chiffre établi de réduction de la production de plastique, comme l’ont proposé le Rwanda et le Pérou, à hauteur de 40%». Selon lui, le traité idéal imposerait déjà «une diminution de la production et des lignes directrices pour y aboutir, que l’on pourrait affiner lors les conférences internationales suivantes».