Tribune

«Le principe pollueur-payeur est largement insuffisant face à la pollution plastique»

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Les négociateurs du futur traité contre la pollution plastique pourraient être tentés de se limiter à l’approche du pollueur-payeur, comme en France où les entreprises financent la collecte de leurs déchets. Grave erreur, expliquent Flore Berlingen, autrice et spécialiste du sujet et Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France dans cette tribune à Vert.

«L’ampleur de la pollution plastique ne fait presque plus débat : les plus grands promoteurs du plastique et ses principaux utilisateurs (les industries de l’emballage, de l’agroalimentaire, du textile…) reconnaissent son impact, tant sur la biodiversité que sur le climat, et multiplient les plans d’actions et autres engagements volontaires. Ces entreprises réclament même, pour certaines, l’application du principe pollueur-payeur, pour «prendre leurs responsabilités» et «faire évoluer leur modèle». Une position très écoutée dans le cadre des négociations qui se déroulent actuellement à Paris sur le futur traité international de lutte contre la pollution plastique.

Faut-il comprendre que ces entreprises sont prêtes à réduire la quantité d’emballages qu’elles diffusent ? À relocaliser et raccourcir drastiquement leurs circuits de production et de distribution pour rendre possible le lavage et le réemploi des bouteilles, boîtes ou bocaux ? Qu’elles entendent, dans le secteur textile, limiter le recours au polyester et diminuer le nombre de vêtements mis sur le marché pour éviter l’extraction de pétrole et la diffusion de microplastiques dans l’environnement ?

Loin de là. Ce que les entreprises préconisent, lorsqu’elles évoquent le principe pollueur-payeur dans le contexte du futur traité sur les plastiques, c’est d’appliquer le mécanisme de la «responsabilité élargie du producteur» (REP) dans les pays dans lesquels elle n’existe pas encore. Ce mécanisme consiste à instaurer une écocontribution sur chaque emballage ou produit mis sur le marché, qui servira à financer la prise en charge des déchets produits, ainsi que des actions permettant de les réduire. En théorie.

Dans le cadre de ces filières de responsabilité élargie du producteur, il n’est pourtant pas question de remettre en cause les volumes d’emballages, vêtements, ou autres produits mis sur le marché. Réguler la production, «ce n’est pas le rôle de la REP», entend-on dans les instances nationales ou internationales qui supervisent ou échangent sur le fonctionnement de ces filières.

Et ce, d’autant plus qu’en France, comme dans la quasi-totalité des pays dans lesquels elle est appliquée, la REP est pilotée par les producteurs eux-mêmes, au travers des éco-organismes. Ces derniers doivent être agréés par les pouvoirs publics, sur la base d’un cahier des charges, mais les moyens de contrôle et de sanction déployés en cas de non-respect (des objectifs fixés, par exemple) sont très limités.

Cantonnée à tenter de favoriser, à la marge, l’amélioration du recyclage et l’écoconception des produits, la REP n’a donc aucune efficacité réelle en termes de prévention, c’est-à-dire d’évitement de la production de déchets. La filière française «historique» des emballages l’illustre bien : depuis sa création en 1992, la quantité d’emballages mise sur le marché a augmenté de 20% – une croissance plus rapide que celle de la population.

Espérer que le principe pollueur-payeur, au travers de la REP, incite naturellement les utilisateurs et les producteurs de plastique à inverser leurs projections de croissance serait donc une grave erreur. Le futur traité doit inclure un objectif global de réduction, des quotas de production déclinés par pays, et/ou des interdictions ciblant les plastiques les plus toxiques et les produits et emballages destinés à un usage unique, comme le demandent de nombreuses ONG et États.

La REP est par ailleurs promue par le programme des Nations unies pour l’environnement comme le mode de financement «le plus efficace» pour la prise en charge des déchets plastiques et la mise en œuvre d’une économie circulaire. Les montants mobilisés, en France notamment, impressionnent – 1,8 milliard versé en 2021, toutes filières confondues. Ils ne sont toutefois pas à la hauteur des pollutions causées. Les seuls coûts pris en charge sont en effet ceux de la gestion des déchets. Considérer la REP comme le principal instrument de financement du traité sur les plastiques serait donc très largement insuffisant, car les plastiques causent des dommages environnementaux à toutes les étapes de leur cycle de vie, en particulier lors de leur production, qui mobilise les industries extractives et chimiques.

En outre, opter pour des dispositifs de financement nationaux, sur le modèle des REP déjà existantes, reviendrait à méconnaître le caractère global de la pollution plastique. Les propositions de création d’un fonds mondial dédié à la mise en œuvre du traité, et d’une taxe mondiale sur les plastiques apparaissent plus adaptés à la situation.

Malgré ses limites, la REP est intensément promue auprès des négociateurs sur le traité plastique. La France s’y emploie activement, au travers notamment de son principal éco-organisme Citeo (filière emballages) devenu l’ambassadeur principal du modèle de REP à la française. Mais en présentant la REP comme dispositif essentiel du futur traité, sans apporter de nuances sur son efficacité, les pays qui défendent une haute ambition pour le traité risquent de faire le jeu des Etats qui cherchent, à l’inverse, à limiter son caractère contraignant.

Les négociations engagées à Paris depuis lundi le montrent bien : l’enjeu de ce traité est de parvenir à fixer un cadre global, d’éviter que les points essentiels concernant la réduction de la production de polymères ou le financement ne soient renvoyés à des stratégies nationales déterminées librement et ultérieurement. Or, la REP est tout à fait compatible avec l’idée de privilégier l’échelon national pour décider des mesures à mettre en œuvre, tout comme elle est compatible avec la poursuite d’une croissance de l’industrie plastique. De ce point de vue, le principe pollueur-payeur, qui passe à première vue pour un instrument de changement, pourrait se mettre au service du statu quo.»

Signataires

Flore Berlingen, Autrice et coordinatrice plaidoyer pour En Mode Climat

Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer chez Zero Waste France