Le monde tente-t-il de contrarier les plans du sosie officieux de Sean Penn ? C’est ce que semble croire ce dernier, Gerard Barron, riche homme d’affaires Australien de 58 ans à la tête de The Metals Company (TMC). Le 27 juin, son entreprise spécialiste de l’extraction minière sous-marine (deep sea mining, en anglais) a soumis une demande d’exploitation des fonds marins internationaux au gouvernement américain. Trois jours plus tôt, le président Donald Trump signait un décret destiné à ouvrir l’extraction de minerais dans les abysses à grande échelle. Cette stratégie vise à contourner l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), chargée d’accorder des permis d’extraction dans les eaux internationales, alors que l’organisme onusien n’en a encore jamais délivré.
Les pays membres de l’instance peinent à s’entendre sur un code minier, censé encadrer l’industrie émergente du deep sea mining. Passer par l’administration Trump pour racler les sols océaniques est d’autant plus stratégique que les Etats-Unis ne font pas partie de l’AIFM et s’estiment donc libre de toute contrainte.
Petites pierres, gros profits
Résultat, des partenaires de TMC se désengagent : une entreprise japonaise, avec laquelle l’entreprise s’était autrefois associée pour traiter des minéraux issus de l’exploitation des tréfonds océaniques, a dit reconsidérer son partenariat pour conserver une crédibilité à l’échelle internationale. En attendant, la valeur boursière d’action de la startup basée au Canada a plus que quadruplé, passant de 1,83 dollars (1,59 euro) fin mars à 7,87 $ (6,81€) la semaine du 20 juillet.
De quoi ravir le businessman aux cheveux longs plaqués en arrière et au sourire enjôleur, qui semble ne jamais se balader sans un nodule polymétallique ; ces pierres, qui s’apparentent à des petits boulets de canon, regorgent de manganèse, mais aussi de cobalt, de nickel et de cuivre en plus petites quantités. Aspirés dans les plaines abyssales à 4 000 mètres de profondeur par des navires industriels, ces cailloux pourraient notamment servir à fabriquer des batteries de voitures électriques et des éoliennes. Leur ponction doit répondre à la «transition énergétique» et au «développement mondial [qui] nécessiteront l’extraction de quantités sans précédent de métaux dans les décennies à venir» affirme l’entreprise minière sur son site.
Un as du marketing
«Gerard Barron aime se présenter comme un pionnier des technologies propres», explique Victor Vescovo, explorateur marin. «Il s’agit d’une construction marketing, car lorsqu’il a introduit l’entreprise en bourse en 2021, la couverture de sa présentation aux investisseurs montrait une voiture électrique, des éoliennes et des panneaux solaires. Pourtant, au cours des six derniers mois, il a complètement changé d’approche pour se positionner comme un fournisseur de minerais stratégiques, notamment pour les États-Unis», détaille celui qui est aussi investisseur et a fait fortune dans les fonds de placement.
L’enjeu serait désormais d’assurer la domination des États-Unis en matière d’exploitation sous-marine face à la Chine, ce qui doit permettre de soutenir la transition écologique américaine et donner un coup de fouet à l’économie du pays. Gerard Barron estime d’ailleurs que l’extraction minière en eaux profondes pourrait créer 100 000 emplois et augmenter de 300 milliards de dollars le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis sur dix ans.
Par le passé, Gerard Barron a travaillé dans les logiciels publicitaires et l’édition de magazines. C’est néanmoins grâce à ses investissements miniers qu’il se fait connaître. En 2001, le partenaire de tennis de Gerard Barron, David Heydon, lui présente Nautilus Minerals, l’entreprise spécialisée en exploitation minière sous-marine qu’il est en train de créer. Le businessman se laisse ensorceler par son ami géologue quand il apprend que les océans regorgent de métaux. Il investit alors 600 000 dollars (520 000€) dans l’aventure et rassemble d’autres investisseurs.
Le désastre papou
En 2011, Nautilus Minerals conclut un accord avec le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée pour exploiter des gisements au large de ses côtes à la recherche de sulfures massifs, des dépôts minéraux ancestraux formés au fond des océans. Baptisé Solwara 1, ce projet sera infructueux : un demi-milliard de dollars auront été dépensés sans succès à la recherche de métaux dans les sources hydrothermales papoues et les fonds marins seront dévastés.
La docteure Helen Rosenbaum, coordinatrice de recherche à la Deep Sea Mining Campaign – une coalition internationale de 130 organisations opposées au deep sea mining – se souvient : «il y a treize ans, je travaillais pour des ONG sur l’île de Nouvelle-Bretagne orientale, située à 70 kilomètres environ du site minier visé. Les communautés locales semblaient très inquiètes des conséquences sur leurs moyens de subsistance, leur sécurité alimentaire, leur avenir et leurs traditions culturelles, car elles sont très proches de la mer, et tout y est intimement lié.»
Nautilus Minerals fait faillite en 2019 et fait perdre à la Papouasie-Nouvelle-Guinée 120 millions de dollars (104M€) quand Gerard Barron empoche 30 millions de dollars (26M€) après avoir revendu ses parts dans l’entreprise à temps. Celui-ci déclarera au sujet de la faillite papoue : «Ce n’était pas mon affaire.» Ce désastre pousse les îles du Pacifique à plaider pour un moratoire sur le minage en eaux profondes. Depuis, 38 Etats se sont engagés en faveur de ce moratoire, parmi lesquels la France, qui se positionne même pour «une interdiction totale de l’exploitation minière des fonds marins dès la COP27 sur le climat de Charm el-Cheikh, en novembre 2022» souligne Hervé Berville, ancien secrétaire d’État à la Mer et député Ensemble pour la République.
Nouveau navire pour un nouveau naufrage ?
L’échec de Solwara 1 n’entame pas la détermination de David Heydon, ni celle de Gerard Barron. En 2011, ils cofondent DeepGreen, rebaptisée The Metals Company à l’occasion de son entrée en bourse en 2021. Gerard Barron en est le PDG et de nombreux salariés de Nautilus le suivent chez TMC. Il souhaite alors redorer l’image du deep sea mining, fait le tour du monde pour défendre sa cause et l’évoque désormais comme un moyen de favoriser la transition écologique. Sa firme tente de le présenter comme le «Elon Musk des abysses». «Ce n’est pas un ingénieur et il n’a à son actif aucune avancée technique. Le comparer à quelqu’un d’aussi reconnu dans l’ingénierie matérielle me paraît donc être une comparaison totalement inexacte» observe Victor Vescovo.
«Gerard Barron a opéré une stratégie de greenwashing», appuie l’activiste Anne-Sophie Roux, chargée de campagne Europe contre l’exploitation minière en haute mer pour l’ONG Sustainable Ocean Alliance. Elle ajoute : «les scientifiques répètent qu’il est faux de dire que miner les fonds marins est utile. Lorsque Gerard Barron affirme que les mines de cobalt au Congo et en Indonésie sont une catastrophe et qu’il faut donc miner les fonds marins pour éviter de miner dans ces pays-là, c’est un argument fallacieux : ce n’est pas en minant les fonds marins que l’on résoudra les problèmes déjà existants», juge la militante.
Pour Anne-Sophie Roux, les impacts seront irréversibles. «On parle d’écosystèmes qui ont mis des millions d’années à se former et qui risquent donc de ne jamais se remettre de l’exploitation. Il y a aussi un risque d’extinction d’espèces pour la plupart inconnues, car 90% des espèces abyssales n’ont pas encore été décrites par les scientifiques.»
L‘ambassadeur français des enjeux maritimes, Olivier Poivre d’Arvor, voit aujourd’hui en Gerard Barron un homme «infréquentable pour des états sérieux qui ont quelques considérations pour l’océan et pour la planète». Alors que le businessman australien prévoit d’extraire des métaux précieux des profondeurs dès le 1er trimestre 2026 grâce à un contrat signé avec le président de Nauru cinq ans plus tôt, le diplomate rappelle qu’«aucune des échéances annoncées par TMC n’ont été tenues». «Cela fait des décennies que Gerard Barron cherche à miner les fonds marins, sans succès. Il n’y parviendra pas non plus l’année prochaine pour des questions techniques, réglementaires, et financières» s’accorde Anne-Sophie Roux qui souligne le «profil spéculateur» de l’industriel.
Pourra-t-il spéculer encore bien longtemps alors que la France a proposé une pause de dix à quinze ans sur l’exploitation minière des grands fonds à l’ouverture de la 30ème Assemblée générale de l’AIFM, le 21 juillet ? Les paris sont lancés.