Un nouveau passage en force contre l’écologie, au profit des grandes entreprises. Le 24 avril dernier, le président des États-Unis Donald Trump a signé un décret demandant à son administration «d’accélérer l’examen» des candidatures «et la délivrance de permis d’exploration et d’extraction» des minerais dans les fonds marins au large des côtes américaines, ainsi qu’en haute mer (ces eaux internationales qui ne sont sous l’autorité d’aucun État).
La nouvelle a créé la stupeur parmi les associations écologistes qui alertent depuis des années sur les dégâts que l’extraction minière pourrait causer sur la biodiversité encore méconnue des fonds marins. Ces derniers sont aussi un stock crucial de dioxyde de carbone (CO2, un gaz responsable du réchauffement climatique). Le risque est que «l’on transforme la haute mer en Far West, avec une potentielle accélération de la crise climatique», dénonce auprès de Vert l’activiste Anne-Sophie Roux.
Aux États-Unis : une exploitation qui peut commencer à tout moment
«Les États-Unis ne sont pas le premier État à souhaiter exploiter leurs fonds marins», rappelle à Vert Virginie Saliou, chercheuse en géopolitique des espaces maritimes à Sciences Po Rennes et à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem). Plusieurs pays, dont les États-Unis – ainsi que le Japon ou les îles Cook –, ont déjà délivré des permis d’exploration de ces profondeurs méconnues. En 2024, la Norvège avait même tenté d’autoriser l’exploitation d’une partie de ses abysses, avant de faire marche arrière face à la mobilisation de la société civile (notre article).
Avec son décret, Donald Trump ouvre cette fois la porte à une exploitation commerciale à grande échelle dans les eaux américaines, qui représentent 3% de la surface des océans. Concrètement, des entreprises vont désormais être autorisées à racler les profondeurs pour remonter de très convoités métaux comme le nickel, le cobalt ou encore le cuivre (utilisés dans les batteries des téléphones ou des voitures électriques).
Impossible pour l’instant de savoir quand les premiers engins attaqueront les fonds marins, mais les États-Unis vont difficilement pouvoir se lancer dans une extraction industrielle «du jour au lendemain», souligne un article du média américain CNN. «L’exploitation à échelle commerciale, nous n’y sommes pas encore, confirme Virginie Saliou. Près de la moitié des eaux américaines n’est pas encore cartographiée et il faut aussi des engagements financiers, car exploiter les fonds marins coûte très cher.»
«Il peut aussi y avoir des résistances internes au sein de certains États américains», note Sophie Gambardella, chercheuse spécialiste de la gestion internationale des ressources marines au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle explique que, ces dernières années, les États de Washington, de Californie ou de Floride ont adopté des moratoires contre l’exploitation minière le long de leurs côtes.
Dans les eaux internationales : une violation du droit de la mer, mais des sanctions peu probables
En plus d’autoriser cette pratique dans les eaux américaines, Donald Trump ouvre aussi la voie à une extraction dans les eaux internationales, en dehors de la zone souveraine des États-Unis. Un véritable enjeu, puisque la haute mer représente près des deux tiers de la surface maritime mondiale.
«Il n’est pas certain que l’exploitation de la zone internationale soit rentable, notamment parce qu’il faut dénucléariser les nodules polymétalliques [les boules de minerais extraites des fonds marins, NDLR], ce qui ajoute un coût énorme», nuance Sophie Gambardella.

Une entreprise se dit pourtant prête : The Metals Company. Après avoir mené ses premiers tests de collecte de minerais dès octobre 2022 dans les profondeurs du Pacifique (notre article), la firme canadienne a milité ces dernières semaines auprès de l’administration Trump pour obtenir un permis d’exploitation en haute mer.
Le décret signé par Donald Trump serait pourtant «inapplicable» en haute mer, selon Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur français des enjeux maritimes, qui s’est exprimé lundi lors d’une conférence de presse en ligne : «Personne ne peut s’arroger le droit de détruite les océans, surtout ceux sur lesquels ils n’ont aucun droit territorial.» Les États-Unis n’ont jamais ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dont l’article 11 place les fonds marins comme patrimoine commun de l’humanité et charge l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) d’organiser leur gouvernance.
«Aucun État ne pourrait contraindre juridiquement les États-Unis de ne pas exploiter ces fonds, car le pays n’est pas partie prenante de cette convention – même s’ils en appliquaient largement les règles jusqu’ici, explique Virginie Saliou. Hormis une pression morale et diplomatique de la communauté internationale, ou des actions en justice d’ONG en cas de dégâts environnementaux, la capacité de réaction est limitée.»
Vers une riposte contre les États-Unis ?
Plusieurs États ont déjà condamné la décision unilatérale du président américain. La Chine, principal adversaire des États-Unis dans la course aux minerais stratégiques, a déclaré dès jeudi que le projet de Donald Trump «enfreignait le droit international».
«La position de la France est claire : pas d’exploitation des hauts fonds marins», a de son côté rappelé la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. La France fait partie des 32 États qui se sont prononcés pour un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins (notre article).
Mais l’annonce des États-Unis pourrait aussi donner des idées à d’autres pays moins soucieux de la préservation des écosystèmes des profondeurs. Japon, Norvège, Inde… ils sont plusieurs à plaider pour une exploitation des fonds marins dans le cadre des négociations en cours au sein de l’AIFM pour l’instauration d’un code minier.
«La décision de Trump est un coup de pied dans la fourmilière, elle va obliger tout ceux qui étaient dans l’attente à prendre position», analyse Sophie Gambardella. Dans quel sens ira le courant ? La Conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin, promet d’être un moment clé pour l’avenir des fonds marins.
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