Depuis quelques années, Anne-Sophie Roux est une des voix montantes du mouvement d’opposition à l’exploitation minière des fonds marins. Elle est aussi conseillère auprès du député (Côtes-d’Armor, Renaissance) et ancien secrétaire d’État chargé de la mer Hervé Berville.

Quelle a été votre réaction à la décision américaine d’ouvrir à grande échelle l’exploitation minière des fonds marins ?
Ça n’a pas été une surprise, car ça avait été annoncé deux mois plus tôt par The Metals Company. C’est une entreprise au bord de la faillite, qui a enregistré une perte nette de 81 millions de dollars l’année dernière. Elle a le couteau sous la gorge financièrement et elle ne pouvait pas aller miner les fonds marins dans le cadre du droit international. Alors, elle a tenté un coup de poker en allant voir Donald Trump pour lui demander de violer le droit international – ce qu’il a fait.
Dans le décret, il y a deux composantes : l’une sur les eaux américaines, où les États-Unis sont souverains et font ce qu’ils veulent. L’autre sur les eaux internationales, où le pays exploiterait les fonds marins en dehors du cadre multilatéral. C’est bien cette violation du droit international qui est problématique : on parle de près de la moitié de la surface de la planète, d’un pilier de la stabilité du climat et d’une biodiversité qu’on connaît encore très mal.
Cette décision peut-elle ouvrir la porte à d’autres entreprises également tentées d’exploiter ces fonds marins ?
Si personne ne réagit, il y a un vrai risque que la haute mer se transforme en Far West, où ce serait «premier arrivé, premier servi». Des pays comme la Chine ou la Russie pourraient se dire qu’il faut suivre les États-Unis. Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Ce qui est aussi très préoccupant, c’est que ça mettrait à terre toutes les victoires de ces dernières décennies sur le climat et l’océan. Par exemple, le traité sur la haute mer, qui est en cours de ratification après 20 ans de négociations aux Nations unies (notre article), ne servirait plus à rien si Donald Trump minait cette zone en violant le droit international.
Par quels moyens pourrait-on s’opposer à la volonté de la plus grande puissance économique et militaire du monde ?
Les entreprises disaient jusqu’ici qu’elles allaient miner les fonds marins pour la transition énergétique, le climat, nos voitures électriques… Chose dans laquelle elles n’ont jamais cru, parce que c’est scientifiquement infondé. Mais, depuis le second mandat de Donald Trump, elles ont changé leur discours et affirment qu’elles mineront les fonds marins pour des raisons militaires et industrielles.
Nous allons mettre tous les outils à notre disposition pour nous y opposer. La première urgence, c’est que tous les pays qui tiennent au droit international réagissent rapidement. Le premier à l’avoir fait, c’est la Chine, et c’est quand même fou de la voir défendre le droit international face aux États-Unis… La France a réagi aussi, avec deux ministres [de la transition écologique et des affaires étrangères, NDLR] qui ont pris la parole hier et avant-hier. Et puis, il y a le recours juridique. Des experts étudient toutes les possibilités.
Vous vous battez aussi pour un moratoire sur l’exploitation des fonds marins, que 32 États, dont la France, ont rejoint. La décision de Trump va-t-elle briser cette dynamique ?
Au lendemain de l’annonce, il y a eu une levée de boucliers de tous les pays de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), même de ceux comme la Chine qui sont pour l’exploitation. C’était un peu le métavers…
Peu importe la position que nous avons sur l’exploitation minière des fonds marins, la violation du droit international est une ligne rouge. Je pense que cette décision des États-Unis peut même renforcer le respect des règles et des institutions.
Mais tous les scénarios sont possibles, vu l’imprévisibilité de Trump et de son administration (notre article). Soit nous transformons la haute mer en Far West, avec une potentielle accélération de la crise climatique, soit les pays qui ont encore quelques chose à faire du droit agissent. Je trouve ça encourageant de voir que des pays comme la Chine se réveillent et soutiennent le multilatéralisme.
Cela fait cinq ans que je travaille sur le sujet : si on devait perdre espoir à chaque déconvenue, l’exploitation aurait déjà démarré depuis longtemps.
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