C’est déjà le plus gros incendie de l’été 2025 et son ampleur est «inédite», selon les mots du premier ministre François Bayrou mercredi 6 août. Les flammes qui ravagent les alentours de Ribaute (Aude) depuis mardi se propagent à une vitesse fulgurante et ont déjà calciné plus de 17 000 hectares de garrigue et de résineux sur quinze communes du massif des Corbières. Toujours actif ce jeudi matin, le feu a coûté la vie à une personne, tandis que 13 autres ont été blessées.
Afin de comprendre les causes de ce feu gigantesque, son lien avec le changement climatique et son impact sur les écosystèmes, Vert s’est entretenu avec Anthony Collin. Enseignant-chercheur au Laboratoire énergies et mécanique théorique appliquée de l’université de Lorraine, spécialiste des incendies et de la propagation du feu, il est aussi expert incendie bénévole auprès du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de Meurthe-et-Moselle.
Pourquoi l’incendie de Ribaute se propage-t-il aussi vite ?
Il y a deux facteurs clés. D’abord, la végétation est sèche – dans le sud-ouest de la France, cela arrive de plus en plus tôt dans l’année. C’est lié à un déficit de pluie. La conséquence, c’est que les végétaux sont plus susceptibles de s’embraser.
Ensuite, il y a le vent. Actuellement, il souffle fort dans l’Aude [Mardi, Météo-France avait placé le département en vigilance rouge aux feux de forêt, notamment en raison des bourrasques, NDLR]. Or, quand des flammes s’attaquent à la végétation et qu’il n’y a pas de vent, elles restent bien droites et toute la chaleur part vers le ciel. Par contre, les flammes s’inclinent dès qu’il y a du vent et cela accélère la vitesse de propagation du feu. C’est pour cette raison que certains incendies dévorent de très grandes surfaces.
Le département de l’Aude est-il particulièrement vulnérable à ces gros incendies ?
Cela fait plusieurs années qu’il y fait très chaud tous les étés et c’est ce qui se passe en ce moment dans l’ensemble du sud-ouest. À cela s’ajoute un manque de pluie, y compris à l’automne, et les végétaux en pâtissent. L’été, beaucoup d’entre eux sont déjà morts bien avant qu’il y ait un incendie. Ceux qui survivent sont très secs : ils deviennent le carburant idéal pour les flammes.
L’an dernier, alors que l’été n’était pas caniculaire, il y a quand même eu d’importants feux de végétation dans ce territoire du sud-ouest.
Peut-on comparer cet incendie à d’autres feux de grande ampleur ?
On peut le comparer aux feux de Landiras qui ont brûlé près de 20 000 hectares [en Gironde, en juillet puis en août 2022]. À l’époque, on disait qu’il s’agissait du plus gros feu depuis 25 ans. À ma connaissance, le feu le plus important que la France ait connu est celui de Cestas [en Gironde également] qui avait ravagé au moins 50 000 hectares en 1949.
Peut-on dire que l’incendie de Ribaute est lié au changement climatique ?
Oui, le changement climatique a nécessairement un impact. Des étés plus chauds, des automnes où l’on manque d’eau… ça n’a rien de normal. Maintenant, dans quelle mesure exactement, c’est difficile à dire pour le moment.
Ce qui est certain, c’est que le changement climatique que nous connaissons est un facteur qui aggrave ce type d’incendies… et qui fait remonter le risque vers le nord du pays : c’est l’exemple de la Bretagne. Il y a eu l’incendie de 2022 dans les monts d’Arrée et, cette année, celui de la forêt de Brocéliande. Ce n’est pas une région où l’on connaissait de gros feux de végétation auparavant.
La France est-elle prête face à la multiplication de ces incendies gigantesques ?
Au niveau de la sécurité civile [l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’État pour protéger sa population, NDLR], je pense que tout est bien rodé. Malheureusement, pour les gros incendies, on doit faire venir des colonnes de renfort d’autres départements, voire d’autres pays : des pompiers européens viennent en France pour nous aider sur ce genre d’événements.
Un autre problème, en particulier dans les Landes, est que certains massifs forestiers sont privés et pas forcément très bien entretenus. Et, comme ils ne sont pas publics, il n’y a pas toujours de voie d’accès pour les pompiers. Dans ces endroits, il n’y a pas assez de prévention faite auprès des propriétaires, c’est notamment pour ça qu’il est difficile d’y accéder pour les secours.
D’une manière générale, il faudrait encore beaucoup communiquer pour que les gens protègent leur habitation des feux de végétation. Par exemple en éloignant les haies des maisons. Si elles sont trop proches, elles risquent de servir de support pour les flammes, qui finiront par se rapprocher au plus près des murs.
Les feux de forêts sont désormais des épisodes récurrents. Nous devons nous y habituer et nous y préparer, y compris d’un point de vue individuel.
Est-ce qu’un département comme l’Aude, qui subit de plus en plus de feux, peut vraiment s’adapter à la multiplication des incendies ?
C’est possible, mais il faut agir à l’échelle de chaque individu : responsabiliser, bien faire comprendre les enjeux et les risques.
Cette année encore, beaucoup de départs de feu ont été dus à des mégots de cigarette en bordure de route. Il y a aussi eu le cas de ce brasero mal éteint, transporté sur une remorque, et qui a déclenché un feu qui ravagé 400 hectares – d’ailleurs, c’était déjà dans l’Aude.
Cela traduit une méconnaissance du risque de la part de la population : tout part d’une petite flamme. Si cette flammèche grandit, ça peut donner un feu gigantesque, comme celui que l’on connait actuellement près de Ribaute.
Quelles sont les conséquences écologiques de ces incendies géants ?
Quand une forêt disparaît dans un incendie, il faut attendre un cycle d’une centaine d’années pour retrouver le même potentiel de biodiversité au sein du massif. Sauf que, en 100 ans, vu ce que nous connaissons actuellement, d’autres incendies auront le temps de grignoter à nouveau la forêt pendant qu’elle repoussera.
Il faut bien comprendre que tout ce qui disparaît à l’heure actuelle, il y a de fortes chances pour qu’on ne le retrouve jamais.
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