Sur la route qui mène aux lacs d’Hostens, au cœur de la forêt landaise, à 40 kilomètres de Bordeaux (Gironde), de grandes étendues clairsemées d’amas de branches calcinées ont remplacé l’imposante pinède. Ici, la forêt porte les stigmates de l’immense incendie de l’été 2022, parti de la commune de Landiras, qui a ravagé plus de 20 000 hectares et réduit la biodiversité à néant.

Plus de deux ans après les feux, les premiers signes du retour de la vie animale et végétale sont perceptibles. Pour accélérer le mouvement, une réserve biologique a été inaugurée par l’Office national des forêts (ONF) et le département de la Gironde, le 12 mars dernier, afin de laisser la nature se régénérer. Le site de 481 hectares sera le témoin du retour des oiseaux, des champignons et des plantes, avec une intervention humaine minimale. Mais les pins maritimes, jusqu’alors omniprésents — et particulièrement inflammables —, ne seront pas replantés pour laisser la nature reprendre ses droits. Sur place, un inventaire de la biodiversité post-incendie vient d’être lancé par une équipe de scientifiques et de forestiers.
Sous la pluie battante d’une matinée de mars, avant que l’orage ne perturbe la visite, la botaniste Margaux Moreto repère un petit champignon sur un bois mort, au bord de l’une des lagunes du Gât Mort, dans le cœur de la nouvelle réserve. «On voit des plantes pyrophiles [qui naissent après le passage des flammes, NDLR] et on commence même à observer des champignons mycorhiziens [qui aident les plantes à se nourrir, NDLR] c’est une bonne nouvelle !» assure-t-elle. Pour cause, c’est autour de ces petits plants d’eau marécageux que la biodiversité s’épanouit le plus.

Au sein du Conservatoire national botanique de Nouvelle-Aquitaine (CNBSA), le rôle de Margaux Moreto sera de cartographier les espèces végétales qui reprennent vie dans la réserve. «Les résultats seront dévoilés en 2027, cela nous permettra d’apporter des pistes de réflexions sur la création de mosaïques paysagères qui seront plus résistantes aux feux», explique-t-elle. Cette dernière traquera les moindres bouts de lichens et de pousses d’arbres, avec le soutien des équipes de l’ONF et d’associations environnementales locales comme la société Linnéenne de Bordeaux, la Cistude et la Locusta.
Richesse insoupçonnée
La réserve est divisée en deux parties, dont l’une dite «dirigée» — où des actions de restauration et de conservation seront menées, comme la régulation des nappes phréatiques et l’abattage d’arbres. Et l’autre, dite «intégrale», où la libre évolution du peuplement forestier sera garantie sans intervention humaine. «À l’heure où nous assistons aux délires de spatio-transhumanistes [des personnes obnubilées par la conquête spatiale et l’utilisation de la science pour décupler les capacités humaines, NDLR], une réserve biologique, c’est l’occasion de revenir sur Terre», a souligné sur place Jean-Luc Gleyze, le président (Parti socialiste) du département de la Gironde, à l’origine de la démarche.
Au cœur de la forêt artificielle la plus étendue de France — plus d’un million d’hectares —, où l’industrie du pin maritime est reine et où les parcelles d’arbres sont rasées, valorisées et replantées tous les 40 ans, se cache une biodiversité d’une richesse insoupçonnée. Une abondance d’espèces liée à l’héritage des landes humides — qui existaient ici avant que Napoléon III n’impose, au 19ème siècle, la monoculture des pins maritimes.

Caropsis de Thore, lycopode inondé, rossolis à feuilles rondes, spiranthe d’été, trompette de Méduse… Pas moins de 17 espèces florales protégées sont répertoriées dans la réserve. Et la faune n’est pas en reste, avec la présence de la loutre d’Europe et du murin à oreilles échancrées (pour ce qui est des mammifères) ou de la fauvette pitchou et de l’aigrette garzette (chez les oiseaux d’eau). «Nous sommes sur un site exceptionnel en termes de biodiversité», salue Sébastien Gendry, directeur de l’agence Landes/Nord-Aquitaine de l’ONF.
La résilience, le maître mot
Sur ce territoire encore traumatisé par l’incendie, le rapport à la nature et l’urgence de la protéger se sont renforcés chez les habitant·es et les élu·es. «Il est indispensable que nous poursuivions le travail d’acquisition de connaissances, afin que nos plans de gestion soient à la hauteur des évolutions à venir, mais surtout adaptés aux êtres vivants avec lesquels nous cohabitons ici», pointe le président du département, Jean-Luc Gleyze.
Or, ce n’est pas la première fois que la nature doit se relever et faire preuve de résilience à Hostens. Aujourd’hui, l’endroit est connu pour être un domaine de loisirs prisé des vacanciers qui fuient les plages bondées de la côte Atlantique. Mais, entre 1933 et 1963, c’était un site d’extraction à ciel ouvert de lignite — un charbon de basse qualité. L’abandon des grandes fosses d’extraction a donné naissance à des multiples lacs. Et, pendant plus de deux ans après le passage des flammes, le lignite encore présent dans le sous-sol continuait de s’embraser, laissant s’échapper d’impressionnantes volutes de fumée.

Le conservateur de la réserve, Guillaume Carnier, veille au grain. «Nous n’observons plus de fumoir depuis des mois, nos relevés hebdomadaires par drones sont très encourageants. Par chance, il n’y avait pas de grandes galeries de lignite, mais seulement de petites poches», explique-t-il. Certains espaces du domaine, pas encore sécurisés à cause du risque de chutes d’arbres, demeurent tout de même fermés au public.
L’arbre qui cache la forêt
Mais la création de réserves biologiques est-elle suffisante pour protéger la biodiversité ? Les associations qui défendent la forêt saluent la démarche, mais la trouve limitée. «Ici, on ne protège qu’une fraction des espèces sur le plateau landais. Il vaudrait mieux prendre en compte la biodiversité dans la gestion forestière et l’aménagement du territoire», souligne Alexis Ducousso, membre de la commission «Forêt» de la Sepanso — une association incontournable de protection de l’environnement dans la région.
«On voit aussi beaucoup d’îlots de feuillus coupés à blanc et convertis en pinède, alors qu’il faudrait les préserver. La prise de conscience de la diversification des essences n’est pas assez forte», regrette-t-il. «C’est une démarche louable d’un point de vue scientifique, mais se contenter d’une sylviculture à deux vitesses, entre un modèle très intensif et des îlots de biodiversité, ce n’est pas satisfaisant», estime quant à lui Christophe Chauvin, pilote du réseau forêt chez France nature environnement.
En creux, c’est la toute-puissance de la sylviculture et de l’impératif de rentabilité des grands propriétaires fonciers qui est visée. De fait, après les incendies, les plantations de pins à grande échelle ont repris dans la région. «Pour lutter contre les risques induits par la monoculture, il faut fragmenter le paysage et responsabiliser tous les usagers, défend Christopher Carcaillet, chercheur spécialisé dans la résilience des écosystèmes face au changement climatique. Il faut donc impliquer les gros groupes industriels dans la conservation et les convaincre que ce mode de gestion excessive est un risque pour leur propre économie.» La mise en place d’instances de dialogue entre citoyen·nes, industriels, élu·es et le monde de la recherche pourraient constituer une première piste, alors que le réchauffement climatique accroît le risque d’incendies géants.
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