Reportage

Deux ans après les incendies, comment habiter la forêt des Landes ?

En 2022, au cours de l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe, deux incendies ravageaient une partie de la forêt des Landes de Gascogne, dont 20 000 hectares en deux mois. Deux ans plus tard, habitant·es, forestiers et chercheur·ses tentent de tirer les leçons du drame et racontent comment la vie continue au milieu des cendres.
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Dès qu’on passe la porte, on sent l’odeur du neuf. Deux ans jour pour jour après l’incendie de leur maison, Corinne et Christophe Videaud ont pu enfin emménager dans leur nouveau chez eux. «On a tout refait presque à l’identique, mais en mieux», sourit Christophe, dans sa cuisine flambant neuve. Le 12 juillet 2022, un premier incendie démarre à Landiras, dans le sud de la Gironde, avant de reprendre début août. Grâce aux services de secours, le feu ne fera aucune victime humaine, mais brûlera près d’un million d’arbres et 19 maisons.

Christophe et Corinne Videaud dans leur jardin encore marqué par les flammes, deux ans après l’incendie. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Vert

De leur ancienne maison, tout est parti en fumée, à l’exception de deux ou trois meubles et quelques photos retrouvées dans les décombres. Pendant deux ans, le couple a vécu en camping-car puis dans une maison de location payée par l’assurance. Les souvenirs ont brûlé avec la maison, mais Corinne et Christophe n’ont qu’une hâte : en reconstruire d’autres. «Être triste ? Pourquoi ? On a bien assez pleuré !», relativise Christophe. «Maintenant qu’on a notre maison, il faut aller de l’avant.»

Vivre dans les cendres

Dans le jardin, l’incendie a laissé quelques traces de son passage ; celles qu’on veut garder pour ne pas oublier, comme cette bouteille de gaz éventrée qui a explosé avec le feu. Et celles qu’on ne choisit pas : chaque matin, le couple se réveille avec des arbres noircis en paysage. «Ma maison a été reconstruite, mais jamais je ne reverrai la forêt que j’ai connue», souffle Corinne.

Autour de Landiras, les stigmates sont toujours là : le long de la route entre Hostens et Guillos, des rangées d’arbres calcinés alternent avec des grumes empilées. Mais ici, on a appris à vivre dans les cendres. Ce nouveau décor et le traumatisme des habitants ont attiré l’attention d’un collectif de chercheur·ses en sciences humaines et sociales, qui a mené à un projet de recherche-action baptisé «Habiter les cendres». «On a cherché à comprendre comment on se reconstruit dans un territoire en cendres, et comment on se projette quand la forêt n’est plus la même», explique Arthur Guérin-Turcq, doctorant en géographie qui a coordonné le programme de recherche-action. Les chercheur·ses ont d’abord été surpris d’observer que la quasi-totalité des habitant·es sont revenu·es vivre dans la région. «On s’est demandé “pourquoi rester alors que tout a brûlé ?”. On a compris qu’il y avait l’attachement au territoire. Rester, c’est aussi faire face. Il y a eu un incendie, mais il y a une repousse, la vie reprend.»

Autour de Guillos, la quasi-totalité de la forêt a brûlé. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Vert

D’après les chercheurs, les incendies de 2022 ont aussi profondément changé la façon dont les habitant·es appréhendent la forêt. «L’un des principaux résultats de l’étude est que les habitants ont pris conscience que la forêt pouvait brûler. Avant, ils n’étaient pas conscients du danger», poursuit Arthur Guérin-Turcq. Christophe Videaud le reconnaît : même en vivant au cœur de la forêt, il ne pensait pas aux incendies. Corinne, elle, a toujours eu peur du feu. «J’y avais déjà pensé, et j’y pense toujours.»

«On a combattu un monstre ensemble»

Les incendies ont aussi créé une solidarité entre habitant·es, qui vit toujours aujourd’hui. Thierry Carreyre est président de la Défense des forêts contre les incendies (DFCI) de Landiras depuis 20 ans. Tout l’été 2022, pompiers, bénévoles de la DFCI et agriculteurs se retrouvaient sur la petite place devant chez lui pour remplir les citernes d’eau et se ravitailler. «Pendant deux mois, on a vécu ensemble 7 jours sur 7. Après les feux, ça nous manquait, on s’appelait tout le temps ! On a combattu un monstre ensemble. Ça nous a soudé.» L’an dernier, celles et ceux qui ont lutté contre l’incendie ont planté un pin parasol sur cette petite place, en souvenir des événements, et pour que la vie reprenne dans la forêt.

Le feu a épargné les vignes de Thierry Carreyre, mais pas ses parcelles de forêt. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Vert

Viticulteur de métier et sylviculteur «passionné», Thierry Carreyre a sauvé ses vignes, mais a perdu une soixantaine d’hectares de forêt dans l’incendie. Comme la plupart des propriétaires forestiers, il attend les aides de l’État pour reboiser ses parcelles. «On a déposé les dossiers, il y a des promesses, mais on attend encore les fonds.» Le reboisement de la forêt des Landes entre dans le cadre du plan France 2030, dont les aides devraient être versées aux propriétaires à la rentrée. En attendant, le sylviculteur est confiant, mais amer : «Ce feu a déréglé toute la biodiversité de la forêt. Des maladies comme la rouille sont apparues, la fougère a du mal à se reconstituer… Le feu laissera des traces.»

Des patrouilles pour prévenir les feux

Pour ne pas oublier l’été 2022, des «mercis» aux pompiers décorent encore les murs des villages et les fenêtres de voitures. La place principale de Guillos a été renommée en souvenir des incendies. Pour autant, certains habitants semblent être passés à autre chose. «Aujourd’hui, je ne sais pas si les gens se sentent encore concernés», s’attriste Mylène Doreau, la maire de Guillos. «Le 12 juillet dernier, on a organisé une commémoration sur la place où les pompiers ont vécu pendant un mois. Pas plus de dix habitants de Guillos étaient présents. Peut-être qu’ils ne veulent plus en parler, ou qu’ils ont oublié.»

Des messages de remerciements aux pompiers décorent encore les murs de Guillos. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Vert

Pour d’autres, la mémoire des feux doit surtout servir à ce qu’un tel drame ne se reproduise plus. «Les incendies girondins de 2022 ont été le déclencheur d’une prise de conscience du risque d’incendie au plus haut niveau de l’État», soutient Pierre Macé, directeur de la DFCI Aquitaine, qui regroupe les DFCI locales, des associations de propriétaires forestiers œuvrant pour la protection des forêts. En octobre 2022, le gouvernement a lancé un vaste plan d’investissement sur la lutte et la prévention des feux de forêt. Des aides qui se traduisent par des actions concrètes, sur le terrain : en tant que président de la DFCI locale, Thierry Carreyre coordonne une armée de bénévoles qui patrouillent quotidiennement et gratuitement, pour prévenir les futurs feux. «En cas de comportement suspect, d’un véhicule stationné dans la forêt, les bénévoles prennent une photo et l’envoient directement aux gendarmes via une application dédiée», explique-t-il.

La protection de la forêt, Thierry Carreyre l’a presque dans le sang. «Mon grand-père le faisait, mon père aussi. Pour moi, protéger la forêt, c’est une passion.» Mais la passion se heurte parfois à l’impression de se battre seul : «Ça fait des années qu’on n’a pas fait le nécessaire pour ne pas avoir d’incendie. Les mairies ont donné des permis de construire à tout-va, sur des petits terrains en pleine forêt, et rien n’est fait pour débroussailler.»

Une loi de prévention et de lutte contre les mégafeux, promulguée en juillet 2023, prévoit pourtant l’obligation pour les habitant·es en bordure de forêt de débroussailler sur un périmètre de 50 mètres autour de chez eux, sous peine d’amende. Une mesure à l’effet mesuré, en tout cas pour l’instant : «Je n’ai rien vu passer par rapport à cette loi», s’étonne la maire de Guillos. Et qui se heurte à un autre problème, résumé par Arthur Guérin-Turcq : «Si je tonds bien chez moi mais que le jardin d’à côté est en friche, ça ne sert à rien. Pour que ça marche, tout le monde doit le faire.» À Guillos, Corinne et Christophe ont promis d’élaguer chez eux. Mais sur le terrain qui longe leur jardin, d’où le feu est arrivé, Corinne en est certaine : «Personne n’est encore venu débroussailler».

Un reportage d’Amandine Sanial.

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