Décryptage

Face aux sécheresses et aux incendies qui se multiplient, comment les forêts feront-elles face au bouleversement du climat ?

Comme l'attestent les incendies-monstres qui ravagent toujours la Gironde, les forêts françaises sont mises à rude épreuve et la situation se détériore à mesure que le changement climatique s'intensifie. Face à cela, quelles solutions pour améliorer leur résilience ? Tour d’horizon. 
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Gueule de bois. Les deux incendies qui ont com­mencé le 12 juil­let en Gironde sont tou­jours en cours. L’un, à La Teste-de-Buch sur le bassin d’Arcachon, s’é­tend désor­mais sur 7 000 hectares. Le sec­ond, dans les ter­res près de Landi­ras, dépasse 13 000 hectares, quand la moyenne annuelle au niveau nation­al se situe générale­ment entre 10 000 et 20 000 hectares. Ces derniers jours, le feu s’at­taquait aus­si aux forêts de la Sarthe, de la Savoie, des Bouch­es-du-Rhône, des Yve­lines. Alors que la France recense 16,9 mil­lions d’hectares de forêt sur son ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain, elle déplore, pour l’heure, moins d’incendies-record que ses voisins comme l’Es­pagne, avec 178 234 hectares brulés en 2017 ou le Por­tu­gal avec 540 630 hectares la même année.

Près du bassin d’Ar­ca­chon, nul ne sait jusqu’où les flammes avanceront. Après des mois de déficit hydrique, le vent les attise tou­jours. Alors que l’o­rig­ine de ces deux feux sem­ble être un véhicule en panne sur une route forestière et un « acte volon­taire­ment malveil­lant », la ges­tion de la forêt la Teste-de-Buch a rapi­de­ment été incrim­inée. Plusieurs arti­cles (ici ou ) font le point sur une sit­u­a­tion plus com­pliquée que ces déc­la­ra­tions à l’emporte-pièce. À moyen terme, quelle sera la résilience des forêts français­es face au dérè­gle­ment cli­ma­tique ? 

Les bois qui ont brûlé dans le sud-ouest sont en majorité con­sti­tués de pins mar­itimes. « Le mas­sif landais est essen­tielle­ment arti­fi­ciel, c’est l’un des plus grands d’Europe, avec une fonc­tion de pro­duc­tion de bois », détaille à Vert Bernard Prévos­to, ingénieur spé­cial­iste de l’écologie des forêts méditer­ranéennes à l’Institut nation­al de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). « À l’époque où ces pins ont été plan­tés, l’idée était de drain­er les sols avec des arbres qui poussent rapi­de­ment », com­plète Jonathan Lenoir, chercheur en écolo­gie au CNRS.

Vue de la forêt cal­cinée de Landi­ras (Gironde) le 18 juil­let 2022. © Idhir Baha / Hans Lucas / AFP

Du vent, des tem­péra­tures très élevées et un déficit hydrique impor­tant depuis le début de l’année ont asséché une végé­ta­tion déjà frag­ilisée par les tem­pêtes de 1999 et 2009. Avec le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il ne fait pas de doutes que ces sit­u­a­tions se répèteront et les feux seront plus fréquents et plus intens­es. En libérant le car­bone stocké depuis des années dans les arbres et les sols, les incendies peu­vent encore accélér­er la hausse des tem­péra­tures. « Le prob­lème de nos forêts français­es et européennes va être le risque de sécher­esse et son corol­laire, les incendies, qui vont remon­ter vers le nord », pour­suit Bernard Prévos­to. Pour lui, le volet de préven­tion pour lim­iter les départs de feu est pri­mor­dial.

Mieux vaut prévenir que guérir

Le Sénat a d’ailleurs lancé en juin une mis­sion d’information sur « le con­trôle relatif à la préven­tion et à la lutte con­tre l’intensification et l’extension du risque incendie ». Il devrait ren­dre ses con­clu­sions début août. Pour Anne-Cather­ine Loisi­er, co-rap­por­teure cen­triste de la mis­sion inter­rogée par Pub­lic Sénat, « les forêts entretenues sont les plus résilientes. Ren­forcer la ges­tion et la sur­veil­lance à l’échelle de chaque mas­sif foresti­er, c’est le meilleur moyen de pro­téger la forêt et les habi­ta­tions ». Encore faut-il savoir de quoi on par­le. « Qu’est-ce qu’on met der­rière le mot “entre­tien” ? Enlever tout le bois mort ? Mais la forêt en a besoin. Si “gér­er” la forêt, c’est la sim­pli­fi­er en met­tant des mono­cul­tures de pins mar­itimes ou d’eu­ca­lyp­tus, on n’est pas d’ac­cord du tout », souligne Syl­vain Angerand, ingénieur foresti­er et directeur des cam­pagnes de l’as­so­ci­a­tion Canopée — Forêts vivantes.

Le débrous­sail­lage à prox­im­ité des zones boisées est déjà oblig­a­toire dans les zones exposées à un risque d’in­cendie autour des con­struc­tions et des voies d’ac­cès. « Il faut éviter le départ de feu en rai­son de fac­teurs humains, donc net­toy­er autour des habi­ta­tions, fer­mer l’ac­cès aux mas­sifs. Mais dans des con­di­tions extrêmes, quel que soit le type de ges­tion, un incendie part avec la moin­dre étin­celle et vous ne pou­vez rien y faire », pointe encore Syl­vain Angerand, audi­tion­né par le Sénat la semaine dernière.

D’autres travaux peu­vent être entre­pris pour lim­iter la prop­a­ga­tion au cas où l’in­cendie se déclare. « Il faut com­par­ti­menter, aér­er, créer des rup­tures du con­tin­u­um foresti­er », indique Bernard Prévos­to. Afin d’éviter que la forêt ne soit « abattue en urgence et qu’on décape la matière organique », comme cela se passe aujour­d’hui avec la réal­i­sa­tion de coupe-feux en urgence. La solu­tion n’é­tant pas les coupes ras­es — qui con­sis­tent à couper la total­ité des arbres d’une par­celle -, si néfastes pour la bio­di­ver­sité et générale­ment suiv­ies de plan­ta­tions en mono­cul­ture (une seule espèce), l’e­space devrait être « amé­nagé avec des vignes ou des espaces agri­coles, pour lim­iter l’intensité du feu ». « Dans un con­texte sta­ble et avec des objec­tifs économiques de court terme, la mono­cul­ture marche. Mais aujour­d’hui, l’hétérogénéité des espèces, des class­es d’âge et des habi­tats doit être prise en compte. Il serait par exem­ple intéres­sant de réfléchir à d’autres straté­gies de stock­age du car­bone moins sus­cep­ti­bles d’être affec­tés par des incendies comme les tour­bières et les zones humides qui étaient fréquentes dans le passé », com­plète Jonathan Lenoir.

« On ne peut pas gagner sur tous les tableaux »

« On peut aus­si peut faire des éclair­cies mod­érées, enlever cer­tains indi­vidus pour réduire la den­sité et la com­péti­tion hydrique et que les arbres soient dans de meilleures con­di­tions de crois­sance », con­tin­ue Bernard Prévos­to. Il insiste sur la néces­sité de « favoris­er la diver­sité des essences. Plus les sys­tèmes sont divers, plus ils sont résilients aux risques de sécher­esse, moins ils sont soumis aux attaques de ravageurs. Et la résilience post-feu est plus impor­tante égale­ment ».

Mais l’équili­bre n’est pas facile à trou­ver. « Sur le plan de la bio­di­ver­sité, la libre évo­lu­tion [laiss­er les forêts se débrouiller seules, NDLR], avec de très gros indi­vidus et du bois mort, c’est très impor­tant. Le risque, c’est que les dif­férents étages de bois per­me­t­tent au feu d’atteindre le haut des arbres », explique le spé­cial­iste, qui résume : « on a un com­pro­mis à faire entre les dif­férents types de ges­tion. Mais il est vrai que bio­di­ver­sité et lutte con­tre le feu ne se mari­ent pas bien. On ne peut pas gag­n­er sur tous les tableaux ».

Alors que les risques sont en aug­men­ta­tion et qu’« il y a une inquié­tude face aux coups de butoir du change­ment cli­ma­tique », il estime qu’« il va sans doute fal­loir expéri­menter, tester des choses, peut-être pren­dre des risques dans notre ges­tion. Par exem­ple accélér­er la migra­tion et remon­ter des espèces du sud vers le nord ». Une option à ne pas nég­liger pour Jonathan Lenoir, à con­di­tion de le faire « de manière réfléchie ». « C’est dif­férent d’im­planter gradu­elle­ment du chêne-liège ou pubes­cent, ou bien des espèces exo­tiques qui s’avèreront peut-être envahissantes. On n’a pas for­cé­ment besoin d’aller chercher très loin », ajoute-t-il.

« Il faut débattre »

Syl­vain Angerand met en garde con­tre une pos­si­ble instru­men­tal­i­sa­tion du dis­cours à pro­pos des incendies sur le mode : « Paniquons : il faut entretenir les forêts ! ». Pour lui, l’un des dan­gers serait alors l’ex­ten­sion du mod­èle landais, avec des pins mar­itimes résis­tants à la sécher­esse qui rem­pla­cent des feuil­lus, sous l’im­pul­sion de grandes coopéra­tives forestières. Insis­tant sur la néces­sité de pren­dre en compte aus­si la résis­tance aux mal­adies, aux tem­pêtes ou aux gelées tar­dives, il s’in­ter­roge : « Peut-on “con­stru­ire” une forêt ? Aura-t-on besoin d’intervenir pour l’adapter au change­ment cli­ma­tique ? Il faut débat­tre. On se prend un rouleau com­presseur avec l’ar­gu­men­taire selon lequel “si l’homme n’in­ter­vient pas, la forêt ne pour­ra pas s’adapter”. On relégitime une forme d’in­ter­ven­tion­nisme fort en forêt. Et cela me tiraille. La réponse n’est pas sim­ple, mais aujourd’hui, ceux qui tien­nent ce dis­cours inter­ven­tion­niste sont sou­vent les pro­mo­teurs des mono­cul­tures », alerte-t-il.

Selon lui, « des mesures con­traig­nantes en faveur de la bio­di­ver­sité », doivent être adop­tées. Il sug­gère d’« impos­er un vrai inven­taire de la bio­di­ver­sité, un volet sur l’adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique et au risque incendies dans les plans de ges­tion ». Si les forêts com­mu­nales sont gérées par l’Office nation­al des forêts (ONF), la grande majorité des forêts du pays sont privées. Au-dessus de 25 hectares, les pro­prié­taires sont soumis à des plans sim­ples de ges­tion (PSG) qui enca­drent les coupes et les travaux, mais sont prin­ci­pale­ment ori­en­tés vers la pro­duc­tion du bois. « Pour lim­iter le risque et ne pas arriv­er aux scé­nar­ios extrêmes, la pre­mière des choses à faire, c’est de dimin­uer nos émis­sions de gaz à effet de serre. Mais en forêt, on est loin du compte, déplore Syl­vain Angerand. On est en train de faire des coupes ras­es, de dés­tock­er du car­bone et de sabot­er le poten­tiel d’atténuation de la forêt française. »