C’est une «COP» méconnue en comparaison de ses cousines du climat, de la biodiversité ou même de la désertification. Organisée tous les trois ans, la conférence mondiale («COP», dans le jargon diplomatique) sur le commerce international des espèces sauvages permet pourtant des avancées très concrètes pour la protection du monde animal et végétal.
Sa 20ème édition, qui s’est tenue à Samarcande (Ouzbékistan) du 24 novembre au 5 décembre, n’a pas dérogé à la règle. «C’est une bonne COP, salue Charlotte Nithart, présidente de l’association de protection de l’environnement Robin des bois, qui a assisté aux négociations. Une quarantaine de groupes d’espèces ont vu leur protection améliorée.»

Dans le détail, 77 nouvelles espèces font leur entrée dans l’une des trois annexes de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (la «Cites»). Cet accord signé par 185 pays permet le contrôle, voire l’interdiction, du commerce d’animaux ou de végétaux en déclin. Des dizaines d’autres espèces déjà inscrites dans le texte ont par ailleurs vu leur statut de protection renforcé ces deux dernières semaines. Selon leur niveau de menaces, elles peuvent passer dans l’annexe III, II, ou I – cette dernière étant la plus restrictive.
Avancées timides sur le pernambouc et coup de fil d’Emmanuel Macron
C’était l’un des dossiers chauds de cette COP20 : comment protéger le pernambouc, cet arbre brésilien au bord de l’extinction, mais dont le bois est utilisé depuis des siècles pour la fabrication d’archets de violons et autres instruments à cordes ? Malgré une forte mobilisation du monde de la musique (notre article), un quota zéro d’exportation a été mis en place pour les spécimens prélevés à l’état sauvage. Désormais, ce bois précieux ne peut donc plus passer les frontières des pays signataires, y compris lorsqu’il s’agit de cargaisons d’archets finis.
«Cette annotation équivaut à une interdiction du commerce international», explique l’association Robin des bois. Du pernambouc issu de pépinières pourrait théoriquement être autorisé, mais les arbres plantés n’arriveront à maturité que dans plusieurs décennies. En dépit de la volonté du Brésil – qui a finalement retiré sa proposition après qu’Emmanuel Macron a appelé le président Lula – l’espèce reste classée dans l’annexe II, moins restrictive que la première annexe. Les musicien·nes professionnel·les craignaient qu’un passage en annexe I pose problème pour le passage des frontières lors des tournées mondiales de violonistes avec leurs archets personnels.
Bonne nouvelle pour les requins, coup dur pour les anguilles
La COP20 de Samarcande a également acté un vaste renforcement de protection pour plus de 70 espèces de requins et de raies. Consommés pour leur viande et leurs ailerons, les requins hâ et émissoles font par exemple leur entrée pour la première fois dans les annexes de la Cites. Le commerce international de raies manta, de requins océaniques ou encore de requins-baleines (le plus gros poisson au monde) est désormais totalement interdit.

«Ces adoptions marquent une étape supplémentaire pour la protection de la biodiversité marine, salue Cécile Erny, vice-présidente de la branche française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Mais, sur les espèces aquatiques, nous sommes déçus pour les espèces d’anguilles, qui étaient proposées pour entrer dans l’annexe II, ce qui a malheureusement été refusé.» Très prisées pour la nourriture en Asie, les jeunes anguilles (appelées civelles) font l’objet d’un important trafic international – notamment depuis les rivières françaises. La proposition de l’Union européenne, du Panama et du Honduras de restreindre ce commerce a été largement rejetée.
Première historique pour les grenouilles (et leurs cuisses)
Principalement capturées en Europe de l’Est et en Asie centrale, les grenouilles du genre Pelophylax ont été inscrites dans l’annexe II. C’est-à-dire que toute personne souhaitant exporter l’un de ces animaux devra désormais obtenir une autorisation de la part du pays d’origine. «L’idée est d’empêcher les prélèvements dans la nature, qui nuisent à la conservation des espèces, éclaire Cécile Erny. Si les grenouilles viennent d’un élevage légal et durable, elles pourront faire l’objet d’une autorisation, mais ce qui supposera aussi une traçabilité.»
«C’est la première fois qu’un bastion historique de la culture française et de la gastronomie européenne est rattrapé par la vigilance sur les espèces en voie d’extinction», s’est félicitée l’association Robin des bois, qui soutenait la mesure. Ces grenouilles sont notamment ciblées pour le commerce de leurs cuisses, dont la France est le premier consommateur au monde. «Le consommateur en mange sans savoir que ce sont des grenouilles de Turquie ou de Syrie, détaille Charlotte Nithart. Ce classement va améliorer la traçabilité.»
Cocotier du chili, iguanes des Galapagos et concombres de mer
Au cours de négociations, des dizaines d’autres animaux et végétaux ont rejoint le cortège des plus de 35 000 espèces protégées dans le monde par la Cites. Citons par exemple l’okapi – ce ruminant aux jambes rayées qui ne vit qu’en République démocratique du Congo –, le cocotier du Chili (prisé pour sa sève ou comme plante ornementale) ou encore plusieurs calaos africains, oiseaux reconnaissables à leurs becs casqués.

Iguanes des Galapagos, vipères éthiopiennes, geckos à queue en feuille… Des avancées ont également été obtenues pour certaines espèces endémiques (qui ne vivent que dans une zone géographique précise). «Les pays concernés n’ont jamais autorisé leur exportation, et pourtant leur commerce est constaté au niveau international», regrette Cécile Erny. Leur inscription dans les annexes de la Cites va, selon elle, permettre un meilleur contrôle de ce trafic illégal.
Les plus de 150 États présents à Samarcande se sont également opposés au déclassement de certaines girafes, notamment braconnées pour leurs os (qui servent de substitut à l’ivoire). Mygales, concombres de mer, serpent à sonnette… d’autres espèces se sont en revanche vu refuser leur entrée dans les annexes de la Cites.

D’autres encore en ont été définitivement retirées, à l’image de l’antilope bontebok, qui souffre notamment de la chasse sportive en Afrique du Sud : «C’est un recul de la protection, mais cela veut aussi dire que l’espèce se porte mieux dans la nature», rassure Cécile Erny. La prochaine COP sur le commerce des espèces sauvages se tiendra en 2028 au Panama.