La Conférence mondiale sur la désertification qui se tient à Riyad (Arabie Saoudite) jusqu’à ce vendredi 13 décembre, a accueilli, en parallèle des négociations principales, un évènement sur la Grande Muraille Verte. Scientifiques et politiques s’y sont retrouvé·es pour discuter des recherches en cours sur ce projet pharaonique.
Pourquoi une Grande muraille verte au Sahel ?
Au Sahel, territoire aride et semi-aride au sud du Sahara, 30% des terres cultivables sont actuellement dans un état de dégradation avancée, selon l’Agence française du développement. À l’échelle du continent africain, c’est 45% de la surface qui subit des phénomènes de désertification.
La détérioration des sols correspond à une diminution de leur richesse biologique, il ne s’agit pas d’une avancée du désert sur des terres arables comme on l’entend souvent. Cet appauvrissement provient de plusieurs facteurs parmi lesquels les activités humaines (coupe de bois, activités agricoles, implantation d’habitations). Au Sahel, la population augmente de 3%, ce qui accroît certaines pressions sur l’environnement. Une fois les sols mis à nus, l’érosion par le vent accroît leur dégradation.
Le changement climatique est également en cause. Il provoque une saison sèche plus longue sur le territoire. «Les pluies sont plus courtes et plus intenses, ça ne permet pas de restaurer les sols sur un territoire déjà fragilisé», explique à Vert Priscilla Duboz, anthropologue et ingénieure de recherche au CNRS.
«On observe par satellites une sorte de reverdissement du Sahel, mais il se fait par tâches et il y a tout de même une perte de biodiversité car tous les arbres ne repoussent pas», décrypte la chercheuse. Certaines espèces dont le bois sert à construire les cases, ou certaines plantes médicinales utilisées par les populations locales ont par exemple disparu.
En quoi consiste le projet ?
Une bande d’arbres de près de 8 000 kilomètres de long et d’environ quinze kilomètres de profondeur, plantée du Sénégal jusqu’à l’Éthiopie. C’est à l’origine ce à quoi devait ressembler le projet de la Grande muraille verte (GMV) lancé en 2007 à l’initiative de onze pays (Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria, le Tchad, le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie et Djibouti). Le tracé de la GMV n’a pas toujours été fondé uniquement sur des faits scientifiques, il a aussi été le fruit de décisions plus politiques.
Au début des années 2000, le projet se concentrait sur le reboisement de parcelles fermées par des clôtures. Des pépinières accueillent notamment des espèces locales telles que l’acacia senegal ou des balanites aegyptiaca. Pierre Hiernaux, ancien ingénieur agronome et membre du comité scientifique sur la désertification revient pour Vert sur les origines de la Grande muraille verte : «très souvent, les services forestiers organisaient les plantations sur des zones au statut communautaire, donc il y avait une forme d’appropriation des terres». Les éleveurs n’y avaient plus accès.
Les recherches et politiques de reforestation ont longtemps considéré que les populations d’éleveurs participaient activement à la dégradation des sols du fait d’un surpâturage. Or, plusieurs études ont montré que la pratique de l’élevage au Sahel n’était pas un facteur principal de détérioration de l’environnement, au contraire. Priscilla Duboz insiste : «les éleveurs ont une connaissance aiguë de leur environnement, de son renouvellement ou pas, ce sont eux les spécialistes, leur mode de vie n’est absolument pas incompatible avec la restauration écologique.»
Aujourd’hui, le programme de la GMV relève davantage d’un projet de développement agricole durable. Il a ouvert certaines parcelles aux éleveurs qui peuvent y faucher de la paille pour nourrir leurs troupeaux et vendre le surplus. Le reboisement est moins prioritaire et les financements de projets d’agriculture sylvo-pastorale pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté ont été renforcés.
Déjà, à partir de 2008, au Sénégal, la GMV avait permis de soutenir de premiers jardins polyvalents, d’autres ont ensuite essaimé jusqu’à être une vingtaine. Leur objectif consiste à mettre en place des activités de maraîchage par et pour les femmes afin de leur assurer un revenu plus régulier.
Différentes initiatives agricoles se sont développées depuis, en partenariat avec des instances telles que l’Organisation des Nation unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), l’Agence française du développement ainsi qu’avec des ONG locales.
Certaines techniques traditionnelles ont été valorisées grâce à ces projets, à l’image du zaï. Il consiste à creuser un trou, y déposer de la matière organique puis planter à ces endroits-là pour enrichir le sol.
Parmi les nouvelles orientations, outre la plantation il s’agit d’«entretenir les végétaux existants, réhabiliter les terres en améliorant l’infiltration de l’eau dans le sol, pratiquer l’agroforesterie», explique à Vert Oumarou Malam Issa, chercheur en sciences du sol à l’Institut français de recherche sur le développement (IRD).
Est-ce que ça marche ?
Sur l’objectif de 100 millions de terres à restaurer d’ici à 2030, seuls quatre millions l’étaient en 2020. En 2019, 72 450 hectares étaient plantées selon un bilan officiel. De nouveaux financements internationaux (18 milliards de dollars) ont été engagés l’année suivante dans le cadre du One planet summit pour «accélérer» les actions de la GMV selon le souhait de la France qui participe aux financements. Une volonté d’efficacité qui n’est pas compatible avec le temps long que nécessitent ces changements structurels et la restauration écologique, souligne une étude publiée dans la revue Ecology and Society.
C’est davantage la gestion de ces fonds, l’instabilité politique de plusieurs zones et le manque de coordination entre les pays qui expliquent les résultats mitigés à six ans du bilan fixé par la coalition panafricaine.
Amadou Hamath Diallo, socioanthropologue et enseignant à l’Université Cheikh Hamidou Kane de Dakar (Sénégal) rappelle que la durée de vie des projets est conditionnée à l’implication des populations dans leur mise en œuvre. «On a constaté des cas où des clôtures étaient détruites par les populations clandestinement», rapporte-t-il.
Il note toutefois que «certaines initiatives de jardins polyvalents au Sénégal ou au Tchad sont efficaces, au Niger, on observe un reverdissement clair au nord de Niamey… les choses se mettent en place».
Des pistes d’amélioration : mieux inclure les populations
Amadou Hamath Diallo plaide pour une plus grande inclusion des habitant·es dans les différentes actions de la GMV. «Depuis le fondement du projet, la reforestation doit allier bénéfices environnementaux et sociaux, mais les préoccupations des populations n’ont pas été assez prises en compte», explique-t-il à Vert.
C’est parce que les populations locales sont les premières concernées par cette désertification qu’elles doivent davantage être associées aux décisions : où planter et que planter ? Plusieurs études ont montré la nécessité de mieux intégrer les savoirs des populations locales aux recherches sur les sols pour en améliorer la fertilité.
Le jardin polyvalent par exemple, est une bonne idée s’«il n’y a pas de mise en concurrence des usages de l’eau», précise Amadou Hamath Diallo. Dans certains jardins, les plantes séchaient «car elles ne sont pas la priorité, on l’utilise d’abord pour les humains et pour abreuver les bêtes». Récemment, dans un des jardins, «ils ont installé un point d’eau autonome qui n’est pas celui du village» pour y remédier.
Si aujourd’hui, les parcelles destinées à la plantation d’arbres, autrefois clôturées, sont ouvertes au pâturage, «certains couloirs de transhumance [le déplacement saisonnier des éleveurs et de leurs bêtes NDLR] sont encore obstrués alors qu’il s’agit des itinéraires ancestraux», relève Amadou Hamath Diallo. «Les initiatives ne sont pas calquées sur les réalités locales», déplore le chercheur.
Il prend l’exemple de la tentative d’intensification de l’élevage avec des plantations fourragères pour nourrir les animaux. «L’eau pour les faire pousser coûte trop cher donc ce n’est pas viable, explique-t-il, la transhumance correspondait déjà à une forme d’adaptation aux ressources limitées».
Autre piste d’amélioration, proposée par les chercheurs sur place : adapter davantage les actions à chaque territoire plutôt qu’appliquer une même méthode sur l’ensemble de la zone.
Malgré les nombreux efforts qu’il reste à faire pour mieux inclure les populations aux prises de décision, pour Priscilla Duboz, «arriver à faire ce projet sur des territoires sahéliens soumis à autant de pressions climatique, économique et politique reste exceptionnel, on a pas encore trouvé la solution mais on est en bonne voie pour la chercher.»