Cali zéro. La 16ème conférence des Nations unies (COP16) sur la biodiversité s’est terminée samedi matin après un marathon de négociations. Si l’on note des avancées au sujet des peuples autochtones ou des ressources génétiques, aucun accord n’a été trouvé sur plusieurs points clés. On fait le bilan.
La confusion a régné dans la salle de plénière à Cali (Colombie), samedi matin, au moment de la clôture de la COP16 sur la biodiversité. Les délégué·es des 196 parties de la Convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations unies étaient réuni·es depuis 24 heures non-stop pour adopter les textes négociés à l’issue de deux semaines de tractations. Quand soudain, vers 8h30, la présidente de la COP et ministre de l’environnement colombienne, Susana Muhamad, a décidé de suspendre la COP16 faute d’avoir trouvé un quorum : le nombre de représentant·es nécessaires pour adopter les textes au consensus n’était pas atteint. Les discussions ayant pris du retard, de nombreuses délégations avaient déjà dû quitter les lieux pour rentrer dans leur pays.
Le suivi des engagements reste en suspens
Deux enjeux essentiels de la conférence restent alors sans réponse. En décembre 2022, la COP15 avait accouché d’un objectif ambitieux : protéger au moins 30% des terres et des mers d’ici à 2030 (notre article). À Cali, les 196 parties devaient fixer un cadre autour du suivi de ces engagements et adopter un processus de reporting des avancées des différents pays.
Hélas, les tractations ont mené à une impasse. «On regrette vraiment de ne pas avoir pu aboutir à un cadre de suivi solide pour bien mettre en œuvre les engagements pris à la COP15 de Kunming-Montréal en 2022, ce qui était pour nous l’enjeu principal de cette COP», déplore le cabinet de la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Les États se sont promis de faire un état des lieux des progrès et des obstacles rencontrés en 2026, mais ils ne se sont pour l’instant pas accordés sur les indicateurs de suivi à adopter.
Pas de consensus sur la finance
Second point inachevé : la question du soutien financier des pays du Nord à ceux du Sud. Les discussions avaient patiné toute la journée et toute la nuit de vendredi à samedi autour de la mise en œuvre d’un nouveau fonds de solidarité. Les pays en développement considèrent que les fonds existants ne répondent pas à leurs besoins grandissants en matière de protection de la biodiversité, tandis que les pays riches arguent qu’il ne sert à rien de multiplier les organes de financements et qu’il ne suffit pas de créer une nouvelle caisse pour qu’elle soit abondée de nouveaux dollars.
Dans une version initiale d’un texte sur la finance, publiée vendredi matin, la présidence colombienne de la COP16 suggérait le lancement d’un processus de travail autour de la création d’un nouvel instrument financier, dont la décision serait actée (ou non) lors de la COP17 en 2026. Quelques heures plus tard, la Colombie proposait finalement la mise en place d’un nouveau fonds devant être pleinement opérationnel d’ici à 2030. Une ligne rouge pour les pays riches, et qui n’a pu être dépassée par manque de temps.
«Ce signal négatif va retentir sur les autres négociations environnementales d’ici à la fin de l’année : climat, plastiques, désertification», regrette Sébastien Treyer, directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les points qui n’ont pas pu être adoptés lors de cette session sont repoussés à une date ultérieure – a priori lors de discussions à Bangkok (Thaïlande).
Pour un partage équitable des ressources génétiques
Avant la suspension de la COP, les négociateur·ices ont réussi à valider des textes importants. C’est notamment le cas de l’accord sur un juste partage des ressources génétiques, jugé «historique» par des délégations et organisations, dont la branche sud-africaine du Global youth biodiversity network. D’innombrables et précieuses informations génétiques, contenues dans l’ADN de diverses espèces, sont utilisées dans des secteurs variés tels que l’industrie pharmaceutique, l’agro-alimentaire ou les cosmétiques. Sources de richesses pour les pays riches, elles sont majoritairement issues des pays en développement, qui réclament depuis longtemps des compensations financières équitables pour l’utilisation de leurs ressources.
Le texte adopté ce samedi prévoit la création du «Fonds de Cali». Ce nouvel outil financier sera abondé par les entreprises privées qui utilisent ces ressources génétiques, selon un pourcentage sur les profits réalisés. Les compagnies sont invitées à donner 1% de leurs bénéfices (ou 0,1% de leurs revenus) dans ce fonds. Au moins la moitié des financements récoltés devra être fléchée vers les peuples autochtones et les communautés locales, et si possible avec des paiements directs.
Problème : ces contributions demeurent facultatives. «On se demande si ce fonds recevra véritablement de l’argent», interroge Juliette Landry, spécialiste des questions de gouvernance de la biodiversité à l’Iddri. Plusieurs pays étaient opposés à des contributions obligatoires, craignant une concurrence déloyale au profit des entreprises américaines – puisque les États-Unis ne font pas partie de la Convention pour la diversité biologique.
Fruit de discussions de longue date, cet accord reste une avancée considérable – en témoignent les nombreux cris de joie et les applaudissements nourris qui ont résonné dans la plénière au moment de l’adoption du texte.
Une meilleure prise en compte des peuples autochtones
Autre réussite notable : les délégations ont validé la création d’un groupe permanent de représentation des peuples autochtones au sein de la Convention pour la diversité biologique. «C’est une grande avancée, salue Juliette Landry. C’est la première fois qu’on a un groupe qui va pouvoir faire avancer le rôle et la participation des peuples autochtones et des communautés locales.» Ce groupe assurera que les intérêts des peuples autochtones soient pleinement pris en compte dans toutes les négociations de la Convention pour la diversité biologique à l’avenir.
Une nouveauté d’autant plus significative que de nombreuses études démontrent que les peuples autochtones jouent un rôle crucial dans la préservation des écosystèmes. Alors qu’ils ne représentent qu’un peu plus de 6% de la population mondiale, ils gèrent plus d’un tiers des régions les plus riches en termes de biodiversité – dont près de la moitié sont jugées en bon état écologique, d’après les Nations unies.
D’autres décisions sont à noter, dont une meilleure identification des zones à protéger en «haute mer» (soit les zones maritimes n’étant sous l’autorité d’aucun pays, qui représentent 64% des mers et océans). Une avancée symbolique saluée, à huit mois de la conférence des Nations unies sur l’océan qui aura lieu à Nice en juin prochain. Ce processus patinait depuis huit ans en raison de désaccords politiques et d’obstacles juridiques.
À Cali, les délégations ont entériné l’interdépendance entre la biodiversité, le changement climatique et la pollution, ainsi que la nécessité de répondre à ces enjeux «urgemment et avec cohérence».
Une COP inachevée, mais des efforts salués
Malgré une fin abrupte, bon nombre d’observateur·ices soulignent les avancées tangibles obtenues par les 196 parties. «C’est un petit pas pour la nature, mais c’est un pas en avant et c’est déjà ça, considère Arnaud Gilles, responsable de la diplomatie verte au WWF France. Malgré des retrouvailles compliquées par une solidarité internationale en berne, plusieurs accords ont été trouvés à la COP16 de Cali pour poursuivre les nombreux chantiers engagés il y a deux ans afin de remettre la nature sur pied».
«Il faut arrêter de considérer que chacune de ces COP doit être le moment d’un accord global, d’un deal sur tous les sujets, estime Sébastien Treyer, directeur de l’Iddri, qui nuance : On ressort de Cali avec un fort sentiment d’être en suspens, d’inachevé, et d’avoir encore énormément de travail à faire». Après son ultime coup de marteau, la présidente de la COP16 Susana Muhamad s’est dite «très heureuse et satisfaite» des avancées entérinées lors d’une COP «historique pour la biodiversité».
Rendez-vous en 2026 en Arménie
À la suite d’un vote jeudi soir, il a été décidé que la COP17 sur la biodiversité, prévue en 2026, aura lieu en Arménie. Le pays du Caucase a été choisi face à son voisin, l’Azerbaïdjan, qui accueille déjà la COP29 sur le climat dans une dizaine de jours et s’était aussi porté volontaire pour la COP17 sur la biodiversité.
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