Décryptage

COP15 : un accord ambitieux pour enrayer l’effondrement du vivant

Après deux semaines de négociations, les 196 parties de la Convention sur la diversité biologique (CBD) sont parvenues à un accord, lundi matin, à l’issue de la 15ème conférence mondiale (COP15) sur la biodiversité. Le défi était de taille : fixer un cadre international pour la décennie actuelle, capable d’enrayer, et même d’inverser, l’effondrement du vivant.
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« C’est un texte his­torique qui vient d’être adop­té, enfin j’espère qu’il a été adop­té ». Les mots du com­mis­saire européen à l’environnement, Vir­gini­jus Sinke­vičius, peu après le coup de marteau final de la COP15 sur la bio­di­ver­sité, traduisent l’incompréhension générale. Quelques instants plus tôt, la Chine — qui co-organ­i­sait le som­met avec le Cana­da — décidait d’adopter l’accord au for­ceps en pas­sant out­re le franc désac­cord du Con­go. En principe, la déci­sion devait être prise au con­sen­sus entre les 196 États par­ties de la Con­ven­tion pour la diver­sité biologique présentes à Mon­tréal.

Comme d’autres, le pays d’Afrique cen­trale esti­mait que plusieurs con­di­tions man­quaient au doc­u­ment final, fruit de qua­tre années de tra­vail et de deux semaines d’intenses négo­ci­a­tions. Par­mi celles-ci : l’argent néces­saire pour pro­téger et restau­r­er la bio­di­ver­sité. Il y a urgence, alors sur les quelque 8 mil­lions d’e­spèces que compterait la planète, un mil­lion sont men­acées d’ex­tinc­tion et près de 70% des pop­u­la­tions de vertébrés sauvages ont dis­paru en 50 ans.

De l’argent pour le vivant

Le nou­veau « cadre de Kun­ming-Mon­tréal sur la bio­di­ver­sité mon­di­ale » prévoit que l’ensemble des finance­ments dédiés au vivant (publics, privés, nationaux ou inter­na­tionaux) atteigne 200 mil­liards de dol­lars par an d’ici à 2030. Or, cer­taines esti­ma­tions hautes des mon­tants req­uis oscil­lent entre 600 et 823 mil­liards de dol­lars par an, selon l’Institut du développe­ment durable et des rela­tions inter­na­tionales (Iddri).

Le min­istre chi­nois de l’en­vi­ron­nement, Huang Run­qiu, et les mem­bres du secré­tari­at de la Con­ven­tion pour la diver­sité biologique se réjouis­sent de l’adop­tion du nou­veau cadre mon­di­al pour la bio­di­ver­sité à Mon­tréal, le 19 décem­bre 2022 © UN bio­di­ver­sité / Flickr

Autre sujet de ten­sion : de nom­breux pays du Sud récla­maient un sou­tien des pays du Nord à hau­teur de 100 mil­liards de dol­lars par an à 2030 pour la préser­va­tion et la restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité ; le cadre prévoit finale­ment 20 mil­liards de dol­lars par an d’i­ci à 2025, et 30 mil­liards au plus tard en 2030, con­tre 10 mil­liards aujour­d’hui.

Enfin, alors que les pays en développe­ment demandaient la créa­tion d’un fonds dédié à la bio­di­ver­sité, auquel les pays du Nord se sont opposés, l’argent de la bio­di­ver­sité sera finale­ment géré au sein du Fonds pour l’environnement mon­di­al (FEM), comme le pro­po­sait la Colom­bie. Au moins dans un pre­mier temps.

Pour un vrai partage des bénéfices issus des ressources génétiques

Ques­tion-phare de cette COP, le partage des béné­fices issus des ressources géné­tiques des pays en développe­ment exploitées par les entre­pris­es des pays du Nord, par exem­ple dans les cos­mé­tiques ou les médica­ments (notre arti­cle), a fait l’objet d’un accord. Celui-ci acte la créa­tion d’un mécan­isme dont les rouages seront déter­minés lors de la COP16 en Turquie.

Out­re les finance­ments sup­plé­men­taires, les sub­ven­tions nocives pour le vivant devront être réduites d’au moins 500 mil­liards de dol­lars par an d’ici à 2030. Les sub­sides accordés à l’agriculture con­ven­tion­nelle sont par­ti­c­ulière­ment visés, car celle-ci con­stitue la prin­ci­pale men­ace humaine sur la bio­di­ver­sité, selon la Con­ven­tion sur la diver­sité biologique.

Protéger 30% des terres et des mers d’ici à 2030

L’Union européenne en avait fait sa propo­si­tion-phare : le texte entérine l’objectif d’assurer la pro­tec­tion d’au moins 30% des ter­res, mers, côtes et eaux intérieures d’ici à 2030. Actuelle­ment, seuls 17% des milieux ter­restres et 8% des zones marines sont sous statut pro­tégé. D’i­ci la fin de la décen­nie, 30% des zones dégradées devront con­naître une restau­ra­tion « effi­cace », afin de favoris­er l’intégrité, les fonc­tions et les ser­vices des écosys­tèmes.

L’accord ne dit rien de la qual­ité de ces pro­tec­tions, qui peut aller de la mise « sous cloche » des aires à un accom­mode­ment avec les activ­ités humaines — pêche, chas­se, bûcheron­nage, etc. Ce point a provo­qué l’ire de cer­taines ONG, dont Bloom, qui accuse le gou­verne­ment français d’avoir manœu­vré pour qu’il ne soit pas fait men­tion d’un objec­tif de 10% des aires en pro­tec­tion « forte ».

Agriculture : pas de mention de la viande ou de l’élevage

Hélas, le texte final ne con­tient pas de men­tion de l’élevage ou des régimes ali­men­taires carnés, alors que la viande requiert tou­jours plus de sur­faces agri­coles. Celles-ci sont sou­vent emprun­tées aux milieux naturels, aggra­vant la crise cli­ma­tique et l’effondrement du vivant.

L’accord plaide molle­ment pour une « ges­tion durable » des espaces dédiés à l’agriculture, l’aquaculture, la pêche ou la foresterie, à tra­vers l’utilisation de pra­tiques respectueuses de la bio­di­ver­sité. Par­mi celles-ci : l’agroécologie, l’« inten­si­fi­ca­tion durable » (pro­duire davan­tage sur la même sur­face et utilis­er moins d’intrants tout en aug­men­tant les ren­de­ments, selon la FAO) et « autres approches inno­vantes ». De quoi per­me­t­tre à cha­cun de voir midi à sa porte.

La réduction programmée des pesticides

Fait notable et applau­di par de nom­breux obser­va­teurs européens : d’ici à 2030, le nou­veau cadre prévoit de réduire d’au moins 50% les « risques liés aux pes­ti­cides » ; une for­mu­la­tion plus effi­cace que de s’attaquer aux seuls vol­umes épan­dus. Comme le racon­te Paul Lead­ly, checheur spé­cial­iste de l’écologie des pop­u­la­tions et com­mu­nautés à Paris-Saclay, alors que l’u­til­i­sa­tion de pes­ti­cides a dimin­ué de 40% aux Etats-Unis, les risques ont été mul­ti­pliés par qua­tre en rai­son d’une plus grande tox­i­c­ité des pro­duits. Cer­tains grands pays émer­gents comme le Brésil ou l’Argentine ont ten­té de peser pour obtenir un accord doux avec leur secteur agro-indus­triel et ont fer­rail­lé en vain, notam­ment avec l’Union européenne, pour faire dis­paraître la men­tion des pes­ti­cides.

Les rejets exces­sifs de nutri­ments dans l’environnement — comme les nitrates issus du lisi­er de porcs qui sacca­gent les cours d’eau et créent des marées vertes en Bre­tagne — devront aus­si être divisés par deux en huit ans. Les par­ties se sont égale­ment engagées à « œuvr­er à l’élimination de la pol­lu­tion plas­tique ». Par ailleurs, le texte incite, sans oblig­er, les entre­pris­es à ren­dre compte de leur impact sur la bio­di­ver­sité et des actions mis­es en œuvre pour le lim­iter.

Équité, droits des peuples autochtones et genre reconnus

Les peu­ples autochtones sont les meilleurs gar­di­ens de la bio­di­ver­sité (Vert) et leur rôle dans la con­ser­va­tion des écosys­tèmes est recon­nu dans ce nou­veau cadre mon­di­al pour la bio­di­ver­sité. Le texte appelle à l’équilibre et l’harmonie avec la « Terre-Mère », comme le récla­maient plusieurs pays d’Amérique latine.

Enfin, le cadre recon­naît la néces­sité de pren­dre en compte les femmes, les jeunes et les per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap dans la prise de déci­sion et d’assurer la pro­tec­tion des défenseurs de l’environnement, tou­jours plus sou­vent vic­times d’abus, voire d’assassinat (Vert).

Et après ?

« Ce qui n’est pas chiffré et daté n’est pas accom­pli, on le sait depuis Aichi », remar­que Pierre Can­net, de WWF France. Les 20 objec­tifs (dits « d’Aichi ») du précé­dent cadre mon­di­al décidé en 2010 ont tous échoué (Vert), notam­ment parce que le texte ne prévoy­ait que peu d’indicateurs de mise en œuvre. Une analyse de toutes les cibles nationales est prévue lors de chaque COP, qui se tien­nent tous les deux ans. Puis, le pre­mier bilan de mise en œuvre des feuilles de route nationales aura lieu dans qua­tre ans.

Les pays sont désor­mais chargés de met­tre en musique ce nou­veau cadre dans leur poli­tique intérieure. Dès 2023, la France doit écrire sa nou­velle feuille de route nationale sur la bio­di­ver­sité. Elle devra aus­si trou­ver com­ment cess­er de sub­ven­tion­ner des pra­tiques agri­coles néfastes, réduire sérieuse­ment l’usage des pes­ti­cides ou l’artificialisation des sols, etc. « Cha­cun va devoir se met­tre à la hau­teur de cet accord de Mon­tréal pour qu’on soit en capac­ité de mon­tr­er que ce n’est pas un accord de papi­er », explique le min­istre de l’écologie français, Christophe Béchu, qui applau­dit aus­si un texte « his­torique ».

Le texte « ne casse pas la baraque, mais il sauve les meubles », des mots de Pierre Can­net, directeur du plaidoy­er et des cam­pagnes de WWF France. « Il y en a eu pour tout le monde », salue pour sa part un diplo­mate européen. Si le vivant n’est de loin pas tiré d’affaire, tout le monde con­vient que le nou­veau cadre con­tient de réelles avancées par rap­port à ses prédécesseurs.