Décryptage

À la COP15, l’épineuse question du partage des richesses génétiques

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Sans gène. Le partage juste des béné­fices issus de l’utilisation des ressources géné­tiques est au cœur des négo­ci­a­tions de la 15ème con­férence des Nations unies (COP15) sur la bio­di­ver­sité. Der­rière l’aspect tech­nique de ce dossier se cache d’intenses jeux de pou­voir entre les pays du Sud et du Nord.

C’est l’histoire d’une ressource invis­i­ble, mais présente partout autour de nous. Des cos­mé­tiques aux médica­ments, en pas­sant par l’alimentation, l’industrie utilise mas­sive­ment l’information géné­tique issue d’êtres vivants, dont elle isole des séquences ADN pour imag­in­er de nou­velles appli­ca­tions. Prob­lème : les brevets sont majori­taire­ment déposés (donc détenus) dans les pays occi­den­taux, alors que les ressources provi­en­nent surtout des pays en développe­ment, prin­ci­paux gar­di­ens de la bio­di­ver­sité.

Le mirage de l’or vert

Dès la nais­sance de la Con­ven­tion sur la diver­sité biologique, en 1992, « les pays du Sud s’aperçoivent qu’ils sont en dehors de cet “or vert” » et « vont essay­er d’en faire une arme poli­tique pour obtenir des con­trepar­ties à leurs engage­ments sur la préser­va­tion de la bio­di­ver­sité », explique à Vert Cather­ine Aubertin, écon­o­miste de l’environnement à l’Institut de recherche pour le développe­ment (IRD). Un com­pro­mis est trou­vé en 2010 avec le pro­to­cole de Nagoya : les pays sig­nataires oblig­ent les entre­pris­es et sci­en­tifiques à revers­er une par­tie des béné­fices issus des ressources géné­tiques à leurs déten­teurs. En retour, les pays du Sud s’engagent à adopter les 20 objec­tifs « d’Aichi » sur la bio­di­ver­sité (Vert).

Dans les faits, le pro­to­cole est appliqué de façon plus ou moins stricte selon les pays, et les béné­fices escomp­tés grâce à la com­pen­sa­tion se révè­lent très faibles. « Il y a eu beau­coup d’espoir à l’origine sur les aspects financiers qui sont très vite retombés », observe Robin Gof­faux, chargé de mis­sion à la Fon­da­tion pour la recherche sur la bio­di­ver­sité (FRB). Par ailleurs, il con­state de nom­breux con­tourne­ments de la part d’entreprises étrangères qui prélèvent de l’information géné­tique sans dédom­mager les pop­u­la­tions locales. Au Brésil et au Paraguay, les Guara­nis se bat­tent con­tre Coca-Cola depuis 2016 pour obtenir une con­trepar­tie finan­cière à l’utilisation mas­sive d’une molécule de syn­thèse fab­riquée à par­tir de l’ADN de la stévia. Une plante que ces peu­ples autochtones utilisent depuis très longtemps pour ses ver­tus médic­i­nales.

Des ressources de plus en plus difficiles à tracer

Ces cas de « biopi­ra­terie » sont néan­moins de plus en plus rares et com­plex­es à appréhen­der, puisque les ressources géné­tiques sont désor­mais acces­si­bles gra­tu­ite­ment sur inter­net dans d’im­menses bases de don­nées. « Avec les développe­ments de la sci­ence, l’information numérique peut main­tenant suf­fire, et cela pose de nou­velles ques­tions », explique Robin Gof­faux, en route vers Mon­tréal où le sujet revient sur la table des négo­ci­a­tions sous l’angle des « séquences géné­tiques numérisées » (DSI en anglais).

« Les pays du Sud se dis­ent que ça va trop vite, qu’ils n’ont plus aucun con­trôle sur ce qu’ils esti­maient être leurs ressources », racon­te Cather­ine Aubertin. Met­tre la ques­tion des ressources géné­tiques à l’agenda per­met plus large­ment de « dénon­cer le mépris de la sci­ence occi­den­tale et des échanges iné­gaux », ajoute-t-elle. Véri­ta­ble mon­naie d’échange au sein des dis­cus­sions, un meilleur partage des béné­fices issus des ressources géné­tiques per­me­t­trait aux pays du Sud d’obtenir davan­tage de finance­ment pour respecter les objec­tifs ambitieux de pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité portés par les pays du Nord.