Le vert du faux

Les aires protégées sont-elles vraiment efficaces ?

Les négociateur·rices de la 15ème Conférence des Nations unies (COP15) sur la biodiversité espèrent se mettre d’accord pour atteindre 30% de surfaces préservées à l’horizon 2030. Les aires protégées peuvent être des outils efficaces, à condition de respecter certains garde-fous.
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C’est dans l’air(e). L’Union inter­na­tionale pour la con­ser­va­tion de la nature (UICN) définit une aire pro­tégée comme « un espace géo­graphique claire­ment défi­ni, recon­nu, con­sacré et géré […] afin d’assurer à long terme la con­ser­va­tion de la nature ain­si que les ser­vices écosys­témiques et les valeurs cul­turelles qui lui sont asso­ciées ». Il existe dif­férentes caté­gories d’espaces pro­tégés avec divers degrés de préser­va­tion. Celles-ci vont des réserves « inté­grales » (avec un accès lim­ité à la seule recherche sci­en­tifique) aux « aires de ges­tion des habi­tats ou des espèces » (où cohab­itent des activ­ités économiques avec des mesures de con­ser­va­tion des écosys­tèmes). À mi-chemin entre les deux, les parcs nationaux sont par exem­ple acces­si­bles sous con­di­tions, et per­me­t­tent cer­tains usages récréat­ifs.

Actuelle­ment, 17% des milieux ter­restres et 8% des zones marines sont sous statut pro­tégé, selon le comp­tage de Pro­tect­ed plan­et — un out­il mis en place par l’UICN et les Nations unies. En France, en 2021, 34,7% du ter­ri­toire était cou­vert par un statut pro­tégé (34,9% des mers et océans et 32,4% des ter­res), avance l’UICN. Un chiffre qui cache des réal­ités très dif­férentes. Sur son site, l’Office français de la bio­di­ver­sité détaille que seul 1,8% des espaces naturels français béné­fi­cient d’une pro­tec­tion forte.

Cette carte représente les espaces ter­restres (en vert) et les zones marines (en bleu) qui ont le statut d’aires pro­tégées en décem­bre 2022. Cliquez pour accéder directe­ment au site qui les recense. © Pro­tect­ed plan­et

L’efficacité de ces espaces dépend de leur degré de pro­tec­tion, et le sim­ple statut d’aire pro­tégée ne garan­tit pas que les écosys­tèmes puis­sent être effec­tive­ment préservés. Des activ­ités économiques dan­gereuses pour la bio­di­ver­sité, comme l’ex­ploita­tion minière ou forestière, y sont sou­vent autorisées, notam­ment en Afrique (Le Monde diplo­ma­tique), indique à Vert Mar­tin Léna, chargé de plaidoy­er pour l’ONG Sur­vival inter­na­tion­al. Pour Ladislav Miko, envoyé spé­cial de la Com­mis­sion européenne pour la bio­di­ver­sité, il est même « dif­fi­cile­ment réal­iste » de n’autoriser aucune indus­trie extrac­tive dans le cadre du plan « 30x30 » (qui vise à pro­téger 30% des ter­res et mers d’ici à 2030) actuelle­ment dis­cuté à Mon­tréal, rap­porte le Guardian (en anglais).

« Les dif­férents niveaux de pro­tec­tion sont impor­tants, car ils sont com­plé­men­taires », explique Lau­re Debeir, chargée du pro­gramme Aires pro­tégées au sein du comité français de l’UICN. Dans cer­tains endroits, où les besoins de pro­tec­tion sont très forts, une inter­dic­tion totale des activ­ités humaines est indis­pens­able. Ailleurs, il peut être jus­ti­fié de met­tre en place des pro­tec­tions plus légères, qui per­me­t­tent cer­taines activ­ités jugées com­pat­i­bles avec le main­tien des fonc­tion­nal­ités écologiques du milieu.

Concilier la préservation avec les droits des peuples autochtones

La mul­ti­pli­ca­tion des aires pro­tégées fait naître des prob­lèmes d’accaparement des ter­res habitées par les peu­ples autochtones, abonde Mar­tin Léna de Sur­vival inter­na­tion­al. Son ONG dénonce le principe de « con­ser­va­tion-forter­esse », un mod­èle qui repose sur l’expulsion des pop­u­la­tions et la mise en place d’une « bulle » pour préserv­er cer­tains écosys­tèmes. « Ce mod­èle, qui est dom­i­nant en Afrique et en Asie, s’enracine dans une vision colo­nial­iste qui con­sid­ère qu’on ne peut pas faire con­fi­ance aux peu­ples locaux pour gér­er ces espaces, et qu’il faut faire appel à des experts et sci­en­tifiques occi­den­taux pour le faire », dit-il à Vert.

Dans une déc­la­ra­tion con­jointe pub­liée fin novem­bre, les asso­ci­a­tions Sur­vival inter­na­tion­al, Amnesty inter­na­tion­al, Rain­for­est foun­da­tion UK et Minor­i­ty rights group inter­na­tion­al appel­lent les insti­tu­tions à inté­gr­er davan­tage les pop­u­la­tions autochtones dans la con­ser­va­tion des écosys­tèmes. Ces dernières représen­tent moins de 6% de la pop­u­la­tion mon­di­ale, mais préser­vent 80% de la bio­di­ver­sité restante de notre planète. Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) souligne qu’en Ama­zonie, les ter­res indigènes sont mieux préservées de la déforesta­tion et ont une bio­di­ver­sité bien plus riche que dans des aires pro­tégées avec des con­di­tions écologiques sim­i­laires.

La qualité des aires plus que leur quantité

« On a 17% d’aires pro­tégées [sur Terre], mais on observe quand même une diminu­tion dras­tique de la bio­di­ver­sité, ce qui mon­tre que les efforts sont à faire sur la sur­face, mais aus­si sur l’efficacité », note Lau­re Debeir, de l’UICN. Un tra­vail qui passe par la sélec­tion des espaces à pro­téger, et notam­ment des « hotspots » (les points chauds) de la bio­di­ver­sité ; des zones aux écosys­tèmes très rich­es, mais aus­si par­ti­c­ulière­ment men­acés — comme le bassin méditer­ranéen, l’Himalaya ou encore l’Amérique cen­trale. « Les aires pro­tégées doivent aus­si être con­nec­tées entre elles pour que les espèces puis­sent tran­siter, migr­er, se repro­duire et se nour­rir », ajoute l’experte.

Les aires pro­tégées sont « sûre­ment le moyen le plus effi­cace de pro­téger la nature », estime Gilles Kleitz, directeur exé­cu­tif des Solu­tions de développe­ment durable à l’Agence française de développe­ment (AFD), présent à la COP15 au sein de la délé­ga­tion française. Mais leur effi­cac­ité dépend d’un cer­tain nom­bre d’outils et de garde-fous : « Une aire pro­tégée qui marche bien doit être dotée d’une éval­u­a­tion pré­cise de l’état des espèces, d’un objec­tif à peu près clair en matière de con­ser­va­tion, avec un plan de ges­tion et des moyens con­crets pour le réalis­er ». Et, con­di­tion sine qua none à sa réus­site, « savoir dia­loguer et s’insérer dans son ter­ri­toire avec tous les acteurs con­cernés ».

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